Théâtralisations et nominations de soi

Chez Khatibi, la théâtralisation joue un rôle essentiel : elle contribue à mettre en place la faconde de l’énonciation, mais surtout, elle permet de déployer avec force les éléments d’une démarche de mise en place/retrait de soi, ce dernier point ne pouvant apparaître qu’à travers une mise en scène, qui implique la volonté et le désir d’être et d’apparaître sporadiquement dans le déguisement et la fuite. Les deux modalités s’inscrivent d’ailleurs dans une stratégie de la séduction dans laquelle l’identité qui est en jeu, ne doit jamais apparaître en tant que telle, c’est à dire comme définitivement réglée ou délimitée. Cette dernière passe par des opérations de grimage répété de soi.

La théâtralité apparaît donc, dans ce contexte, comme une opération majeure dans le cadre de laquelle l’écriture et son support (à savoir le roman ou la poésie) prennent des sens multiples à travers lesquels dominent essentiellement l’attitude du « chasseur », embusqué et méfiant, qui ne délivre jamais de message sans être à l’affût dominé par un certain sens de la distance, de la capture et de la mise en scène. L’opération de l’écriture tient ici de « la tactique » ou de « la ruse », comme Khatibi le dit lui-même par ailleurs. 100

L’écriture relèverait de cette tactique dans la mesure où elle dépose des réseaux, des rets même , dans lesquels l’image de soi ou des autres est sensée être déposée ou capturée, mais plutôt sous forme de traces ou même de palimpseste.

En effet, cette opération de dissémination/reconstitution en évent définitif concerne d’abord celui qui prend la parole, c’est à dire le locuteur moqueur, essentiellement ironique et même plus ou moins dénigreur, disposant donc d’une identité multiple, écartelée entre plusieurs dispositifs, dont la parodie reste la référence de construction essentielle.

Cette identité, comme nous l’avons vu pour Meddeb, est éventée sur/dans le texte, dans lequel « elle se formule », cachée ou dissimulée derrière certains motifs, comme ici la harangue et la faconde, sans pour autant y être déposée de manière définitive.

Elle est également itinérante, puisque dans le même texte et dans des textes différents, elle ne se laisse pas saisir de la même manière : le lecteur est également convoqué dans un jeu de miroirs. Le Maghreb dont il est question ne peut être séparé du « je » ou de la forme énonciative qui le prend en charge ; présentation qui ne prend pas les repères habituels, c’est à dire ceux auxquels est préparé le lecteur par la presse et une certaine critique dominante, même lorsqu’elle est universitaire. 101

A travers le narrateur lui-même et la convocation qu’il effectue de lui-même, il se retrouve confronté à une image de lui, renvoyée par le texte, dans lequel les jalons habituels de la communication ont changé. L’image qu’il cherche donc à donner de lui est également chiffrée, au sens où elle n’est plus l’objet de sa propre construction, mais où elle subit le contrecoup d’une action de diffraction et d’éclatement du texte au sein duquel s’engage une sorte de course poursuite, dont les enjeux sont la ressemblance/dissemblance.

Dans ce cadre, la théâtralité intervient également dans sa dimension d’ouverture de la profondeur scénique. En effet, elle permet, dans la forme de l’énonciation, de jouer sur la mise en abyme de soi, sur la dialectique de l’apparition/disparition, sur la possibilité d’une multiplication à l’infini, avec ou sans variation, d’une figure (celle de l’émetteur, celle du livre, celle du personnage et celle du narrateur comme c’est le cas dans Le Livre du sang.

Cette théâtralité, même dans un ouvrage aux ambitions qui semblent plus théoriques comme Maghreb Pluriel par exemple, et l’envergure réelle qu’il possède sur ce plan, permet de suspendre sans fin la définitive identification des figures de l’énonciation , de jouer donc sur un clair-obscur qui donne aux notions et aux paroles un relief inattendu et révèle ainsi leur versant interrogatif ; et permet surtout de dissimuler la voix définitive qui prend parole, en faire une substance miroitante, fuyante, dissimulée au milieu des transformations qui la recouvrent.

Cette quête assumée en tant que telle, de l’inaccessibilité est aussi une quête de la difficulté dont se réclame clairement Khatibi : dès ses premières productions jusqu’aux dernières, ses écrits se caractérisent par une complexité d’abord lexicale, qui rend leur abord difficile et dépaysant, comme si le locuteur était en présence d’une langue étrangère.

Le ton adopté par l’écrivain, accompagnant et rythmant cette écriture, est celui de l’emphase et de la grandiloquence pour la mise en place desquelles il déploie une stratégie appropriée : d’abord, l’ubiquité : la narration et l’écriture chez Khatibi pratiquent en quelque sorte la différentiation car d’une œuvre à l’autre, le point de vue adopté n’est pas le même.

L’écrivain est aussi le théoricien ; il est admiratif ou critique, chroniqueur de son propre point de vue ou de sa propre existence comme dans La mémoire tatouée.

Nous n’avons pas seulement à faire à un dédoublement mais à une polyvalence : l’instance dont il est question travaille sur tous les plans, comme s’il s’agissait de maîtriser ou à défaut de mettre en place toutes les entrées possibles et les possibilités diverses de pratiques du texte.

En dernière instance, existe toujours la redoutable possibilité du retrait de cette instance, de son recul et de sa disparition derrière « l’obscurité » volontairement mise en place de sa disparition. Il y a donc là une démarche volontaire de jeu sur l’instance énonciative, sur la voix qui exhibe cette puissance de dévoilement/voilement, qui s’attache à construire un texte à difficultés, un parcours qui se dérobe, dans lequel le lecteur ne reconnaît pas toujours les jalons qui lui ont été proposés ou qu’il a cru voir posés.

La parodie permet d’entretenir ces ambiguïtés, mais au-delà de cette explication, une autre orientation peut apparaître : le rapport du je au jeu.

Pour Khatibi, le modèle occidental et moderne d’écriture, du moins celle que l’on reconnaît officiellement comme telle, est nettement insuffisant. Il ne lui permet pas de prendre en charge l’énonciation dans toutes ses possibilités et dans le souci d’exigence qu’elle peut présenter.

D’où l’implosion volontaire de la diégèse, des « personnages »scindés le plus souvent en deux, trois, voire plusieurs instances et voix ou même représentations comme dans Le livre du sang par exemple, des intrigues également qui ne peuvent échapper à l’induction de la puissance verbale, de son déferlement excavateur, qui vient d’au-delà de la socialité et des catégorisations qui l’accompagnent qui sont ici ébranlées et mises bas.

L’origine de la démarche d’écriture est ici aussi un sursaut, un arrachement, une révolte, un mouvement qui vise la simplification à outrance qui accompagne cette même socialité dont nous parlions plus haut, particulièrement lorsqu’elle tente d’infléchir le domaine littéraire ou artistique.

L’écriture est donc, pour Khatibi, une opération à travers laquelle l’écrivain et sa prise de parole veulent d’abord être confronté à la complexité des rapports à établir avec l’environnement culturel.

Cette complexité n’exclut pas celle de la voix qui prend parole, se construit dans cet acte, tout en déployant une stratégie d’approche de toutes ces variables. La mise en texte relève donc ici du défi’ de l’outrance même dans le sens où il se présente comme un parcours extrême qui passe notamment par les méandres de sa composition, et donc par l’épellation du nom propre et de sa reconstitution qui ne peut s’opérer que grâce à plusieurs sauts qualitatifs comme nous l’avions vus précédemment.

Plusieurs opérations relèvent en effet de registres différents dont l’histoire, la poésie par exemple. Mais surtout, cette épellation ne peut exclure le rapport à la connaissance, à l’opération du savoir ou de la mise en perspective de ce savoir.

Ce dernier présente lui-même plusieurs facettes auxquelles l’écrivain et le narrateur s’intéressent : savoirs « modernes » issus principalement de la civilisation européenne moderne et occidentale ; savoirs historiques issus de la civilisation arabo-musulmane et savoirs traditionnels issus des pratiques populaires, qui ont institué un rapport aux seconds, ont travaillé dessus et ont récupéré d’une façon ou d’une autre pour les intégrer dans une praxis sociale soucieuse d’efficacité sur le terrain.

Ce dernier rapport induisant lui-même le rapport de transformation de ces cultures, intéresse au plus haut point l’écrivain, dans la mesure où lui-même se considère comme confronté à ce même problème : dans sa vie quotidienne, dans sa quête de vérité personnelle, que doivent devenir tous les éléments que sa formation et sa recherche lui ont permis de glaner, de rassembler, de prendre en ligne de compte ?

A cette question, il répondra par le choix plus ou moins explicite de l’ironie et de la subversion, pratiques vivantes du texte qui s’appuient et permettent l’évidemment du sens de tous ces éléments ; ce qui leur confère le statut de rituels, dont les aspects esthétique et exutoire sont à mettre en évidence car ils permettent de sémiotiser et de séculariser des éléments tabous, de les introduire ainsi dans une pratique de la quotidienneté.

Khatibi entreprend l’approfondissement de cette question dans son ouvrage intitulé La blessure du nom propre, dans lequel il démontre cette action essentielle de décantation et de détournement constituée par la récupération des savoirs historiques, notamment ceux qui ont pris forme avec et autour du Coran. Ces récupérations, ces bricolages culturels rendent compte d’un rapport dynamique à la culture de base (et donc à un refus d’accepter de manière linéaire et univoque le discours établi et doxique).

Cet artisanat qui pivote autour de la culture savante est principalement constitué par l’usage des proverbes, le tatouage, la littérature licencieuse et érotique. Cet ouvrage à la facture et au ton originaux, se donne pour but de mettre en place une théorie ou du moins une mise en forme langagière d’une praxis réelle et actuelle. Ce détournement, cette réécriture, l’intertextualité détournée et ludique que pratiquent ces écritures intéressent particulièrement Khatibi parce qu’ils offrent une palette variée d’opérations d’écritures, de lectures, de créations qui proposent un double rapport aux cultures dominantes : rapport d’intelligence et de compréhension, de pénétration également ; associés à un rapport de recul, de défi, d’ouverture et d’appropriation.

Ce qui constitue pour Khatibi, les moyens de mettre en place ce qu’il appelle un « intervalle nomade » 102 , à partir duquel une autre création est possible. Prendre en ligne de compte ce rapport vivant, historique, qui transforme les signes en signes-agissants, ces derniers dépassant leur simple fonction utilitaire pour devenir réflexifs (au deux sens de ce dernier terme : réflexion et réflexion), c’est à dire qu’ils acquièrent le pouvoir de laisser une empreinte réelle, efficiente, dans le texte. D’ailleurs, dans le cadre de l’intersémiotique proposée par Khatibi, plusieurs systèmes de signes opèrent en même temps dans le même espace de production qui est le texte.

Khatibi essaie donc de construire et de proposer une théorie du texte, qui éclairerait sa pratique d’écriture, tout comme elle donne un éclairage probant sur sa pratique de lecture des textes littéraires, plus particulièrement ceux des auteurs maghrébins. Cette volonté de théorisation rend compte explicitement d’un rapport avec le savoir, mais aussi d’un « devoir d’écriture », et d’analyse dont l’écrivain se sent investi, devoir qui possède une incidence et une signification historiques. Ainsi, Khatibi n’exclut pas la question du politique, il la désigne et la prend en charge, lorsqu’il aborde les questions, notamment philosophiques, qui caractérisent son temps et ses cultures d’obédience et d’appartenance, en tant qu’homme et en tant qu’écrivain.

Son positionnement ancre l’œuvre dans le siècle et les différents débats de l’heure. Il permet de mettre en évidence la fonction interpellative et presque orale dont il veut l’investir pour qu’elle fasse des lieux et des pratiques de l’écriture un espace intercommunicatif, d’interventions plus ou moins différées, dont le souci reste le marquage de l’absence/présence du narrateur, le dessein d’amener l’autre à parler avec soi, de soi, autour de soi : donc amener l’autre à nous percevoir à travers l’exhibition de notre intelligence au travail.

Cette intelligence (celle du narrateur) apparaît brillante, complexe, originale et donc le plus souvent attirante pour un éventuel partenaire intellectuel, qui serait le lecteur au-dessus de la moyenne, notamment l’universitaire.

Les moyens utilisés, la démarche choisie par Khatibi rentrent donc dans une stratégie de la séduction ou de Grand Jeu avec ce qu’elle implique d’excès ou de « surfait », de traque et de fuite, de grandiloquence, de dissimulation et de cryptage : le texte doit en effet fournir des caractères d‘épaisseur, de feuilletage multidimensionnel derrière lequel va s’embusquer la voix aux aguets du narrateur qui quittera un masque pour l’autre comme il l’a fait dans ses différentes œuvres.

Cette séduction s’oriente en quelque sorte, ou se « distribue » selon un double sens, puisqu’elle comporte un aspect de mise en évidence, de « chiqué », d’exhibitionnisme dont le but premier est d’attirer l’autre, de lui proposer un « horizon de lecture »ici, mais également de lui procurer une possibilité de rencontre et d’échange (dont la dimension d’érotisation n’est jamais très loin).

Cette possibilité, pourtant, s’avère sans cesse compromise, dans la mesure où elle est différée, par plaisir, mais aussi par une « pulsion de nature sadique et agressive », et surtout parce qu’elle s’inscrit dans une stratégie de séduction, dans laquelle l’absence est une constante essentielle. Il s’agit donc de faire violence aux lecteurs, de retarder l’échéance de l’apparition de soi en tant que tel, si tant est qu’elle puisse exister.

La séduction, jeu théâtral et existentiel, devient donc le code de lecture et de déambulation dans l’œuvre, proposé au lecteur, à travers lequel il ne pourra vivre qu’une identification déceptive, qui lui offre cependant la possibilité de vivre des paroxysmes de plaisir, orgastiques même, lorsqu’il croira se reconnaître comme le destinataire, même momentané, de la mise en scène livresque, dont le but dissimulé est celui de l’attraper, de le faire « sien », tout en continuant à fuir derrière le rire et l’énigme.

L’épaisseur du langage, la fuite ludique entretenue, les problématiques à facettes font partie du cryptage du texte qui devient ici une sorte de jeu de piste, un parchemin sur lequel viennent s’inscrire différentes écritures, toutes destinées à développer des dimensions complexes du dessin sans cesse renouvelé d’une écriture codée, mais dont le code est sans cesse violemment arraché à celui qui croit le posséder de manière définitive.

A défaut de savoir quel est « le lectorat connu » de Khatibi (puisque ses livres ne peuvent se lire comme des romans, qu’ils refusent d’avoir une dimension d’objets de consommation), nous savons néanmoins que certains écrits universitaires ont quelquefois perdu leur aspect doctoral ou magistral pour devenir des lieux d’échange et d’interrogation entre le critique et l’écrivain. Car celle-là s’est mise dans une position de disponibilité, de demande et de dialogue avec cet écrivain pour tenter d’accéder et de saisir la fluctuation de cette pensée et de cette parole, en réponse à la dimension esthétique, violente et profondément interpellative de l’œuvre de Khatibi.

Les différents travaux qui se sont mis en place autour de son œuvre révèlent pour beaucoup, ce même souci de saisissement, de « capture », d’échange avec une parole qui remet en question leur statut et appelle à des changements de nature culturelle dans le domaine de la production universitaire.

La provocation que l’œuvre de Khatibi comporte, se situe à ce niveau : l’extrême conscience de déplacer les règles de la parole et de la prise de parole : cette dernière, dans son aspect universitaire, ne possède plus l’herméneutique des messages, comme elle croyait pouvoir l’affirmer les décennies précédentes. Elle est investie par un Maghreb « noir » ou « blanc » parce que profondément dissimulé et se voulant comme tel, tourmenté, multiple, cultivé, d’une culture quelquefois inaccessible à l’autre ; les rapports sont inversés sciemment, dans une jubilation qui confère aux textes leur inconfort, mais surtout leur force et leur beauté.

Nous venons de voir et de saisir quelques uns des aspects pragmatiques de ces écritures qui s’attaquent plus ou moins directement aux normes de la production de la parole et ses prolongements dans le domaine de l’écriture, telle qu’elle est pratiquée dans les différentes institutions que sont la littérature et les diverses appuis qui la soutiennent. Nous avons dégagé pour chacune d’elles des caractères particuliers plus ou moins communs.

Ainsi, entre Dib et Meddeb, nous avons montré l’importance du rattachement ou du « sanad » qu’il soit de nature « mystico-esthétique », ou plus « coranique » : dans les deux cas, ces « soubassements » ou ces horizons alimentent un échange, qui engage le narrateur et distribue de manière différente de celle prévue, les connotations et les implicites impliqués par les attentes classiques du lecteur.

L’appartenance recréée à la chaîne des amours sublimes contribue à donner une identité renouvelée et historiquement située au narrateur-conteur Meddebien. Tout comme son épellation originelle/nale et sa relecture, multiple culturellement, de ce même nom contribue à créer un texte « génésique », qui possède une puissance imaginale, mais aussi culturelle efficiente qui agissent en modifiant les données « objectives » ou retenues comme telles par l’histoire ou la critique littéraire. Le texte devient donc l’activation au sens chimique du terme d’une modalité tourbillonnante des sens perturbateurs, mêlés, codés surtout car insaisissables en dehors de ce rattachement particulier.

De même, chez Dib, le texte et la prise de parole qui en est à l’origine sont donnés à voir, à écouter ou à saisir, avec l’inscription lointaine de diverses mises en échos comme nous les avons appelées, des rapports subtils qui mettent en jeu des références, des textes et des problématiques originales, peu vulgarisées et peu accessibles le plus souvent pour mieux marquer la problématique de l’accès, de la pénétration dans l’œuvre.

Celle-ci n’étant plus un espace déambulatoire et transparent, mais au contraire un espace conçu comme un labyrinthe, dont la traversée- lecture reste du ressort de la quête. Cette dernière passe d’ailleurs par une sorte de mise à niveau de soi-même, par la lecture, par l’enrichissement de sa propre culture et de ses propres « bagages culturels » notamment, par l’acceptation tacite mais effective de la remise en question de soi, au moins minimale. Néanmoins, chez Dib, une des forces agissantes, à l’origine de la prise de parole, dont la puissance marquera le plus le texte et l’incurvera définitivement dans le sens de la fermeture et du secret, reste la nostalgie.

Cette dernière n’est pas une attitude de renoncement ou de repli sur soi des narrateurs ou des œuvres dues à cet écrivain. Au contraire, attitude prospective, elle active le texte dans le sens d’une recherche incessante de ce qui pourrait le plus le rapprocher de l’expression et de la prise en charge d’une impossible tension, appelée à devenir également celle du lecteur.

Puissance mystique, du retour et du cheminement, elle assume cette fonction dans le texte dibien, tout en conférant toute sa portée à la recherche nominative et identitaire, même déceptive qui caractérise cet auteur.

Khatibi implique dans son écriture le même « volume » en amont de l’œuvre, qui nécessite du lecteur la prise de conscience de la valeur fondatrice et « épellatrice » de la lecture, ou plutôt des lectures, traversantes des deux langues, au moins, dont le narrateur se réclame.

Néanmoins, la dimension poétique, ironique et langagière de l’œuvre provoque également l’attachement du lecteur qui passe en quelque sorte par un détournement de l’acte de compréhension, qui n’est plus purement intellectuel, mais implique la dimension « participative », à la faconde, à la farce, à la logorrhée ironique et jouissive qui ouvre le texte et le livre vers d’autres modalités de la lecture et de la réception.

L’énonciation poétique permet donc à ces trois auteurs de poser leurs écritures et l’originalité particulière de chacune d’elles, d’attendre et de provoquer une opération de lecture chez le récepteur, tout en restant attentif à leur ligne de fuite, pourrait-on dire. Ils disent tout en désignant la profonde nécessité de saisir et de se représenter toute la densité des énonciations, des mondes plus ou moins désignés par leurs œuvres : refus de céder à toute facilité, mais aussi tout terrorisme intellectuel, notamment celui de la simplification, de la « démocratisation » qui a fait tant de mal, en Algérie surtout.

Leurs œuvres démontrent, si besoin en était, que le problème de la réception des œuvres et de leurs lectures n’est pas uniquement lié à celui d’une écriture difficile et codée, mais qu’il est également et surtout lié à celui de l’absence de préparation des publics à cette lecture. Il est lié aussi à la préférence officielle de la facilité d’accès à des œuvres volontairement tronquées de leurs dimensions symboliques, et au travail insuffisant d’une critique, qui le plus souvent affolée par « l’indigence » des lecteurs, se refuse à leur donner ou du moins provoquer l’impulsion de l’exigence et de la remise en question et va donc dans le sens des idées dominantes.

Notes
100.

Voir la partie de mon travail consacrée à l’énonciation inconfortable chez Khatibi, page 136 à page 139.

101.

Voir la préface à La Mémoire tatouée.

102.

Voir la préface à La Mémoire tatouée.