III-3-2- Les résultats obtenus sur le taux d'inflation

Une fois le régime de change choisi et la cible décidée, nous allons nous intéresser de plus prés aux pays ayant opté pour un objectif d'inflation. Pour ces pays, le tableau IV.5 montre l'évolution du taux d'inflation depuis le début des années quatre-vingt et donne une idée pour certains d'entre eux sur le taux d'inflation juste avant et après la mise en place de la cible.

Tableau IV.5 : Taux d'inflation depuis les années quatre-vingt
Taux
d’inflation 1980-89 (1)
Taux
d’inflation 1990-99 (1)
Taux
d’inflation 1998-2001 (1)
L'ancrage d'inflation
Année du début de l’objectif d’inflation Inflation avant adoption de la 1 ère cible Inflation 12 mois après
Objectif du taux d'inflation en 2001 Taux d’inflation en 2001
Brésil (2) 229,1 319,2 5,5 juin1999 3,15 6,51 2-6 6,9
Chili 21,2 11,5 4,0 janvier1991 27,31 19,47 2-4 3,6
Mexique 65,1 20,1 11,6 janvier1999 18,61 11,03 6,5 (4) 6,4
Indonésie 9,6 13,7 21,9 2000 - - - -
Corée 8,1 5,7 3,6 janvier1998 6,57 1,46 2,5 4,1
Philippines 14,4 9,6 6,7 2002 - -   -
Thaïlande 5,7 5,0 2,9 Avril 2000 1,04 2,47 0-3,5 1,7
(1) moyenne des prix de consommation
(2) Au Brésil, le faible taux d'inflation dans la période précédant l'adoption de la cible résultait en partie de la surévaluation de la monnaie.
(3) Le (-) indique que les données sont indisponibles
(4) Pour fin 2002, l'objectif ciblé au Mexique est de 4,5 % et le taux enregistré à la même année est de 5 %.

Source : Eichengreen et Bordo (2002) ; Fraga, Goldfajn, Minella (2003) ; FMI (2001); Données nationales (2003)

Même si l'expérience de ces pays en la matière est courte, les résultats obtenus jusque là semblent être encourageants. Pendant les années quatre-vingt-dix, il est clair que le taux d'inflation a sensiblement diminué par rapport à la décennie d'avant. En effet, cela peut s'expliquer en partie par les plans de stabilisation qui ont caractérisé le début des années quatre-vingt-dix et par l'ancrage d'inflation qui a plutôt caractérisé la fin des années quatre-vingt-dix. Après l'adoption de l'objectif d'inflation, les pays ont vu leur inflation baisser (exception faite de la Thaïlande pour qui les résultats ne sont pas encore très clairs étant donné la courte expérience de ce pays dans ce domaine et ses antécédents en crises monétaires et financières). En effet, l'expérience Chilienne suggère que l’ancrage de l’inflation peut être utilisé comme une stratégie qui réussit pour faire baisser progressivement l’inflation dans les pays émergents, même lorsque le taux d'inflation au départ est de l'ordre de 20%. Il est important de signaler que la réussite de l’ancrage nominal par l’inflation ne peut pas être attribué uniquement aux actions de la banque centrale chilienne. En effet, l’absence d’importants déficits budgétaires ainsi que le contrôle du secteur financier ont joué un important rôle dans sa réussite 93 .

Cependant, entre 1997 et 1999 l'expérience au Chili a montré que pour que l’ancrage de l’inflation réussisse, le coût d’abandon de l’inflation est le même que celui du dépassement du niveau d’inflation escompté. Le soutien apporté à une banque centrale indépendante qui poursuit la stabilité des prix peut être amoindri si la banque centrale est perçue comme étant agissant uniquement en faveur de la baisse de l'inflation au détriment d'autres objectifs. La banque centrale du Chili a poursuivi une approche progressive pour baisser l’inflation et approcher le niveau escompté, en commençant par une cible supérieure à 20 % en 1991 pour la faire baisser jusqu’à moins de 5 % en 1999. Au cours de toute cette période, le Chili a réussi à la fois le processus de désinflation et de faire connaître ses objectifs d’inflation. Le public a commencé à interpréter ces objectifs comme une cible qui relève de la responsabilité de la banque centrale. C’est seulement en 1999 que la banque centrale a explicitement annoncé l’objectif pour plusieurs années à savoir une inflation de 3,5 % pour 2000 et à long terme de 2 à 4 % pour 2001. L’expérience chilienne avec le ciblage par inflation semble bien réussir. L’inflation est passée d’un taux d’inflation d’environ 20% au début de l’introduction du ciblage par l’inflation à un taux d’inflation de l’ordre de 3 % en 2000. Pendant la même période, la croissance de la production était élevée en moyenne de 8,5 % par an entre 1991 et 1997. Seulement pour les deux dernières années, l’économie est entrée en récession avec un taux de croissance de la production en baisse à 3,4 % en 1998 et d’environ (- 1,3 %) en 1999.

Au Brésil, dans les quatre mois qui ont suivi l'annonce d’adoption de l’ancrage de l’inflation, la banque centrale du Brésil a rendu effective cette stratégie de la politique monétaire. En dépit du succès initial de l’ancrage d'inflation au Brésil où l'inflation n’a pas dépassé 10% malgré une dépréciation du taux de change, les doutes au sujet de la réussite de cette stratégie ont persisté étant donné les ambiguïtés qui portent sur les problèmes budgétaires chroniques dont souffre le Brésil. Non seulement les anticipations inflationnistes ont diminué, mais cela a servi en plus à agir sur le taux d'intérêt et à le faire revenir à son niveau de 39 %. Le ciblage a donc eu une double fonction : l'une permanente d'ancrage nominal, l'autre transitoire de référence pour la désinflation.

Le redémarrage de l'économie s'est confirmé en 2000, mais au début de 2001, les premiers effets du ralentissement mondial se sont fait ressentir. En revanche, l'inflation reste sous contrôle pour cette année puisque le Brésil a réussi à atteindre le taux de 5,3 % et ne pas dépasser sa cible.

Au Mexique, le taux d’inflation en 1998 a dépassé la cible annoncé d’environ 7 %, et a causé un préjudice pour les références de la banque du Mexique contre l’inflation. Dès lors 1998 n’était probablement pas la bonne année pour la banque du Mexique d’avancer davantage dans la direction du ciblage d’inflation. En 1999, les choses ont commencé à changer. L’inflation annuelle de l ‘ordre de 12,3 % a baissé en dessous des 13% escomptés, le pass-through du taux de change semble légèrement diminuer, et , contrairement aux autres pays de la région, l’économie a grimpé de plus de 3 %. Ces résultats vont aider la Banque du Mexique à augmenter sa crédibilité. Plus encore, la banque centrale a récemment entrepris les premières étapes pour augmenter son engagement au ciblage d’inflation pour l’année 2000. En 2000, la situation a été meilleure que ce qui a été prévu, puisque le taux d'inflation est passé de 12,32 % en décembre 1999 à 8,96 % en décembre 2000. Le taux d'inflation a réussi d'aller en dessous de la barre des 10 %. Toutefois, les prix au Mexique sont toujours considérés élevés, ce qui freine le développement économique du pays.

Aussi, pour la première fois, la banque centrale du Mexique a annoncé un objectif d’inflation pluriannuel en statuant de diminuer l’inflation à un taux international (entre 2 et 3 %) en 2003. En 2003, le comportement de l'inflation tel qu'il a été prévu en 2002 devrait enregistré une baisse de la croissance des biens échangeables ce qui contribuera à la baisse de l'inflation calculée selon l'indice des prix. Le pass-throuh des fluctuations du taux de change devra s'affaiblir. Cela témoignera de la crédibilité dont dispose le régime du taux de change flottant pour le cas du Mexique. Dans ce contexte, les mouvements à court terme des taux de change seront une part de la volatilitéinhérente du marché monétaire et ne seront pas considérés comme permanents. En revanche, en début d'année, le bas niveau d'inflation des prix des biens échangeables a été traduit par une incapacité de ces prix à baisser l'inflation de 2003. Cette contradiction a conduit le défi de la politique monétaire en 2003 de se concentrer sur l'évolution de l'inflation en se référant aux services. Plusieurs changements sont nécessaires et à en juger par ces deux étapes, la banque centrale du Mexique semble suivre une stratégie qui n’est pas dissemblable de celle suivie par la banque centrale du Chili.

Même les pays qui ont bien réussi leur objectif d'inflation, montrent quelques écarts entre la cible annoncée et le taux d’inflation effectivement observé, le tableau IV.6 fait état de ces écarts :

Tableau IV,6 : Ecarts entre la cible annoncée (a) et l'inflation effective (b)
1998 1999 2000 2001 2002
Cible(a) Effective (b) Cible(a) effective(b) Cible(a) effective(b) Cible(a) effective(b) Cible(a) effective(b)
Brésil   1,7   8,9 4-8 7 2-6 5,3 1,5-5,5 10,2
Chili 4,5 4,7   2,4 3,5 4 2-4 3,9 2-4 3,3
Mexique   18,6   12,3 ≤10 9,5 ≤6,5 8 ≤4,5 4,5
Indonésie   77,6   1,9 3-5   4-6   9-10 8,7
Corée 8-10 7,5   0,8 1,5-3,5   2-4   2-4 2,1
Philippines   9,7   6,7         5-6 3,1
Thaïlande   7,2   1,8 0-3,5   0-3,5   0-3,5 0,4
(a) désigne la cible annoncée et
(b) désigne l’inflation effective
Les données correspondent aux variations en pourcentage à la fin de chaque année, sauf pour la Corée, les Philippines et la Thaïlande où l’on a pris en compte des moyennes annuelles parce que la cible est également définie en termes de moyennes annuelles, Pour l’année 2002, les informations prises en compte sont celles qui étaient disponibles à la fin du mois de novembre,

Source : Ho et Mc Cauley (2003) BIS et données de la banque mondiale (2001)

Pour ces pays, un facteur important est à signaler à savoir le temps. En effet, ils n'ont pas bénéficié d'une période suffisante pour montrer l'efficacité de cet ancrage. Opter pour un objectif d'inflation engendre des changements au niveau du régime monétaire susceptibles à leur tour de provoquer des modifications dans la dynamique inflationniste qui ne se font pas ressentir immédiatement. C'est pourquoi il est important de laisser aux pays le temps nécessaire pour bénéficier des avantages d'un ciblage d'inflation et arriver au résultat escompté.

En Indonésie par exemple, l'inflation est restée sous contrôle. Au premier trimestre de 2000, les prix ont baissé par rapport à l`année d`avant. Les prix administratifs sont à blâmer dans les hausses qui ont été constatées au second et troisième trimestre 2000. En effet, les prix de l`électricité, des transports, des télécommunications et du pétrole ont augmenté et leur hausse a entraîné une augmentation de l'inflation d`environ 2 %. Mais ce qui a le plus affecté la hausse du taux d`inflation de plus de 2,3 %, c`est la dépréciation de la rupiah de 20 % constatée depuis le début de l`année 2000.

La Banque Centrale de l'Indonésie a prévu une cible d`inflation de 5-7 % pour la fin de l`année 2000. En 2002, les pressions inflationnistes ont augmenté conduisant l'inflation à 15 % en février 2002. Mais depuis, avec le resserrement de la politique monétaire, l'appréciation de la rupiah, l'inflation a pu être ramenée en Mai 2002 au taux de 9 %.

La Banque de Thaïlande pour sa part a opté pour des taux d'intérêt bas, en espérant maintenir une inflation inférieure à 2,3 %. L'impact inflationniste de la croissance des prix du pétrole peut être neutralisé par la croissance (15 % au second trimestre 2000). Cette politique semble être appropriée compte tenu de la situation du secteur financier et de l'amélioration de la position du solde extérieur. En particulier, la dette extérieure à court terme a sensiblement baissé allant de 65 % des exportations avant la crise à 27 % en 2000. Les prix élevés du pétrole ont dû accentuer les pressions inflationnistes. Mais les prévisions indiquent que le taux d'inflation en 2000 est inférieur à 3 %. Pour ce faire, d'importants progrès ont été effectués dans la mise en application du ciblage d'inflation. Les autorités monétaires, organisent en effet des réunions bimensuelles et essaient de fixer une cible d'inflation à moyen terme de l'ordre de 3,5 %.

Depuis 2001 l`économie est entrée dans une période de récession. Mais la désinflation s'est tout de même poursuivie en 2000.

Le public a invariablement besoin de transparence. Il a besoin de savoir comment la banque centrale voit et envisage la situation, comment elle agit pour faire confiance à son action. Il a aussi besoin de savoir si la banque centrale est capable de se projeter dans le futur. L'objectif d'inflation semble y apporter la réponse

Le ciblage d'inflation peut profiter aux pays en développement de multiples façons, en leur apportant un moyen de coordonner les anticipations inflationnistes et de cerner la responsabilité des banques centrales.

Alors que l’objectif d’inflation peut être un cadre libre de tout engagement formel et typique du régime de taux de change préconisé, il n’est néanmoins pas libre des considérations du taux de change. Les fluctuations du taux de change ont constitué de sérieux challenges pour la poursuite de l’objectif d’inflation.

En examinant le rôle du taux de change dans les régimes d’objectif d’inflation, il advient de s'interroger sur les circonstances et la manière dont est géré l’objectif d’inflation par les autorités monétaires face aux différents challenges que présentent les fluctuations du taux de change.

En comparant les différentes expériences des pays émergents, il apparaît que :

  • les marchés émergents tendent à être plus exposés aux fluctuations du taux de change pour des raisons liées à l’histoire de leur économie fragilisée par les crises.
  • A moyen et à long terme, les résultats en matière d’inflation s'améliorent. La consolidation de la politique de crédibilité peut être prévue pour aider à réduire quelques vulnérabilités de ces économies

Avec un objectif d’inflation, la banque centrale peut se projeter jusqu’à 18 et 24 mois plus tard et ajuster par conséquent sa position présente pour influencer le résultat futur. Cela devrait aider à minimiser le phénomène d’expansion- récession « boom and bust ». Le flottement du régime du taux de change aide aussi à minimiser le risque d’importantes crises. En termes de transparence et de responsabilités, l’objectif d’inflation est probablement le meilleur instrument de communication. Le public peut avoir des difficultés à comprendre et à saisir les objectifs de croissance de la monnaie, mais n’en a aucun en ce qui concerne l’inflation.

Notes
93.

Les contrôles chiliens sur les flux de capitaux de courte durée ont souvent été cités comme un autre facteur important de la stabilité relative de l'économie chilienne et le succès de politique monétaire, mais la surveillance prudente et rigoureuse était plus importante probablement. Pour plus de détails sur le débat des contrôles de capitaux au Chili voire Edwards S. (1999).