Le texte et la culture populaire

Il y a donc chez Khatibi une stratégie du déploiement épistémologique ambivalent, qu’il tente ici d’asseoir et de « légitimer » en se tournant vers des exemples précis qu’il emprunte notamment à la culture populaire (et accessoirement) à la culture savante :

‘« Se mettre à l’écoute de la culture populaire est une forte intervention idéologique qui traverse et contamine toute décision de parole. Ecrire ainsi c’est ouvrir, dans le corps qui parle, le procès du sens historique, par lequel une lutte de classes se déroule aussi à l’intérieur du texte. Le sujet tire à lui le dehors qui le fonde. Et le dissoudra » 81

La culture populaire a en quelque sorte la particularité de dater les traditions, les emprunts, les discours qui se veulent anhistoriques, en mettant en évidence un savoir-faire, une sélection, un détournement de ce même savoir anhistorique qu’elle « corrompra », qu’elle recouvrira, dont elle exhumera des virtualités inattendues et même subversives .

La culture populaire, possède donc, comme le suggère Khatibi une capacité créative, mais aussi une « capacité de lecture et compréhension » qui étire les discours et les textes officiels ou religieux ou autres, vers leur marge, leur non-dit, leur refoulé dira–t-on pour reprendre les termes de Khatibi.

La démarche plus ou moins spontanée, de cette même culture populaire, détournant les interdits et les tabous quelquefois majeurs d’une culture dominante, servira d’exemple à la démarche de Khatibi.

Dans ce sens, il cherchera tout comme elle, à mener sa lutte à l’intérieur des textes, en ayant recours et en s’appuyant sur un examen perpétuel de ses sources, sur la référence continuelle à un double espace celui du même et de l’autre, dans une démarche à la fois conflictuelle et dialectique.

Khatibi ne cède pas à ce qu’il appelle « la nostalgie de certains vieux diplomates désabusés », 82 qui optent pour la distance par rapport à ces jalons populaires, qu’ils pratiquent sans les comprendre, sans chercher à saisir ce que recouvre la lettre dont ils ont la simple pratique :

‘« […] ce qui est mis en jeu […] c’est une certaine théorie de la littérature orale reléguée dans le système magique. Or, cette littérature inclut en elle-même une théorie ontologique à valeur hautement sophistiquée, il faut donner à ce dernier sa charge la plus délicate et la plus riche de manière à cerner dans le texte « les purs motifs rythmiques de l’être » Mallarmé… autant de limites exacerbées du sens et de sa production. Ce savoir fonde une intersémiotique encore inédite.» 83

On saisit ici un élément essentiel de la démarche de Khatibi : le regard sur la culture populaire doit changer pour que l’on puisse découvrir en quoi l’inventivité qui la caractérise peut nous aider à construire une nouvelle théorie des langues en situation de bilinguisme ou même de polylinguisme.

C’est ce que tentera de faire Khatibi : élaborer une nouvelle définition, un nouveau système du savoir basé sur la reconnaissance de la culture populaire, dont il est lui-même issu et dont il partage à la fois les formulations et les capacités de remise en question des paroles établies et dominantes pour mieux s’ouvrir également aux autres cultures avec lesquels « un bricolage » de la personnalité est possible, si on prête à ce dernier terme la définition de construction, modelage de soi sans cesse investi et enrichi d’une interrogation perpétuelle.

Notes
81.

In La Blessure du nom propre, p. 22.

82.

Ibid., p. 22.

83.

Voir La Blessure du nom propre, première partie : le cristal du texte, de la page 11 à la page 22.