Le sens et le délire 

Le problème du sens situé ailleurs, c’est à dire différé explique en partie le recours à l’activité et à une pratique poétiques parce que ces dernières permettent à « l’autre » qui est en nous, de s’exprimer, tout comme elle permet, grâce à la transformation de la langue de donner un autre nom de nous mêmes.

Dans la post-face à Qui se souvient de la mer , Dib tentede faire saisir aux lecteurs les mobiles (et non pas les causes) de sa démarche :

‘« A la vérité, il est difficile d’expliquer tout à fait une manière d’écriture qui est la mise en application d’une théorie préconçue que le résultat d’une intuition et d’un besoin qui n’avait ni forme, ni nom, avant que le livre ne fût commencé. » Plus loin, il parlera également « d’écriture du pressentiment et de la vision » 89

Cette écriture s’appuie donc sur une position différente de l’esprit, tournée en quelque sorte vers l’intériorité, l’intériorisation du monde extérieur notamment pour y puiser des représentations nouvelles, des images dont la constitution ne passe pas par les automatismes des sens, mais par la confrontation avec eux et la recherche du dépassement pour qu’une fidélité intérieure aux faits soit atteinte.

Ce suivi qui se veut fidèle et précis ressemble à celui, obsessionnel qui gère certaines formes de folie : il s’agit alors de dire le plus précisément possible le contenu des visions, des pressentiments, d’expériences qui ne relèvent plus du monde rassurant et consensuel des perceptions et des pensées ordinaires.

Ici l’activité poétique prend en charge le délire. Elle lui donne un cadre. Elle ne l’utilise nullement dans le sens utilitaire (même si cette dimension peut être présente à travers l’aspect exutoire de l’écriture), mais dans le sens pragmatique d’inventer un monde, de l’inscrire, de lui donner une puissance au sens mathématique et philosophique du terme.

Elle débouche donc sur une double possibilité, celle de rendre présente une absence ; et d’exclure celui qui prend parole du « cours normal » des choses, au moins momentanément.

Pratique de l’exclusion donc dans ses dimensions les plus paradoxales car on peut se demander comment et pourquoi une telle sorte d’expérience serait-elle partagée ? Le parcours initiatique, mais étrangement fermé, par lequel transite le héros peut expliquer en partie que cette expérience soit relatée.

Notes
89.

In Post-face de Qui se souvient de la mer, Seuil 1962.