2.2.2.1.2. Après apprentissage

Cette partie sera centrée sur les modifications des cartes auditives à la suite d’un apprentissage associatif, c’est-à-dire lorsqu’un animal apprend l’association entre deux évènements et modifie son comportement en fonction de l’association apprise.

Dans la modalité auditive, de nombreuses études ont montré que les champs récepteurs des neurones pouvaient se modifier à la suite d’un apprentissage. Par exemple, lors d’une tâche de conditionnement classique, avec un son de fréquence donnée (CS+) apparié à un choc électrique aversif, la courbe d’accord des neurones du cortex auditif primaire se déplace progressivement vers la fréquence de CS+. A la fin de l’entraînement, les courbes d’accord retournent progressivement à leur état initial (voir Diamond et Weinberger, 1986 ; Bakin et Weinberger, 1990 ; Weinberger et al., 1993 ; Weinberger, 1995).

Par conséquent, si l’organisation tonotopique corticale découle de la sélectivité fréquentielle des neurones, alors un apprentissage devrait modifier ces mêmes cartes. Certains auteurs ont donc supposé que l’entraînement d’un sujet à une fréquence spécifique pourrait modifier la représentation de cette fréquence au niveau de la carte tonotopique corticale (Weinberger et al., 1990) (Figure 29).

Figure 29 : Probable relation existant entre la plasticité des champs récepteurs et la réorganisation des cartes tonotopiques.
Figure 29 : Probable relation existant entre la plasticité des champs récepteurs et la réorganisation des cartes tonotopiques.

A : Avant apprentissage, le déplacement vers des régions de plus en plus caudales augmente graduellement la fréquence caractéristique des neurones des basses vers les hautes fréquences. B : après apprentissage à 10 kHz, le nombre de neurones codant cette fréquence augmente. La courbe d’accord de certains neurones s’est déplacée vers le 10 kHz. Cette dernière est alors sur-représentée dans le cortex auditif (Edeline, 1999).

Cependant, les résultats obtenus lors des quelques travaux étudiant la réorganisation des cartes corticales après un apprentissage sont contradictoires.

Recanzone et al., (1993) ont entraîné des singes hiboux à détecter des changements de fréquence entre des paires de sons. Le premier son (S1) était soit de 2,5 kHz, 3 kHz, 5 kHz ou 8kHz. Le deuxième son (S2) était à une fraction d’octave de S1 et la différence de fréquence entre S1 et S2 (ΔF) diminuait progressivement à chaque entraînement. Une amélioration considérable des performances comportementales des singes a été observée. En effet, pour chaque animal, la valeur moyenne de la différence ΔF/F diminuait fortement avec l’entraînement. Des données électrophysiologiques ont été recueillies sur trois singes entraînés, deux singes stimulés passivement et trois animaux naïfs. Les auteurs ont noté une augmentation du nombre de sites corticaux ainsi que de l’aire corticale totale répondant à la fréquence entraînée par rapport aux fréquences non entraînées. De plus, deux propriétés des réponses neurales étaient apparemment affectées par l’entraînement : d’une part la largeur de bande de la courbe d’accord des neurones des singes entraînés qui était plus étroite que chez les singes naïfs et d’autre part, la latence des réponses des singes entraînés était augmentée.

Ces résultats concordent avec l’hypothèse d’une modification des cartes tonotopiques par un apprentissage. Toutefois, certains travaux plus récents remettent en cause ces observations.

Brown et al. (2004) ont entraîné 5 chats à une tâche de discrimination de fréquence à 8 kHz pendant 9 à 12 mois. Après entraînement, les seuils de discrimination fréquentielle étaient améliorés selon une fonction asymptotique. La courbe d’accord des neurones codant les fréquences entraînées s’était légèrement élargie, mais l’organisation fréquentielle dans le cortex auditif primaire n’était en rien différente de celle des chats non entraînés. Une modification de l’organisation tonotopique corticale ne serait donc pas nécessaire pour observer une amélioration en discrimination fréquentielle.

Selon les auteurs, la différence de résultats avec les travaux de Recanzone et al. (1993), pourrait provenir de la différence d’espèce animale testée ou de paradigme expérimental utilisé. Ces derniers résultats confirment ceux observés en modalité visuelle (Figure 30).

Figure 30 : Comparaison des modifications la représentation corticale et de la taille des champs récepteurs des neurones après apprentissage dans les modalités auditives, visuelles et somesthésiques.
Figure 30 : Comparaison des modifications la représentation corticale et de la taille des champs récepteurs des neurones après apprentissage dans les modalités auditives, visuelles et somesthésiques.

Les modifications sont exprimées par le rapport de la représentation des aires corticales et des mesures de champs récepteurs entre les animaux entraînés et non-entraînés. A l’origine (1,1), aucune différence n’est observée entre avant et après apprentissage. Les cercles noirs correspondent à l’étude de Brown et al. (2004). Une grande variabilité des modifications corticales est observée à la suite d’un apprentissage en fonction des études (Brown et al., 2004 ; modifié à partir de Ghose et al., 2002).

Les résultats des études d’apprentissage réalisées chez l’humain sont plutôt en accord avec les observations de Recanzone et collaborateurs (1993). En effet, toutes ont observé des modifications de l’organisation corticale suite à un apprentissage (Cansino et Williamson, 1997 ; Menning et al., 2000 ; Jäncke et al., 2001). Toutefois, ces modifications diffèrent selon l’étude considérée : certaines montrent que l’apprentissage entraîne une augmentation de l’amplitude de l’onde étudiée (N1m ou onde de discordance MMN) (Tremblay et al., 1998 ; Menning et al., 2000) alors que d’autres décrivent l’effet inverse (Cansino et Williamson, 1997 ; Jäncke et al., 2001). Il est difficile d’expliquer de telles différences, mais elles sont certainement liées aux différents protocoles d’apprentissage utilisés ainsi qu’à la technique d’imagerie employée.