Parcours scripturaux

Pour Meddeb, la parole, l’écriture impliquent le mouvement, la dynamique et par la même le voyage. Un voyage dont les enjeux sont multiples, dont les moyens notamment langagiers sont également multiples. Les langues sont donc convoquées, traversées, chahutées, violentées, alignées dans un ordonnancement qui bouleverse notamment les notions de diglossie et de dominance. De même l’écriture est alignée, déchirée, comparée, marquée et revue à travers diverses démarches comparatives que traverse la productivité du texte. Ecrire devient une sorte de transe voyageuse, à travers laquelle se précise la quête du signe. Ce signe sera d’ailleurs féminisé dans Phantasia à travers le personnage féminin qui portera le nom de Aya. Envolée, puis chevauchée fantastique, une langue débridée, toute de création se déclame, se fait et se déporte sous nos yeux, dans une théâtralité volontiers exhibée, dans un sens sûr de la harangue et du conte.

La/Les langue(s) racontent et jouent leur surgissement, leur cheminement, leur croisement et animent ainsi un espace particulier, qui comme précédemment pour Dib, prend l’alchimie comme modèle et comme support. Alchimie qui modifie et prépare un terrain propice aux transmutation (transes-mutations), et dans Talismano la transe est le premier modèle de l’écriture. Pas de créneau classique, pas de revendications réalistes, seuls des modèles mythologiques sont mis en place dans ce premier roman, dans l’une des références majeures demeure celle d’Orphée, près d’Isis et d’Osiris pour lesquels le simulacre de mort et de résurrection sont essentiels.

La construction du parcours scriptural passe par l’arrachement aux conventions et la remontée aux origines du désir d’écriture qui flamboie sans cesse, à travers différents motifs dont celui du sacrilège, du scandale, de la révolte politique. Comme pour les précédents auteurs, dans ce parcours haché, violent, critique et original, le nom comme identité se reconquiert à travers la complexité même qui l’ébranle puis le restitue infiniment approfondi par le recel profond de chacune des lettres qui le constitue.

Faire ce travail (au sens véritable d’accouchement) littéraire revient donc, tout en créant, à donner et à traduire son idée de la littérature, sa théorie propre tout en traçant et en consommant son nom propre dans une jouissance à la fois survoltée et morbide. Jouissance Bachique, donc démesurée, exaltée qui fait de l’écriture une expérience résolument dionysiaque. E n cela la différence est nettement marquée entre Meddeb d’une part, Khatibi et Dib d’autre part. La culpabilité est inexistante chez celui-là qui se réclame et pratique une liberté de ton, appuyée par une culture très développée qui lui permet de dépasser assez rapidement la question de la langue dominante. Par ailleurs sa nationalité tunisienne, la place spéciale qu’occupe ce pays dans le Maghreb, le moindre effet de la présence coloniale, contribuent sans aucun doute à ce détachement, à la force du ton, à la distance créatrice néanmoins dont font preuve les œuvres de Meddeb .