Nous avons vu précédemment que l’organisation du discours khatibien est double : elle implique, d’une part, une inspiration populaire, qui s’appuie essentiellement sur une activité apologétique(voir notre partie concernant l’étude du lutteur de classes)note, mais également sur l’ironie populaire, son aspect énigmatique et goguenard, son énonciation opportuniste et insituable, l’appui qu’elle prend occasionnellement sur le modèle de la folie plus ou moins éclairée, à la manière de Djoha, ou celle plus extrême ou plus « chiffrée » de Baba hodja, personnage turc ou iranien, en tous cas propre à ces civilisations ; dont la référence reste la mystique sous son aspect le plus inattendu.
Nous retrouvons également dans l’origine de son écriture un modèle savant, une attention particulière portée notamment aux théories de critique littéraire les plus novatrices à l’époque où il écrit : interpellation du marxisme, utilisation de la psychanalyse, interrogations de la linguistique et de la sémiologie, des tendances les plus en vue de cette critique avec la déconstruction du texte à la manière de Derrida, dans ses aspects les plus radicaux.
Un autre modèle savant vient également se sur imprimer à tous les autres : il s’agit de la référence et de l’utilisation des modèles savants arabo-islamiques, qui ont existé notamment au siècle d’or des arabes, entre le neuvième et le douzième siècle, lors du développement raffiné de cette même civilisation .
Derrière cette constatation, vient se profiler un débat essentiel qui avait agité principalement l’Espagne alors andalouse et qui avait lieu entre deux illustres personnages, dont les avis allaient être essentiels dans le développement ou la disparition de la civilisation évoquée plus haut. Ces deux personnages sont Avicenne, Ibn Sina en arabe, et Averroès ou Ibn Rochd. Entre les deux, le débat porte sur la notion de vérité ontologique, sur les rapports de la science ou des sciences et de la vérité.
La question essentielle est de savoir de quelle nature est la vérité : immatérielle et transhistorique ou matérielle et historiquement datée ? De savoir si ces deux énoncés, ces deux alternatives sont nécessairement contradictoires et opposées ?
Cette formulation des problèmes habite discrètement les écrits de Khatibi, surtout lorsqu’ils se veulent en débat avec les sciences, humaines plus particulièrement. Il existe chez cet écrivain une quête de la vérité qui passe par l’interrogation de certaines disciplines, tout comme elle passe par ce modèle d’interrogation, ample et en dialogue avec les inquiétudes de son temps et de sa culture d’origine.
Dans ce cadre, on peut repérer dans son texte le même souci de légitimité et de généalogie que celui qui existe chez Meddeb, et qui va se formuler avec le même souci d’authenticité et de refus de la facilité.