2.2.3 Mécanismes sous-jacents à la plasticité des cartes sensorielles

Tous les exemples traités précédemment indiquent deux périodes possibles d’apparition du phénomène de plasticité : il serait soit quasi-immédiat, soit surviendrait après plusieurs semaines. Cela laisse supposer que deux processus différents pourraient être à l’origine de la réorganisation. Les deux mécanismes proposés sont d’une part le démasquage de connections présentes mais initialement inactives et d’autre part la croissance de nouvelles connections (repousse neuronale).

Puisque la période de croissance de nouvelles connexions est assez longue, les phénomènes de réorganisation qui se produisent entre quelques minutes et plusieurs heures impliquent certainement le démasquage de synapses excitatrices latentes. Un tel démasquage a de multiples conséquences ; il peut induire une libération accrue de neurotransmetteurs excitateurs, une densité accrue de récepteurs postsynaptiques, des changements de conductance de la membrane augmentant les effets d’afférences faibles ou distantes, le déplacement d’éléments présynaptiques vers un site plus favorable, une diminution d’afférences inhibitrices ou encore une suppression de l’inhibition exercée par des afférences excitatrices (Kaas, 1991).

Parmi toutes ces possibilités, la plus impliquée dans cette plasticité à court-terme est la suppression ou l’inhibition de synapses excitatrices, causée par une réduction de l’inhibition GABAergique. En effet, l’inhibition GABAergique est désormais considérée comme un des facteurs principaux dans la plasticité corticale. Le GABA est le neurotransmetteur inhibiteur le plus important dans le cerveau (Jones, 1993). Les neurones GABAergiques constituent entre 25 et 30% de la population neuronale dans le cortex et leur connections horizontales peuvent s’étendre à plus de 6 mm (Gilbert et Wiesel, 1992 ; Jones, 1993).

Mais cette plasticité n’est pas suffisante à elle seule pour expliquer les réorganisations observées au niveau cortical. En effet, la longueur des arborisations thalamo-corticales est parfois trop faible par rapport à l’expansion corticale observée dans les territoires adjacents (Florence et Kaas, 1995). A plus long-terme, d’autres mécanismes doivent donc s’ajouter au démasquage des connexions pré-existantes.

Dans les voies centrales, de nouvelles connexions pourraient se former entre des zones intactes et des zones situées dans la lésion et augmenter la représentation des fréquences saines. Ce phénomène de pousse neuronale a été démontré dans toutes les modalités (somesthésique : Florence et al., 1993, visuelle : Darian-Smith et Gilbert, 1994, auditive : Bilak et al., 1997).

Dans la modalité auditive, après une lésion périphérique provoquée par un traumatisme sonore, les neurones du noyau cochléaire sont capables de repousser (Bilak et al., 1997). Cette repousse axonale, ajoutée aux phénomènes de démasquage, pourrait expliquer toute la réorganisation corticale observée en cas de lésion périphérique.

Ces deux mécanismes pourraient expliquer les phénomènes de réorganisation se produisant lors de la suppression d’une partie de l’information afférente.

Dans l’exemple d’une perte auditive abrupte, le premier mécanisme de plasticité impliquerait la levée de l’inhibition exercée par les neurones situés dans la perte auditive vers les neurones localisés en bordure de perte. A plus long terme, les neurones situés dans les régions saines pourraient également envahir les régions voisines vacantes, ce qui modifierait la carte tonotopique corticale en faveur des régions saines de la cochlée. Cela engendrerait la sur-représentation de la dernière fréquence saine dans le cortex auditif.

Chez l’humain, il est cependant difficile de vérifier ces hypothèses, puisqu’il est d’une part particulièrement aléatoire de cibler précisément la date d’apparition de la perte auditive et que l’étude de réorganisation à si petite échelle est toujours inadaptée.