Le point de vue exclusif ou la voix de la mort

L’instant de la déflagration, (celle de l’arme à feu, bien sûr, qui coïncide avec la mort sociale du narrateur, qui continuera néanmoins de relater les évènements) qui est aussi celui de la rupture dans la causalité « classique » de la nouvelle, n’est pas inscrit dans le récit : celui-ci ne s’interrompt pas mais continue selon des modalités discordantes puisqu’elles brisent l’harmonie et la continuité du monde traditionnel dont se réclamait, au moins partiellement, le narrateur.

Ce point de vue exclusif (dans les deux sens que l’on peut prêter à ce terme) permet au narrateur de voir au-delà, c’est à dire, découvrir ce que les autres ne voient pas, mais surtout ne soupçonnent même pas. Celui-là lui permet donc d’envisager une société et ses faiblesses en dépassant les nominations sociologiques et politiques : car au-delà de la féodalité suggérée par la situation du narrateur, une relation à l’existence est montrée dans ses déficiences et ses a priori, ses résistances et même sa fermeture à toutes les interrogations essentielles portant sur la qualité d’orientation d’une vie humaine et de celles qui l’entourent.

Ce qui permet de déterminer cette nouvelle façon d’envisager le monde, cette expérience d’extériorité absolue, le langage en est le créateur.

Le narrateur, lorsqu’il est de retour dans la vieille maison ancestrale, est en effet pris derrière une muraille transparente qui le garde prisonnier : il voit, mais ne peut plus intervenir ; il ne peut plus agir car sa voix, sa parole ne sont plus entendues. Il est objectivement silencieux, car sa voix ne peut plus pénétrer la diégèse à laquelle elle ne peut plus appartenir.

La voix atteint donc un autre seuil : elle rejoint ce qui « est placé en dehors du récit » de par sa nature même, mais aussi « en dehors de la vie » décrite dans ce récit et communément admise. Elle matérialise le point de vue de la distance définitive, de « l’être ailleurs », qui est en fait, le point de vue de l’autre, de l’altérité et de la non appartenance ou plutôt de la non adhésion, au monde observé notamment.