Quel serait le mécanisme impliqué dans ce phénomène ?

En ce qui concerne les phénomènes de plasticité consécutifs à l’apparition d’une perte auditive abrupte, Rajan et al. (1993) soutiennent l’idée d’une plasticité fondée sur des phénomènes de démasquage. La perte auditive pourrait induire la levée des inhibitions latérales exercées par les neurones corticaux codant les fréquences situées dans la perte auditive. Cette levée d’inhibition aurait pour conséquence d’induire un renforcement synaptique des fréquences situées en bordure de perte auditive. De plus, elle aurait également une influence sur la représentation des cartes tonotopiques sous-corticales. Un processus de réorganisation serait donc présent à plusieurs niveaux des voies afférentes, où l’atteinte périphérique aurait d’abord un effet sur les relais sous-corticaux acheminant l’information. Cependant, selon les données apportées en somesthésie, la représentation élargie des neurones codants les fréquences situées bordure de lésion est parfois trop étendue pour être liée uniquement à une levée d’inhibitions latérales. Un autre phénomène à long terme peut donc être impliqué dans le processus de réorganisation : le bourgeonnement axonal. De nouvelles connexions pourraient se former pour augmenter la représentation des fréquences saines.

Si ces hypothèses correspondent effectivement aux mécanismes de plasticité mis en jeu, alors l’appareillage auditif pourrait avoir réactivé les fibres codant pour les fréquences initialement dans la perte. Dans ce cas, les neurones corticaux codant les fréquences situées dans la perte auditive coderaient à nouveau l’information afférente correspondante et des mécanismes d’inhibition latérale pourront s’exercer sur les neurones voisins (Figure 36).

Figure 36 : Représentation schématique des fréquences caractéristiques des neurones de A1 chez un sujet sain (A), un sujet malentendant présentant une perte abrupte aux hautes fréquences (B) et un sujet malentendant appareillé (C).
Figure 36 : Représentation schématique des fréquences caractéristiques des neurones de A1 chez un sujet sain (A), un sujet malentendant présentant une perte abrupte aux hautes fréquences (B) et un sujet malentendant appareillé (C).

Cette figure illustre les mécanismes de levée d’inhibition latérale présents chez le sujet malentendant qui permettent une sur-représentation de la dernière fréquence saine. La perte de sélectivité fréquentielle des neurones de la zone sur-représentée est également illustrée (Rajan et al., 1993). Chez le sujet malentendant appareillé l’inhibition latérale pourrait à nouveau se mettre en place jusqu’à la limite d’amplification de l’appareillage. L’éventuelle présence d’un bourgeonnement axonal n’est pas représentée.

Le décours temporel du phénomène de plasticité secondaire observé dans notre étude concorde parfaitement avec ce mécanisme puisqu’il très précoce dans sa mise en action. En revanche, il semble bien peu probable que l’appareillage ait pu inverser des mécanismes de bourgeonnement axonal car ce dernier est un processus à long-terme. Il reste donc à déterminer si l’organisation du cortex auditif après une longue période d’appareillage (supérieure à 1 an) est redevenue identique à celle d’un sujet sain pour les fréquences situées en bordure de perte, ou bien si la réorganisation a uniquement diminué la sur-représentation de la dernière fréquence saine.