Signification fonctionnelle des phénomènes de plasticité

Bien qu’il soit tentant d’admettre que la réorganisation corticale engendrée par le dommage des organes récepteurs soit une compensation centrale de la perte périphérique, il semble que cela ne soit pas l’interprétation la plus appropriée. Dans le système auditif, la réorganisation centrale n’a pas amélioré la sensibilité des sujets pour les fréquences situées dans la perte. Tout comme il est difficile de supposer qu’une portion corticale plus large pour les fréquences en bordure permette de compenser la perte de sensibilité des fréquences voisines. D’un point de vue comportemental, il est de plus difficile d’imaginer en quoi la modification de la saillance des sons en bordure de perte peut être un apport bénéfique.

Ces interrogations sont particulièrement importantes pour comprendre l’utilité de la réorganisation corticale. Est-ce qu’une telle réorganisation joue un rôle compensatoire ? Ou bien est-ce un épiphénomène qui présente peu d’intérêt fonctionnel et qui pourrait même être nuisible? Le rôle fonctionnel d’une réorganisation à la suite d’une lésion périphérique n’est donc toujours pas évident à déterminer. Si, dans le céas d’une amputation, on conçoit aisément que l’augmentation de la représentation corticale du muscle adjacent à celui lésé, est un moyen de compenser la perte partielle du membre, en revanche il est clairement plus difficile de donner un intérêt à ces phénomènes en vision ou en audition.

De même, il a été montré chez les amputés que l’étendue de la réorganisation sensorielle est corrélée au degré de douleur fantôme (Flohr et al., 1995 ; Knecht et al., 1996), permettant à certains auteurs de supposer que la souffrance pourrait être une conséquence de phénomènes de plasticité dans le cortex somatosensoriel. Selon ces auteurs la réorganisation pourrait donc avoir un effet négatif (Chen et al., 2002). De même, chez les lecteurs de Braille, il peut y avoir des erreurs de localisation tactiles liées à ce phénomène (Sterr et al, 1998a, b).

Une autre interprétation à ces observations peut toutefois être formulée. Des étude conduites en somesthésie ont montré que lors d’un infarctus, la surface de la peau qui était initialement codée par la zone corticale lésée est ensuite codée par la région corticale en bordure (Jenkins et al., 1987). Les effets bénéfiques d’un tel cas de plasticité sont facilement compréhensibles : elle s’est opérée afin de préserver toutes les informations sensorielles. Il est possible d’imaginer qu’un tel processus intervienne également lors d’une lésion d’un noyau sous-cortical (le colliculus inférieur par exemple). Or, le noyau ne peut probablement pas déterminer si le manque d’information provient d’une lésion engendrée à sa surface ou en périphérie. Par conséquent, la réorganisation des neurones situés en bordure de lésion s’opère tout de même, même si aucune information sensorielle n’est effectivement perdue.