Synthèse et objectifs

Dans toutes les modalités sensorielles, le traitement de l’information est réalisé de manière structurée, grâce à l’existence de cartes qui décodent l’information afférente. Le long des voies auditives allant de la cochlée jusqu’au cortex, il existe une représentation ordonnée des fréquences grâce à la présence de cartes tonotopiques. Les travaux effectués depuis plus d’une vingtaine d’années ont montré que ces cartes sensorielles ne sont pas fonctionnellement figées et notamment qu’une privation de l’information afférente pouvait conduire à leur remodelage. Ce phénomène est dénommé plasticité. Plusieurs études menées chez l’animal ont ainsi montré que dans la modalité auditive les systèmes neuronaux matures des voies auditives centrales sont capables de se réorganiser à la suite d’une perte d’audition. Une lésion cochléaire entraînant une perte abrupte sur les hautes fréquences provoque la réorganisation des cartes tonotopiques dans le cortex auditif primaire et la sur-représentation des fréquences bordant la perte (Robertson et Irvine, 1989 ; Rajan et al., 1993). Des résultats similaires ont été rapportés chez l’humain (Dietrich et al., 2001). Ce phénomène peut engendrer des modifications subjectives des performances perceptives dans des tâches psychoacoustiques de discrimination de fréquence (McDermott et al., 1998 ; Thai Van et al., 2002, 2003). En revanche, les conséquences plus comportementales restent obscures.

De même, peu de travaux se sont intéressés à la réversibilité de la réorganisation des cartes corticales. Dans la modalité somesthésique, suite à la greffe des deux mains d’un sujet amputé, quelques mois sont suffisants pour observer une inversion de l’organisation corticale préalablement modifiée par l’amputation (Giraux et al., 2001). Dans la modalité auditive, bien qu’il existe des techniques permettant de réhabiliter l’information perdue (implant cochléaire, prothèse auditive externe), aucune étude n’a, à notre connaissance, étudiée les conséquences d’un renouvellement de l’information afférente sur l’organisation des cartes tonotopiques.

L’objectif principal de cette thèse était donc d’étudier la réversibilité du phénomène de plasticité engendré par une privation auditive, à un niveau perceptif et à un niveau plus comportemental. Dans un premier temps nous avons objectivé l’organisation tonotopique corticale chez le sujet normo-entendant afin de bien définir les cartes tonotopiques corticales. Ensuite, nous avons régulièrement testé des sujets malentendants en cours de réhabilitation auditive afin de déterminer si la plasticité engendrée par la privation auditive pouvait s’inverser et si oui quel était le décours temporel de cette réorganisation. La dernière étape de cette thèse a été d’étudier les conséquences comportementales de la réorganisation des cartes, à l’aide de tâches de temps de réaction.