Un des éléments de remplacement symbolique dans la réflexion sur la différence et sur le bilinguisme apparaît ici : il s’agit paradoxalement du rire qu’il soit ironique, cynique ou même fatal et perdu, il s’inscrit néanmoins comme un élément actif d’une « théorisation » qui prend en considération ses propres limites et ne prétend pas maîtriser l’intégralité d’une réalité sans cesse en fuite et foisonnante.
Regard sans cesse dédoublé, à l’affût de lui-même, l’attitude théorique ou plutôt, la démarche de théorisation veut relever d’une conscience multiple et acérée, qui ne cède pas à la tentation de tout savoir sans en savoir sur soi pourrait on dire, et sans préjuger d’une méconnaissance qui pourrait advenir à soi.
Le lieu du théorique ne peut exister que par et dans le rire car il dépasse alors l’esprit de système. Chez Khatibi, le lieu du théorique ne peut être que celui de l’effraction (et de l’infraction, serait-on tenté de dire.), lieu de la réappropriation de soi et des autres par des matériaux et des formulations inédites ; d’où l’intrusion du « faire » littéraire dont le but est notamment celui de dépasser l’enfermement et de laisser la place à la possibilité de l’avènement de l’imaginaire comme force de dépassement de soi et des limitations idéologiques entre autres.
Le lieu du théorique est le lieu de la création, du passage qualitatif et de la fuite non pas au sens péjoratif de ce terme, mais au sens de la transformation et de l’adaptation et donc de l’inventivité comme attitude qui doit présider au saisissement et à la compréhension du monde.
Pour Khatibi, le théorique n’est possible qu’au prix de cette dérogation :lieu de l’intelligence en acte, il essaie d’adhérer au saisissement de la réalité dans l’éclatement de sa richesse multiple.
Le théorique ne peut être également que provocateur car il s’agit pour Khatibi de mettre en place ou plutôt d’aiguiser une intelligence qui se veut sans cesse nouvelle, qui récupère et modifie les théories philosophiques, entre autres, pour les faire siennes, ouvrant des espaces inédits : « Le sujet se réclame alors de sa blessure, comme il se prête à toute oscillation entre le non-sens et le signe pur.». 75
Dans cette œuvre, le problème du sujet et de sa relation théorique, avec le savoir est posé dans sa dimension essentielle de questionnement fondateur, mais aussi narquois et moqueur, car il s’agit également pour l’écrivain de réfuter toute part définitive dévolue au savoir, comme tabou de ce siècle et de toute discipline. Pour ce faire, Khatibi tente d’instituer une démarche qui sera expérimentée plus amplement dans La blessure du nom propre.
Voir page 12.