Introduction

Préambule

Plutôt que d’exposer des faits et des événements assez largement connus des spécialistes, ce travail cherche à regrouper un large éventail de comportements aux intentions généralement inavouées, à les relier aux résultats qu’ils ont produits et à mettre ainsi en lumière les soubassements, jamais éclairés, d’une situation qui a ébranlé la société pendant un siècle, modelé les mentalités et engendré à son tour une série de secousses ; ces vagues successives ont déferlé sur la société, l’ont bouleversée et réduite au chaos que nous vivons au travers du terrorisme moderne.

De 1850 à 1950, la révolution industrielle, avec la production de masse et l’émergence d’une classe bourgeoise vouée au consumérisme, le besoin de marchés et la demande toujours croissante d’articles toujours plus sophistiqués, pousse la recherche scientifique et technologique ainsi que l’expérimentation au-delà de toute limite ; elle transforme la société et donne au colonialisme une légitimité, avec les « bienfaits » apportés par les nations occidentales fières de démontrer aux peuples lointains leur progrès. L’image des Occidentaux en est grandie et camoufle les aspects intéressés de l’entreprise ainsi que la pression politique et économique exercée sur les nations occupées. Dans cette optique, le choix de Shanghai s’impose : c’est le lieu par excellence où se sont côtoyées et confrontées deux grandes civilisations, l’occidentale et la chinoise, qui, en s’affrontant, façonnent encore la réalité de ce jour. Toutes deux en pleine crise entre 1850 et 1950, elles charrient dans la violence du choc la masse des éléments dont est issue notre vision actuelle du monde ; la rencontre s’est faite dans le conflit, ternissant les rapports futurs et entraînant des réactions en chaîne.

La cause de ce malentendu croissant, exacerbant les relations, se trouve en partie dans ce que Rainier LANSELLE appelle « les embûches de l’approximation sémantique » : « […] vouloir faire relever [de simples pratiques] d’une modalité générale instituée, et comme allant de soi dès l’abord, serait faire violence à la réalité et desservirait plutôt l’entreprise consistant à cerner de façon valable un champ sémantique qui, dans la diversité de ses expressions, n’existe qu’adossé à des arrière-fonds notionnels qui le préorientent et à des représentations qui le structurent. Or, soit l’on cerne au plus juste, soit les mots n’ont pas de sens. Le problème que rencontre la réflexion, quand elle cherche à placer dans le vis-à-vis de l’expérience chinoise une notion ou un concept constitués en Occident, est [… que] l’entreprise comparatiste, en entreprenant des rapprochements artificiels, ou hâtifs, a eu pour effet de brouiller les pistes. Ce brouillage est le fruit d’ailleurs assez naturel du dialogue riche de malentendus qui ne peut manquer de prévaloir entre deux mondes qui ont longtemps été indifférents l’un à l’autre. » 1 On verra comment l’application forcée de notions étrangères aux modes de pensée traditionnels et aux habitudes entraînera un sentiment de rejet si violent qu’il jettera le discrédit non seulement sur ceux qui les ont introduites mais aussi sur leurs émules, bouleversant la société chinoise et la mettant au bord du gouffre, perturbation qui fut évitée au Japon où l’absence d’attitude colonialiste a permis l’économie d’un conflit idéologique.

La vérité ne se décrétant pas, il s’agira donc moins d’élaborer une théorie que de rechercher, à travers des personnalités réagissant de manière plus ou moins pertinentes à un contexte très fluctuant, les causes multiples et profondes des conflits qui ne cessent d’agiter la société moderne. Autant dire que si mon étude suit bien un fil directeur, il n’apparaît pas dans une démonstration magistrale ; cette façon de procéder, en suivant méticuleusement chaque piste, explique en partie l’aspect laborieux du résultat, l’autre raison étant à porter au compte de la maladresse mais jamais à la négligence, car j’ai toujours eu à cœur de faire voir le plus clairement possible l’enchevêtrement des circonstances. Dans cette exploration, j’ose espérer que la sincérité de la démarche aura assez d’attrait pour compenser la difficulté que présentent la description et l’analyse de « L’évolution sanitaire et médicale de la Concession française de Shanghai entre 1850 et 1950. »

Notes
1.

Rainier LANSELLE, L’hospitalité comme impensé, p 275, Alain MONTANDON, Le Livre de l’hospitalité , Bayard 2004.