Khatibi ou le lieu problématique du théorique

Khatibi est un écrivain Marocain qui se distingue par deux types d’écrits, ceux que l’on peut considérer comme proprement littéraires et ceux que l’on peut rapprocher d’écrits théoriques dans lesquels la question du bilinguisme, notamment est envisagée.

Cette approche théorique ne répond cependant pas à tous les critères correspondants à ce genre. Khatibi ménage sans cesse l’ambiguïté entre les genres, comme nous le verrons plus loin.

Cette démarche relève d’une volonté de souligner l’exiguïté des catégories utilisées, par la critique, dans le cadre d’une réflexion que l’on veut scientifique, mais qui a cependant besoin de s’enrichir, de s’étoffer et surtout de dépasser des reliquats, résultant de l’époque coloniale, mais également de réflexions quelque peu mécanistes qui ne prennent pas suffisamment en ligne de compte la profondeur du phénomène du bilinguisme sous tous ses aspects.

En effet, dans l’œuvre de Khatibi, comme dans celles de nombreux écrivains maghrébins, la question est centrale et est vécue de l’intérieur, par conséquent l’angle d’approche est différent et se veut approfondi, mais également au-delà des préjugés et des lieux communs admis dans les différentes disciplines qui abordent la question du bilinguisme, notamment la linguistique.

Le parcours intellectuel de Khatibi ressemble davantage à celui de Meddeb qu’à celui de Dib. Il engage d’ailleurs avec celui-là une sorte de dialogue différé, dont l’enjeu est le nom identitaire, dont il tente de saisir la formation explicite, mais également fantasmée, vécue de l’intérieur à travers les résonances qu’introduisent les appartenances langagières et les jeux qui s’établissent à l’intérieur des langues, maternelle ou d’adoption, même si dans ce cas les délimitations ne sont ni aussi claires, ni aussi tranchées, comme le montrent les écrits de ces trois auteurs.

Khatibi, tout comme Meddeb, est un bon arabisant et donc un bilingue qui expliquera son parcours langagier dans La Mémoire Tatouée , tout en montrant les profondes implications, notamment inconscientes que cette situation entraîne.

Voyage dans le passé, visite herméneutique et anamnèse qui tentent de montrer les ramifications de chair et de sang, mais aussi de langages et de mots qu’entraîne la constitution de soi et de son rapport aux autres. L’identité se révèle être multiple et façonnée par des situations et des interpellations différentes suivant les langues dans lesquelles elles ont été formulées.

Avant ce livre dans lequel il donne à voir le mélange trouble et tragique au milieu duquel son enfance, puis son adolescence émergent, Khatibi a commencé sa carrière littéraire par la publication d’un recueil de poèmes, paradoxal et surchargé, dans lequel il élargissait déjà son horizon d’approche et de comparaison en introduisant une notion-clé de son esthétique , mais également de sa réflexion sur les langues et les signes, celle d’extrême orient, dépassant ainsi toutes les notions dangereusement factices posées par des décennies d’orientalisme, et des centaines d’années de pratiques d’opposition binaire et quelque peu manichéiste, voire même schématique.

Ce recueil, publié en 1978, est intitulé sans peur des contradictions, Le lutteur de classe à la manière taoïste . Les poésies dont il est constitué associent les concepts et les notions marxistes à ceux qui sont issus du Taoïsme ; la démarche n’est pas simple et pourtant, elle est ici tentée et assumée dans un texte qui se veut poétique.

La disposition paginale en vers libre pose donc le terrain poétique de même qu’elle tente de traduire un rythme, qui est notamment servi par l’adresse faite à la deuxième personne vers un lecteur sans cesse mis au défi d’accomplir des prouesses contradictoires.