3.2. Plasticité secondaire et somesthésie

Au niveau somesthésique, il est aisé de provoquer des phénomènes de déafférentation transitoire chez l’adulte, grâce à l’utilisation d’anesthésiques. Ainsi, le blocage d’un nerf par anesthésie modifie le fonctionnement des neurones privés de l’information afférente dans le cortex somatosensoriel S1 (voir le chapitre précédent) : ainsi les neurones répondent aux régions adjacentes non anesthésiées et un intervalle de temps de 2 à 4 heures est ensuite nécessaire après anesthésie pour observer un retour à la topographie initiale (Metzler et Marks, 1979). Ces résultats suggèrent que la représentation corticale peut être modulée de façon dynamique en fonction des informations afférentes.

Des phénomènes de plasticité plus importants ont été observés chez le singe macaque lors d’une déafférentation à long terme. Lors d’une section du nerf médian sur une longueur limitée, celui-ci peut se régénérer naturellement d’environ 1 mm par jour jusqu’à retrouver son état initial. Dans ce cas, la représentation corticale de la main qui s’était modifiée suite à la lésion retrouve sa topographie originelle (Wall et al., 1983) (Figure 32).

En revanche, des résultats différents sont observés lorsque les extrémités du nerf sectionné sont rattachées chirurgicalement (Paul et al., 1972 ; Wall et al., 1986 ; Florence et al., 1994).

Figure 32 : Plasticité secondaire du cortex somesthésique du singe hibou.
Figure 32 : Plasticité secondaire du cortex somesthésique du singe hibou.

A : Localisation de la région dorsolatérale du cortex pariétal codant les afférences provenant de la main du singe. B et C : Représentation somatotopique de la main du singe sain. D : Organisation somatotopique 142 jours après avoir broyé une portion du nerf médian. Le cortex qui s’était réorganisé immédiatement après la lésion (cf. Figure 22) s’est de nouveau réorganisé au fur et à mesure de la régénération du nerf médian. L’organisation corticale est redevenue semblable à celle de l’animal sain (Wall et al., 1983).

De nombreux champs récepteurs de l’aire 3b des singes macaques sont alors anormalement larges ou impliquent de multiples zones de réponse, alors que l’organisation corticale de l’animal sain est constituée de champs récepteurs étroits et bien spécifiques de certaines de la surface de la peau (Wall et al., 1986 ; Florence et al., 1994, 1996).

C’est cette dégradation des cartes qui est très certainement responsable des difficultés de discrimination sensorielle observées chez les individus ayant subi une lésion d’un nerf, même si ce dernier a été réparé chirurgicalement (Hallin et al., 1981). Toutefois, des améliorations des capacités perceptives peuvent parfois s’observer progressivement au cours de la réhabilitation (Dellon, 1981 ; Wynn Parry et Salter, 1976). Ces améliorations sont certainement liées à des processus de plasticité tentant de restaurer l’organisation fonctionnelle initiale (c’est-à-dire celle présente avant la lésion) dans les voies somatosensorielles. Pour supprimer ces zones corticales anormalement réorganisées, il est également possible de réaliser un entraînement sensoriel sur la main touchée (celle avec le nerf lésé puis réparé) pour induire une réorganisation plus rapide, c’est-à-dire diminuer le nombre de champs récepteurs anormaux (Florence et al., 2001). Cependant, l’entraînement n’aboutit pas une représentation corticale tout à fait normale de la main.

Chez l’humain, ce type d’expérience est bien évidemment beaucoup plus difficile à mettre en œuvre. A notre connaissance, une seule expérience a été réalisée sur le sujet. Giraux et collaborateurs (2001) ont étudié, par imagerie cérébrale fonctionnelle, l’organisation corticale du cortex moteur d’un patient avant et après la greffe des deux mains. Avant la greffe, la représentation corticale des muscles non touchés est entendue au niveau de la région amputée (Roricht et al., 1999). Après opération, les mains greffées sont progressivement reconnues et activées normalement par le cortex sensorimoteur. Les nouvelles afférences ont engendré un remodelage du cortex et inversé l’organisation fonctionnelle induite par l’amputation (Figure 33).

Figure 33 : Réorganisation du cortex moteur lors d’une greffe des deux mains.
Figure 33 : Réorganisation du cortex moteur lors d’une greffe des deux mains.

6 mois après la greffe, les mains sont progressivement reconnues au niveau du cortex sensorimoteur (haut). De nouvelles régions corticales sont activées (bas) (Giraux et al., 2001).