Dans, le monde n’est saisissable qu’à travers une forêt de signes, denses, obscurs, mystérieux ; il est haché et n’apparaît reconnaissable qu’à travers quelques termes, quelques aspects dont la familiarité retient de manière éphémère le lecteur avant de le jeter à nouveau devant l’étrange nomination de la poésie qui déplace tout ce qui est connu de lui.
Le lecteur est donc face à une épaisseur, même celui qui croit être effectivement introduit à l’œuvre poétique dibienne qu’il a déjà découverte à travers des écrits comme Formulaires ou encore Ombre gardienne.
Cette épaisseur est sans cesse présente à travers l’accumulation langagière : diversité et recherche des mots, choisis, rares c’est à dire non usités même dans les langages spécialisés. Il s’agit plutôt d’un langage archaïsant ou archaïque puisque l’on retrouve des lexèmes attachés à, de la chasse, à la mythologie grecque ou latine le plus souvent, mais également des lexèmes relevant de l’astronomie et de l’alchimie.
Cet usage comporte un enjeu important puisqu’il nous ramène à des catégories de savoirs anciens qui furent historiquement mis en place par plusieurs civilisations du bassin méditerranéen et de la Mésopotamie et qui furent successivement repris par elles comme une sorte de paradigme vital et nécessaire, une sorte de texte palimpseste sans cesse réinvesti et laissé ouvert aux développements divers mais unifiés qui s’y greffent plus ou moins directement.
Ce palimpseste s’élabore entre l’Orient et l’Occident jusqu’au Moyen-âge, sur la base de traductions de travaux connus et traduits d’une langue à une autre, qui permettront notamment aux Arabes et aux Européens de se transmettre et d’échanger des concepts et des représentations qui passeront plus ou moins dans des problématiques philosophiques et scientifiques notamment.
Ici le paradigme linguistique va également intervenir, puisque , par la pratique poétique notamment, une ou plusieurs langues activent sous une autre, comme par exemple la présence de nombreux termes dans lesquels on relève la présence du latin, du grec ou de l’arabe : langues, ici transfusionnelles et transmissionelles qui se désignent mutuellement les unes par les autres et renvoient ainsi, à une opération d’échange et de circulation, autrement productive et dynamique que les classements linguistiques élaborés en termes de catégories séparées de langues(langues sémitiques, langues indo-européennes etc.)
Le lecteur qui se veut également découvreur doit donc devenir ici un initié : c’est à dire apprendre à reconnaître et à utiliser tous les usages parallèles de la langue. Cette dernière devient ici un espace à multiples résonances, dans le cadre duquel, il est possible de déceler des paliers, par lesquels on peut passer.
La langue produit à propos et autour de chaque objet un métalangage alambiqué (cet adjectif n’a rien de péjoratif ; il est au contraire en rapport avec l’alambic de l’alchimie : instrument de transformation, d’épuration et donc de passage, d’un échelon à un autre, notamment.) qui lui donne alors un lustre énigmatique.
La lecture des pièces poétiques d’Omnéros aboutit à une « dé-figuration », puis à un effacement de l’objet dans son aspect connu, à une extinction de ce dernier, puis à sa renaissance en la différence, sous l’accumulation magique des termes de l’évocation, qui glisse imperceptiblement vers l’invocation, puis touche enfin aux confins de l’oraison.