II-2- Les pré-requis institutionnels à la cible d'inflation

L'ancrage d'inflation a mis l'accent sur le besoin et la nécessité de rendre la politique monétaire transparente et d'entretenir régulièrement les réseaux de communication avec le public 86 . La politique monétaire est plus efficace lorsque les marchés arrivent à bien comprendre les objectifs ainsi que la relation entre eux et les mesures prescrites pour les atteindre. Dans ce contexte, la transparence de la politique monétaire est très importante et joue un rôle clé dans la mesure où elle montre aux marchés la responsabilité des banques centrales vis à vis des résultats obtenus.

Les pays qui s'engagent de manière crédible et avec précision à atteindre un objectif de stabilité des prix moyennant le ciblage d'inflation, doivent satisfaire certaines conditions. Ils sont en effet tenus de :

Le premier débat ou interrogation qui s'engage porte sur le choix du paramètre utilisé pour mesurer l’inflation et le taux cible, en d'autres termes faut-il cibler l'inflation ou le niveau des prix? L'inflation peut en effet, être mesurée soit par l’indice des prix à la consommation (IPC), soit par le délateur du PIB. Ce dernier présente l’avantage de refléter plus justement la notion d’inflation intérieure, alors que l’IPC a l'avantage d'être l’indice que le public connaît le mieux. Il est en plus calculé mensuellement et diffusé à bref délai ce qui permet de le suivre régulièrement. Toutefois, la politique monétaire ne pouvant pas tenir compte des variations de l'inflation à court terme, considérées comme exogènes, elle exclut de l'IPC les éléments dont le prix est sujet à ce type de variations. La politique monétaire tiendra alors compte uniquement de l’impact initial de la hausse des prix, en ignorant les effets secondaires découlant de la spirale prix–salaires. Par ailleurs, l'expérience a montré que les pays préfèrent cibler le taux d'inflation plutôt que le niveau des prix. Toutefois cette préférence présente un aspect économique puisque cibler le taux d'inflation ne signifie pas qu'il est forcément plus favorable à l'économie, mais il est moins coûteux de ramener le taux d'inflation à un taux cible que de ramener le niveau des prix à un niveau cible après un choc.

La seconde interrogation concerne la fixation de la cible appropriée sur le long terme. Faut-il choisir de cibler une valeur ponctuelle, ou bien une fourchette cible ? Parmi les pays émergents ayant adopté un ciblage d'inflation, seul le Chili a choisi de viser une valeur ponctuelle, la majorité des autres pays ont opté pour une fourchette. Opter pour une valeur cible, c'est s'exposer au risque d'incertitude d'atteindre ce taux. En effet, les difficultés inhérentes à la prévision de l'inflation et les problèmes de transmission de la politique monétaire, augmentent le risque de manquer le taux cible. La fourchette, en revanche, présente l'avantage d'accorder une plus grande souplesse aux autorités monétaires dans la mesure où elles ne sont pas tenues d'atteindre une valeur fixe, mais peuvent avoir une marge dans leur cible. En outre, décider de la largeur de cette fourchette pose problème. En effet, une fourchette trop étroite présente les mêmes inconvénients qu'une cible ponctuelle. Une fourchette trop large diminue de la crédibilité de la politique monétaire dans la mesure où elle augmente la probabilité d'atteindre la cible sans efforts particuliers. Toutefois, malgré les difficultés que pose le choix d'une zone cible, cette solution est celle qui a été adoptéepar un grand nombre de banques centrales. Tous ces problèmes se rapportant à la fourchette n'ont cependant pas freiné son utilisation, mais ont concentré l'objectif des autorités à amener le taux d'inflation à l'intérieur de la fourchette sans se focaliser sur l'objectif d'atteindre le point médian de celle-ci.

La troisième interrogation porte sur l'horizon fixée pour la cible. Faut-il un horizon court ou un horizon long pour atteindre la cible fixée ? Généralement, les délais que se fixent les autorités monétaires pour aboutir à leur objectif varient entre 12 et 24 mois en moyenne. En effet un délai inférieur à 12 mois pose des problèmes notamment dans la contrôlabilité et la faisabilité de l'objectif prédéterminé, même si la politique monétaire est conduite de manière optimale. Un deuxième problème est relatif à l'instabilité éventuelle des instruments de la politique monétaire. Un aussi court délai ne permet pas à la banque centrale de revoir ses instruments et de les adapter aussi rapidement à la cible fixée. Un troisième et dernier problème se rapporte aux fluctuations de la production dans la fonction de perte de la banque centrale, dont le poids s'affaiblit lorsque l'horizon est court. Le choix des différents pays est d’établir une cible pluriannuelle, c’est à dire prévoir deux ans environ en avance la cible. Cette méthode permet de prendre en considération les fluctuations de la production dans la fonction objectif de la banque centrale. L’approche dans la poursuite de la cible d'inflation devient graduelle (Svensson 1997).

En matière de responsabilité de la banque centrale à atteindre l'objectif qu'elle s'est fixée, il est important que celle-ci dispose d'une marge de manœuvre nécessaire pour que sa mission soit accomplie dans les bonnes conditions. Il n'est toutefois pas indispensable que ses statuts lui attribuent une totale indépendance, mais elle doit pouvoir choisir librement les instruments nécessaires pour atteindre son objectif. Dans ce contexte, il est indispensable qu'aucun symptôme de dominance budgétaire ne soit présenté par la banque centrale. Ce qui signifie que la politique monétaire ne doit être ni freinée, ni dictée par des considérations d'ordre budgétaire. Par ailleurs, pour être pleinement responsables de la réalisation de cet objectif d'inflation, les pouvoirs publics doivent éviter de cibler toute autre variable nominale susceptible d'entraver la conduite de la politique monétaire dans le cadre du ciblage d'inflation. Parmi ces variables, il y a les salaires et ou le taux de change.

Sur le plan pratique, en général toutes les banques ayant choisi un ciblage d'inflation publient périodiquement des rapports dans lesquels sont exposés les orientations futures de leurs politiques monétaires. Ces rapports publient aussi les résultats obtenus et expliquent les écarts entre le taux actuel et le taux cible. Ainsi, le public peut mieux saisir et suivre le raisonnement de la banque centrale, ce qui réduit les risques d'interprétation erronée des différentes décisions de la banque centrale. Le tableau IV.3 montre la rigueur des pays émergents en matière de transparence du ciblage d'inflation :

Tableau IV.3 : Délais d'annonce des décisions prises en ciblage d'inflation
Réunion annoncée à l'avance L'annonce de la décision L'annonce de la décision par la presse
Brésil 2 à 12 mois avant Immédiatement après Dans les 8 jours suivants
Chili 6 mois avant Immédiatement après Dans les 3 mois suivants
Corée Programmation annuelle Immédiatement après Dans les 3 mois suivants
Thaïlande 12 mois avant Immédiatement après Pas d'annonce par la presse

Source : Schmidt-hebbel (2001) 87

Comme nous l’avons précédemment souligné, on remarque que ces pays annoncent l'objectif présumé tout de suite après l'avoir décidé en réunion, celle-ci étant prévue depuis quelques mois, voir même une année. Le fait de l'annoncer aussi rapidement témoigne de la volonté des autorités d’assurer une certaine transparence en matière de ciblage d'inflation.

Notes
86.

D'après l'expérience des pays industrialisés, ces caractéristiques ont été fondamentales pour assurer la réussite de la stratégie du ciblage d'inflation.

87.

Cité dans Ho et Mc Cauley (2003)