La métaphore du coït

‘« La métaphore du coït régit le monde. » 133

Cet adage affirmatif et son usage dans le « récit » se rattache indirectement à la dynamique mouvante dont est constitué le texte de Meddeb. On constate ici une résurgence d’une opération symbolique que nous avions déjà vue dans Talismano, à savoir, une inversion des valeurs communes, au profit de la vision au-delà des apparences physiques.

En effet, contrairement à l’usage répandu, le monde physique, la sensualité la plus marquée et la plus triviale devient ici un symbole, mais surtout une voie d’accès vers le monde métaphorique, vers la signification démultipliée et intérieure des choses du quotidien.

On peut donc envisager ici une équivalence importante : le monde physique, concret, n’est qu’une apparence, une évanescence passagère, des voiles au-delà desquels seule la vision peut aller, celle que pratique justement le narrateur.

Derrière l’affirmation de la pérennité du monde physique se dessine le bien-fondé de l’activité de la vision : le monde matériel s’ouvre sur celui des images et des symboles, puis sur celui des idées, ou plus exactement sur celui des forces tutélaires qui interagissent et interviennent de manière dissimulée dans la quotidienneté restrictive qui nous est proposée.

En vertu de ce principe posé, le coït, réalise de la force d’Eros, dans le mouvement, la transformation et la métamorphose. L’opération de l’écriture essaiera de saisir ce mouvement et d’en dessiner les perspectives, ainsi que les transformations figurées par toutes les images qui se mêlent dans un intense travail de métissage, c’est à dire de mêlement intime et inattendu des références, quelle que soit leur origine géographique et culturelle, autour des « notions unitaires » qui sont celles du rêve, de la vision, de l’amour, de la sensualité, du mythe et de la mort :

‘« Tu entres par le coït, en gnose, et acquiers ta capacité visionnaire, activée par un corps transformé par des mouvements qui dépassent sa physique condition. » 134

Ainsi, on retrouve à la fois des références à Dante juxtaposées à celles effectuées sur le voyage nocturne du Prophète, et celles qui se rapportent au voyage du pèlerin jusqu’au septième ciel, tel qu’il fut rapporté par Shohrawardi.

Ces références ne sont pas contradictoires avec la sensualité, qui devient au contraire un moyen d’accéder à la spiritualité.

On notera que le terme coït, forme sensualisée de l’amour, renvoie donc à cette forme première qui meut le monde et le transforme, comme ceci est énoncé dans la Divine Comédie de Dante, au dernier chant du Paradis .

Le narrateur de Phantasia reprend cet adage et cette vérité spirituelle : « Mais sa jouissance terrestre serait vaine, si elle ne lui délivrait pas les chiffres de l’invisible, où se configure la présence de l’absent. » 135

Le coït renvoie également à la puissance des formes qui s’auto produisent, s’auto génèrent et désignent cependant comme une figure indirecte ou une litote, la force qui est à leur origine, qui module leur apparition et la gouverne implicitement.

Comme pour Dib, nous avons donc une représentation esthétique de la complexité qui fonde l’écriture : cette dernière apparaît essentiellement comme un acte de détournement, de contournement et d’évocation. La « matière » dont elle est faite et qu’elle engage, ne peut être directement exposée ou montrée : c’est toujours grâce à une stratégie de glissements, des « attouchements », une nomination approchante que cette matière fluctuante, presque liquide, comme nous l’avons montrée pour Khatibi , peut être évoquée.

L’expérience de nomination du monde et l’opération d’écriture qui l’accompagne ne peuvent être qu’effleurées, transcrites, traduites, mais jamais véritablement entamées dans leur singularité et leur insularité.

Notes
133.

In Phantasia , page 43.

134.

Idem., page 94.

135.

Idem., page 183.