Conclusion

Les travaux présentés au cours de cette thèse apportent une preuve supplémentaire de la remarquable organisation des systèmes sensoriels ainsi que de leur adaptabilité.

Tout au long des voies auditives, l’information codée en périphérie chemine de façon tonotopique et ce, jusqu’au cortex auditif. Plus qu’un relais, les cartes tonotopiques présentes au sein des différentes structures pourraient être le reflet de différences de codage entre les hémisphères cérébraux (Liegeois-Chauvel et al., 2001). De même, certaines de ces cartes pourraient être spécialisées dans le codage d’une seule des deux oreilles. Toutefois, les travaux conduits chez l’humain, et à un degré moindre chez l’animal, ne permettent toujours pas d’établir avec certitude la façon dont le codage est effectué au niveau du cortex. Les limitations sont principalement d’ordre méthodologique, car l’amélioration des appareils de mesure ira de pair avec l’amélioration des connaissances en ce domaine.

Si l’on considère les cartes tonotopiques comme des voies d’aiguillage de l’information codée en périphérie ainsi que le reflet de l’organisation des différents noyaux, la connaissance rigoureuse de l’organisation des fréquences devrait permettre de connaître les mécanismes qui se mettent en place lors d’un phénomène de plasticité cérébrale. En effet, lors d’une privation auditive (Robertson et Irvine, 1989), d’un apprentissage (Recanzone et al., 1993) ou d’une sur-stimulation (Poon et al., 1990), les structures corticales et parfois sous-corticales s’adaptent à la nouvelle information. Dans le cas d’une perte auditive partielle aux hautes fréquences, la réorganisation du cortex est ainsi objectivée par la modification de l’organisation tonotopique corticale : les neurones qui codaient les fréquences dans la perte auditive se mettent à coder la dernière fréquence saine. Cette modification de la carte tonotopique corticale pourrait également se refléter par une amélioration des performances de discrimination fréquentielle. En plus d’être adaptables, les cartes tonotopiques pourraient se réorganiser plus ou moins continuellement, mettant en exergue des phénomènes de plasticité secondaire. En effet, lors de la réhabilitation auditive de sujets cochleo-lésés, l’amélioration locale des performances de discrimination fréquentielle disparaît. L’apport d’informations aux neurones codant les fréquences situées dans la perte auditive pourrait supprimer la sur-représentation de la dernière fréquence saine. Toutefois, des preuves directes utilisant des techniques d’imagerie cérébrale restent à apporter.

De plus, la plasticité corticale serait un mécanisme extrêmement rapide puisque l’amélioration locale des fréquences disparaît dès le premier mois d’appareillage. Il reste à déterminer maintenant si la plasticité se développe dans les premiers jours ou dans les premières semaines d’appareillage.

Des interrogations demeurent toutefois quant au le rôle du phénomène de plasticité observé lors d’une perte d’information en périphérie. Est-il réellement compensatoire ou s’agit-il juste d’un épiphénomène ?

Chez les sujets présentant une perte abrupte, les seules modifications perceptives observées à ce jour sont une modification de la saillance des sons chez l’animal et une amélioration de la capacité à discriminer des fréquences chez l’humain. Aucune autre conséquence comportementale n’a pu être observée jusqu’à présent.

Une réponse à ces interrogations pourra éventuellement être apportée par l’étude de lésions non plus périphériques mais directement à un niveau central. Dans le cas où une lésion du cortex auditif entraînerait une sur-représentation du codage des régions adjacentes à la lésion, il est probable que les phénomènes de plasticité observés dans nos études ne soient qu’une mauvaise interprétation de la part du cortex.

Néanmoins, que la plasticité observée dans nos études soit directement utile ou non pour les sujets cochleo-lésés, nul doute que ce phénomène permettra dans l’avenir d’ouvrir de nouvelles voies vers des traitements plus thérapeutiques, notamment d’un point de vue réhabilitation auditive.