2.2.2.1.3. Après exposition répétée à un stimulus auditif

L’exposition passive répétée à un stimulus sonore (sans apprentissage d’aucune sorte) peut également engendrer une réorganisation des cartes tonotopiques.

Chez les rats, l’exposition à un son pur de 65 dB SPL pendant les 4 premières semaines de la vie modifie la courbe d’accord des neurones dans le colliculus inférieur et augmente ainsi le nombre de neurones codant cette fréquence (Poon et al., 1990 ; Poon et Chen, 1992). Des résultats similaires ont été rapportés chez des rats plus âgés (Chiu et al., 2003). De même, l’exposition répétée à un stimulus sonore provoque une augmentation de la représentation de ce stimulus au niveau du cortex auditif primaire. Mais elle s’accompagne d’une détérioration de l’organisation tonotopique et de la sélectivité fréquentielle (Zhang et al., 2001) (Figure 31).

Figure 31 : plasticité du cortex auditif primaire consécutive à l’exposition répétée à un stimulus.
Figure 31 : plasticité du cortex auditif primaire consécutive à l’exposition répétée à un stimulus.

Chez des rats très jeunes, l’exposition répétée à un stimulus de 4 kHz (a) engendre une réorganisation des champs récepteurs qui répondaient initialement à 8 kHz (b). Leur courbe d’accord est déplacée et plus de neurones répondent ainsi à une stimulation de 4 kHz (c). Le même phénomène est observable après une exposition répétée à un stimulus de 19 kHz (b, e, f). En revanche, chez un rat adulte, l’exposition répétée à un son de 4 kHz n’entraîne pas de réorganisation corticale (g, h, i) (Zhang et al., 2001).

Des études ont recherché si l’exposition répétée à un stimulus pouvait influer sur les capacités perceptives de l’animal à cette fréquence. Lors d’une stimulation électrique répétée du cortex auditif primaire du rat, la représentation corticale de certaines fréquences va augmenter, mais les performances de discrimination fréquentielle ne sont pas modifiées (Talwar et Gerstein , 2001).

Chez l’humain, ce genre de protocole est plus difficile à mettre en place et il n’existe, à notre connaissance, aucune étude ayant concerné la plasticité de l’organisation tonotopique corticale chez l’humain à la suite d’une stimulation sonore passive de longue durée.

Un cas particulier concerne les travaux conduits chez des patients acouphéniques. Ces patients subissent constamment une exposition répétée à un stimulus sonore (acouphène). Mühlnickel et al. (1998) ont réalisé une étude de magnétoencéphalographie sur l’organisation des fréquences dans le cortex auditif primaire de sujets présentant un acouphène tonal. En utilisant un modèle à simple dipôle, les auteurs ont recherché la localisation du pic N1m et ont observé une variation de la localisation du pic N1m à la fréquence de l’acouphène. Cela a été interprété soit comme une variation, soit comme une expansion de la représentation de l’acouphène dans les zones corticales adjacentes. Si ces résultats semblent assez proches de ceux observés dans le cas de pertes cochléaires abruptes, plusieurs éléments indiquent que le phénomène de réorganisation ne doit pas être tout à fait similaire. Tout d’abord la perte auditive maximale des sujets de Mühlnickel et al (1998) était de 25 dB, ce qui est faible comparé à celle observée dans les études de privation, et insuffisante pour observer une réorganisation chez les chats (Rajan et Irvine, 1996 ; Rajan, 1998) et pour observer des modifications des performances perceptives chez l’humain (Thai Van et al., 2002). Ensuite, la réorganisation décrite chez les sujets acouphéniques était une variation ou une expansion de la fréquence de l’acouphène dans les aires corticales adjacentes plutôt qu’une sur-représentation de la représentation des fréquences en bordure de l’acouphène.

De plus, ces travaux ont permis d’établir un lien entre les phénomènes de réorganisation corticale et leur effet au niveau perceptif. Les auteurs ont montré une forte corrélation positive (r=0,82) entre l’amplitude de la réorganisation corticale et l’amplitude subjective de l’acouphène. Cependant, un examen approfondi de ces résultats semble indiquer que cette corrélation est surtout imputable à quatre patients sur les dix testés.