Comique et parodie

Dès son premier écrit littéraire, Khatibi s’engage dans la voie d’une liberté de ton et d’expression que l’on retrouvera par la suite sous différentes formes. Il utilise d’abord un registre littéraire usité assez souvent chez les écrivains maghrébins ou africains pour mieux affronter l’institution littéraire française : il s’agit du registre comique qui va même jusqu’à être grotesque, sinon vulgaire lorsqu’il le faut. Le choix de ces registres ne relève pas d’un simple besoin populo-communautaire ; il traduit au contraire la position de défi et de détermination de ces écrivains.

Ils cherchent en effet à déstabiliser les habituelles hiérarchies qui continuent d’habiter, même implicitement les pratiques et les classements littéraires de la métropole : le rire grossier, notamment est ici utilisé comme une arme, de vengeance éventuellement. Son objectif est de dénoncer, de refuser, de souligner les incongruités et les absurdités admises par les consensus et les habitudes qui sont les plus sûrs alliés du conformisme social.

Ce registre, habituellement utilisé pour aborder et traiter les problèmes de nature sociale ou morale est grandi par les auteurs qui l’utilisent ; il devient un des moyens de traiter l’absurde au quotidien, le seul moyen peut-être de l’affronter et de se mesurer à lui dans l’ampleur étouffante qui le caractérise particulièrement dans les pays dont sont originaires ces auteurs.

Le registre comique tel qu’il est utilisé par Khatibi comporte plusieurs nuances, dont celle de la parodie et celle du rire burlesque dans sa puissance d’arrachement des signes sociaux et de défiguration qualitative. On rappellera que la parodie implique notamment une imitation de registres littéraires oraux ou écrits, imitation empesée et grandiloquente, donc qui va s’appuyer sur l’emphase et une fausse solennité et dont le but, en dernière instance, est celui de mettre en évidence un rapport de remise en question, voire de dénonciation d’un discours établi et dominant.

Les voies de cette dénonciation ne saurait être classiques : elles se veulent perverses pour mieux contribuer à l’éclatement de l’intérieur de ce même discours en soumettant sa constitution et sa structure même à la pression d’un démantèlement aigu, qui passe par le soulignement de chacun de ses constituants pour mieux mettre en évidence un e de ses faiblesses. Pour ce faire, la parodie utilise des contre-discours , s’appuie également sur les tabous sociaux ou d’autre nature ; tout comme elle s’appuie sur une inversion des valeurs obtenue par le recours aux contre-valeurs, mais également par l’utilisation de lexiques inattendus, ostentatoires et/ou vulgaires.

Khatibi inaugure cette voie dès Le Lutteur, dans lequel il commencera par mêler les références dans une énonciation particulièrement originale et déstabilisatrice puisqu’elle s’inspirera d’un registre existant en français, mais également et surtout en arabe populaire. Outre la puissante ironie qui se dégage de son texte et qui est reconnaissable à l’adresse au lecteur, à la disposition de la thématique traitée , comme, par exemple le mélange des références des plus grandes écoles de pensée des années soixante-dix, dans le cadre de mise en garde, de conseils par exemple ; on trouve également une originalité de ton dont la référence est la harangue au public, qui oscille entre le boniment de foire(le sens n’est nullement péjoratif ici), et le discours du sage-conteur-philosophe, de toutes les façons en prise avec son public.

Les catégories de prise de parole sont donc importantes ici, notamment parce qu’elles introduisent une référence très importante à l’oralité, et qu’elles disposent dans l’espace de l’écrit, des repères qui sont essentiellement oraux : puissance de la voix, diatribe publique, gestuelle phrastique, dirons nous, qui impliquent fortement le jeu du corps et sa force démonstratrice dans certains cas ; d’un autre côté, elles induisent déjà la force de l’excès dans la mesure où est rendu présent au moins par désignation indirecte, dans l’espace de l’écrit, une visualisation de la parole qui se démarque de celle classique à laquelle se plient la plupart des auteurs appartenant à cette même obédience classique ou dirons- nous occidentale, surtout lorsque ces discours relèvent plus ou moins directement de la philosophie.

De cette démarche parodique qui arrache les jalons tranquilles de l’écriture, surgit un effet de burlesque puisque sont précipités dans « l’arène » d’une parole qui se fait à coups d’ellipse, de boniments, de diatribes et de libelles, les écoles réputées les plus achevées du point de vue de leur argumentaire.

La philosophie dont il est question ici rejoint en quelque sorte l’espace public au sein duquel elle trouve une autre énonciation qui la prend en charge et l’évente ; de même qu’elle lui donne un prolongement inédit, populaire, mais surtout, elle contribue à une sorte « de mise à plat » de tous les angles saillants de ces écoles philosophiques pour mieux mettre en commun ce qui les caractérise, à savoir l’aspect contestataire, voire même révolutionnaire, au sens étymologique du terme.

La révolution réside ici également dans l’exploitation qui en est faite et dans la forme que met en place l’acte poétique qui préside à la mise en place du Lutteur.

La démarche parodique s’appuie également sur le recours à l’école taoïste extrême orientale caractérisée par l’extrême dépouillement de l’univers qu’elle révèle et qu’elle exprime le plus souvent dans des formes abstraites, fulgurantes et condensées qui lui permettent notamment « de frapper » au point nodal de la rencontre entre le sentiment et l’abstraction, sans passer par le long détour de l’argumentation ou de l’explication.