1.1.2. La tonotopie cochléaire

On peut définir la tonotopie comme la représentation ordonnée de la fréquence d’un stimulus dans le système auditif. La manière dont la cochlée code spécifiquement les sons en fonction de leur fréquence a été sujette à de nombreuses investigations et plusieurs théories ont été proposées pour expliquer ce phénomène.

Helmholtz, en 1885, formule l’hypothèse selon laquelle le codage des sons suivrait une théorie de la place. La membrane basilaire serait constituée de petits fragments répondant spécifiquement à une fréquence particulière. Ainsi, lorsqu’un stimulus parvient à la cochlée, les parties de la membrane basilaire dont les fréquences correspondent aux composantes de ce stimulus vont commencer à vibrer et induire un message nerveux. Cependant, Bekesy, en 1948, a démontré que ces fragments n’existaient pas et a proposé une évolution de la théorie de la place en théorie de l’onde propagée. La distance parcourue par l’onde propagée le long de la membrane basilaire dépendrait de la fréquence du son. En effet, la structure de la membrane basilaire n’est pas identique à la base et à l’apex de la cochlée. A la base, la membrane est moins large, d’environ un facteur 5, mais également plus rigide, d’environ un facteur 100. Ainsi, lorsqu’un son de haute fréquence atteint l’oreille, la base de la membrane vibre beaucoup, en dépensant beaucoup d’énergie et l’onde ne se propage pas très loin. Pour les basses fréquences, l’onde peut se déplacer de la base jusqu’à l’apex de la membrane basilaire, avant que toute l’énergie soit épuisée. Cette relation qui lie la fréquence du son et la localisation entre la base et l’apex du codage est nommée carte cochléaire fréquentielle par Liberman (1982). De par l’existence de ce gradient, la membrane basilaire, et par extension la cochlée, sont dites organisées de manière tonotopique (Figure 3).

Figure 3 : Organisation tonotopique cochléaire (A) et réponse de la membrane basilaire aux stimulations acoustiques (B, C, D). Les sons de haute fréquence font vibrer uniquement la partie apicale de la cochlée (B) alors que les sons de basse fréquence induisent une vibration jusqu’à l’apex (D).
Figure 3 : Organisation tonotopique cochléaire (A) et réponse de la membrane basilaire aux stimulations acoustiques (B, C, D). Les sons de haute fréquence font vibrer uniquement la partie apicale de la cochlée (B) alors que les sons de basse fréquence induisent une vibration jusqu’à l’apex (D).

Remarque : Bekesy (1949) est également le premier à avoir démontré qu’en réponse à des stimulations sonores, la membrane basilaire vibrait en décrivant une courbe d’accord. Cela signifie que les cellules de la cochlée codent préférentiellement une certaine fréquence mais également les fréquences voisines de façon moins spécifique. Les courbes d’accord tendent à devenir plus étroites lorsque la fréquence augmente. Cet « accord en fréquence » serait étroitement lié à l’organisation tonotopique de la cochlée et de toutes les voies auditives, comme nous allons le voir.

La théorie fréquentielle propose que le système auditif périphérique ne réalise pas d’analyse du message parvenant à la cochlée, mais qu’il transmet uniquement le message au système nerveux central pour tout le décodage. Dans ce cas, les neurones transmettraient l’information fréquentielle contenue dans le message en déchargeant autant de fois par seconde qu’il y a de cycles dans le stimulus (par exemple, décharger 500 fois par secondes pour coder un son de 500 Hz). Or, les neurones ne peuvent décharger trop rapidement. Au-delà d’une certaine limite, la décharge des neurones est bloquée par la présence d’une période réfractaire. Un deuxième problème lié à cette théorie est que, physiologiquement, une destruction de la partie basale de cochlée induit une perte auditive aux hautes fréquences, ce qui n’est pas explicable dans ce cas puisque toute la cochlée devrait être également sensible à chaque fréquence.

En réalité, les 2 théories citées ci-dessus sont complémentaires et le codage des sons au niveau de la cochlée suit un mécanisme fréquence-place. Un mécanisme fréquentiel est particulièrement important pour le traitement des basses fréquences, alors qu’un mécanisme selon la place est essentiel pour les hautes fréquences (Wever, 1949). En-dessous de 300-400 Hz, le codage selon la place est inadapté et le codage des fréquences supérieures à 4000-5000 Hz ne peut être fréquentiel car cela induirait des décharges trop rapides pour les neurones.

Pour le codage des sons complexes comme la parole, les stimulations sont décomposées dans les fréquences fondamentales qui les composent.

Cet agencement ordonné des stimulations sonores est poursuivi du nerf auditif jusqu’aux voies auditives centrales, permettant un maintien de l’organisation tonotopique le long des différentes structures auditives.