Synthèse

D’un côté, les responsables français justifient leur politique urbaine en s’appuyant sur les principes d’hygiène publique, plus particulièrement en ce qui concerne les règlements et mesures imposés à la population chinoise, mais de l’autre ils délaissent le service sanitaire et médical pour des raisons financières. En outre, ce sont toujours les dissensions politiques avec le SMC et la municipalité chinoise qui occupent la place essentielle dans les questions urbaines et sanitaires influencent les décisions; en effet, l’étroitesse de la Concession française et son emplacement obligent à une concertation constante avec les autorités voisines, britanniques et chinoises ; mais, alors même qu’elle déclare l’hygiène publique essentielle au maintien d’un environnement sain, la municipalité française ne coopère pas avec sa voisine. Au sein même de la Concession française, le service sanitaire est peu développé, la priorité étant donnée à l’aménagement urbain, au maintien et à l’extension de la concession ; en matière d’hygiène, le personnel européen et indigène ne reçoit aucune formation et la municipalité s’appuie sur les infrastructures créées par le SMC : un service médical, des laboratoires municipaux et un service vétérinaire qui contrôle les viandes des abattoirs municipaux français ; même le service de quarantaine des douanes maritimes est sous contrôle anglais. Dans le domaine médical et social, c’est aux congrégations religieuses que la municipalité fait appel, pour limiter ses financements. Ce n’est que dans les années 30 que, le CAM par crainte des épidémies et face à l’efficacité indéniable de la municipalité chinoise, se décide à engager une politique concertée.

Le désintérêt des conseillers municipaux à l’égard de questions essentielles pour la population locale, comme le contrôle des loyers et celui des prix, notamment celui du riz aliment de base des Chinois, est un autre aspect des contradictions de la municipalité française, qui dit valoriser l’action sanitaire et sociale : la cherté des loyers entraîne une surpopulation dans les logements, d’où des risques accrus d’épidémies. Le manque d’intérêt pour les conditions de travail des ouvriers chinois facilite et encourage l’abus de la part des entrepreneurs ; aucune législation du travail n’ayant été promulguée par les municipalités des concessions, les entrepreneurs étrangers, en raison de leur ignorance des coutumes et de la langue ont délégué des intermédiaires chinois dans toutes les décisions relatives à la production et, par la même favorisé la perpétuation des méthodes traditionnelles car les hommes de main sont étroitement liés aux sociétés secrètes, à la Bande verte plus particulièrement. 53 Mais les dirigeants municipaux ou industriels, dans leur souci de maintenir l’ordre et les méthodes de gestion occidentales, se préoccupent fort peu de l’emprise de la Bande verte sur une classe d’ouvriers insécurisés et maltraités par les contremaîtres et les gangs, du moment que l’objectif économique est garanti.

Car le pouvoir des municipalités étrangères est entre les mains d’une minorité occupant des positions sociales et professionnelles élevées, dont la préoccupation première est d’assurer un excédent positif des revenus municipaux afin de garantir leurs privilèges. Pourtant, dans la Concession française comme dans la Concession internationale, la population chinoise contribue largement aux ressources municipales. C’est lorsque, dans les années 30, la présence étrangère est remise en question par les différents groupes politiques chinois, du parti communiste au Guomindang et des associations régionales aux syndicats ouvriers, que la municipalité française se voit contrainte d’accroître le nombre de conseillers chinois. Pour reprendre la haute main sur un pouvoir ainsi partagé et renforcer sa légitimité, la médecine et l’assistance publique lui servent de moyen d’action politique : l’octroi de subventions aux associations de charité et la pratique de la médecine dans un but philanthropique sont de nouveaux champs dans lesquels la municipalité peut s’investir ; jusqu’au savoir des médecins français qui est mis au service des objectifs politiques. Si des préoccupations purement sanitaires ont aussi joué leur rôle dans le développement de la politique médicale, ce sont surtout des inquiétudes sociales qui ont déterminé les nouvelles orientations politiques de la municipalité française.

Les médecins français sont venus en Chine poursuivre leur carrière ; l’emploi qui leur est proposé, en tant que médecin municipal au sein de l’université l’Aurore et à l’hôpital Sainte Marie, répond à leur envie de changement, d’expatriation, de promotion, ou tout simplement à la nécessité matérielle de trouver du travail. Pour les médecins de marine, c’est leur vocation d’être envoyés dans les colonies ; de leur côté, les Jésuites en charge de l’université l’Aurore sollicitent le ministère des Affaires étrangères pour le choix des professeurs. On relève une attitude différente de la part du médecin arrivé à Shanghai au milieu du XIXème siècle et de celui qui, arrivé après 1880, a bénéficié des avancées scientifiques de la médecine en Europe. Le premier, ne possédant pas le savoir offert par les récentes recherches en bactériologie, cherche des réponses dans la médecine chinoise pour lui procurer des traitements contre les maladies liées à l’environnement local et lui permettre d’améliorer les résultats de la médecine occidentale en l’adaptant au contexte ; certains essaient même de comprendre l’efficacité des remèdes issus de la phytothérapie ; on recueille également des remèdes homéopathiques chinois et on les présente à l’Éxposition internationale de Vienne en 1873. Mais, même si des articles publiés dans Lancet, présentent les fondements de la médecine chinoise, ses théories n’en sont pas pour autant reconnues par la médecine occidentale. En Europe, la médecine chinoise ne suscite pas un grand intérêt 54 et à Shanghai il faut attendre la seconde guerre mondiale et la pénurie de médicaments et leur cherté pour que certains médecins, notamment des médecins réfugiés juifs particulièrement confrontés à la pauvreté, s’intéressent aux plantes et médicaments chinois. 55

Certains médecins, arrivés à Shanghai pour des raisons politiques ou religieuses, s’engagent dans l’action sociale ; parmi eux Edith Mankiewicz, qui a mené des recherches sur les maladies infectieuses comme la rougeole, 56 crée une consultation médicale s’apparentant au planning familial contemporain, et ouvre un centre d’accueil pour soigner les jeunes filles chinoises violées par les Japonais. Les docteurs Rabaute et Palud, directeurs des services d’hygiène et d’assistance publique, sont également parmi ceux qui se sentent concernés par la situation de précarité des déplacés, notamment de la communauté russe avec qui ils ont tissé des rapports d’estime et de respect, comme avec le docteur Kasakoff ; le docteur Palud va aussi solliciter auprès de la municipalité française la création d’une association de protection de l’enfance qui voit le jour en 1943. Le docteur Malval, détaché par la marine française à Shanghai pour devenir à la fois professeur au sein de l’université et médecin à l’hôpital Sainte Marie, s’occupe à partir des années 30 du service des indigents chinois et russes à l’hôpital Sainte Marie, fonction sans prestige que d’autres médecins n’ont pas acceptée ; ce médecin, comme le révèlent ses Mémoires, considère que sa mission est de soigner toutes les souffrances, sans distinction sociale ni raciale ; intérêt pour les autres qui se reflète à travers ses dessins croquant le quotidien des Chinois 57  : aidé d’un de ses fils, du ‘détective 100’, un enquêteur chinois formé aux méthodes occidentales, ou de policiers chinois travaillant pour les services français qui amadouent l’assistance méfiante et hostile, il fixe, à partir de 1938, sur une période de quatre à cinq années, tous les spectacles de la rue et rend hommage à ses modèles anonymes : « Patience, endurance, habilité, ingéniosité, adaptabilité. Goût de l’œuvre solitaire aussi bien que collective. Individualité, altruisme, bonne humeur, drôlerie même. Intelligence surtout chez ces humbles. Ils méritent, avec un coup de chapeau, ce coup de crayon ». 58

Sans doute la défaite de 1870, faisant surgir en France le besoin de retrouver une position rayonnante autant que la nécessité de conquérir de nouveaux territoires à mettre en valeur, réactive-t-elle le concept de civilisation élaboré lors du siècle des Lumières ; armée de cette conviction, la Troisième République s’engouffre dans l’impérialisme, trouvant dans l’idée de mission civilisatrice un moyen de concilier valeurs républicaines et expansion coloniale, ce qui permet à la France d’étendre sa domination en Afrique et en Indochine. 59

Arrivés avant les marchands et les administrateurs, les missionnaires occidentaux ont investi l’action caritative de nouvelles notions et méthodes d’action : en développant l’éducation, en valorisant l’émancipation des femmes et en modernisant la médicalisation pour la rendre accessible à la population locale, ils s’emploient à modeler les communautés indigènes à l’image de la société occidentale. 60 On remarque que, contrairement à son emploi largement répandu dans les colonies françaises d’Afrique et d’Indochine, la notion de ‘mission civilisatrice’ n’apparaît jamais dans les écrits des responsables de la municipalité française de Shanghai. Si certaines personnalités françaises mettent en avant l’idée de rayonnement culturel et politique de la France, dans les faits ce sont les missionnaires catholiques qui, animé de leur foi dans rédemption de l’homme, mènent l’action éducative, culturelle et médicale à l’égard des Chinois ; mettant l’accent sur la possibilité de transformer l’individu et par là même la société, ils sont le vrai moteur des réformes et influencent d’importants hommes d’affaires chinois de Shanghai convertis au christianisme. L’action philanthropique a une longue tradition en Chine, où la pauvreté est considérée comme une punition et la conséquence de mauvaises conduites ; elle permet à l’élite d’obtenir une reconnaissance sociale en allégeant la misère humaine : les notables chinois utilisent la charité comme un moyen d’élever leur statut social, de prouver leur loyauté nationale, de renforcer leurs liens régionaux et de légitimer leur suprématie en agissant selon les valeurs confucéennes qui impliquent le soutien des pauvres. Effet d’émulation qui rend le gouvernement et la municipalité française de Shanghai soucieux d’occuper une place dans l’action culturelle et éducative aux côtés des autres puissances occidentales, comme les États-Unis ; le premier pas est d’octroyer des subventions pour soutenir les projets engagés par les structures catholiques françaises, leur œuvre ayant un fort impact sur la société chinoise ; en second lieu, la municipalité s’associe aux hommes d’affaires chinois catholiques pour établir des liens avec la population locale et offrir une réponse aux revendications nationalistes, concernant notamment la représentation politique des Chinois au sein des municipalités étrangères : elle choisit ses conseillers municipaux parmi ces notables, formant la ‘Clique des Notables conseillers’ (Shendong pai), dont le pouvoir reste plus symbolique que réel ; durant les années 20 et 30, deux personnalités illustrent ce groupe : Zhu Zhiyao (1863-1955) et Lu Baihong (1873-1937). 61

En 1914, Zhu Zhiyao est un des premiers conseillers chinois à siéger au Conseil d’administration de la Municipalité française ; originaire de Shanghai, sa famille est liée à l’église catholique depuis le XVIIème siècle. 62 Il a étudié à l’école catholique de Xu Hui, mais échoué huit fois aux examens officiels et décide alors d’entrer dans les affaires ; en tant que comprador de la Banque d’Indochine, il investit de l’argent dans le transport maritime, les machines, les mines de charbon, la construction de ponts et dans les chantiers navals. Lorsque son entreprise est détruite en 1937, il se consacre entièrement aux affaires religieuses, se rendant à l’église quotidiennement ; il écrit des ouvrages comme Les problèmes importants de la vie Rensheng zhongyao wenti’, ou l’histoire de sa famille Le jardin d’un cœur Xin Yuan’, ainsi qu’un livre sur sa compagnie de construction de navires. Après 1949, Zhu est vice-président de l’Action catholique de Shanghai ‘Gong Jiao Jing Xing Hui’ tandis que son frère cadet, Zhu Kaiming, devient un des premiers évêques chinois. 63

La famille de Lu Baihong est également liée au catholicisme depuis le XVIIème siècle. Il est d’abord connu comme le fondateur de la Compagnie d’électricité chinoise, qu’il dirige tout en investissant dans de nombreuses entreprises. En 1912, il ouvre l’hospice Saint Joseph où sont hospitalisés plus de deux mille malades, ce qui en fait une des œuvres catholiques les plus importantes de Chine ; 64 il fonde également l’hôpital du Sacré Cœur, situé dans la Concession internationale, où sont aménagés trois cents lits et une clinique de jour gratuite, ainsi que le premier hôpital psychiatrique en Chine, le Mercy Hospital. 65 En 1926, Lu est décoré par le Pape et l’année suivante il se rend à la convention catholique internationale qui se tient à Chicago. 66 Il organise une délégation chinoise pour rendre hommage au Pape et reçoit la Légion d’honneur de la part des gouvernements français et belge pour sa réussite professionnelle et son œuvre philanthropique. 67 Sa richesse et son prestige n’empêchent pas Lu Baihong de se rendre en personne à la prison municipale de Shanghai pour apporter des couvertures et des vêtements aux prisonniers, et prier pour ceux qui vont être exécutés ; c’est ainsi qu’il est connu comme le ‘Saint Vincent de Paul’ de Chine, l’homme providentiel pour mener la politique sociale de la municipalité. 68 Après son assassinat en 1937, les institutions caritatives qu’il a créées seront reprises par un comité que forment son fils et l’évêque Auguste Kaouisee. 69

Avec la réussite des entrepreneurs, appuyée sur la croissance économique des années 20, le capitalisme atteint son apogée. L’élite occidentale de Shanghai, qui souhaite conforter ses avantages matériels et moraux, veut se montrer l’héritière d’une civilisation qui prône des valeurs telles que la charité, l’hospitalité, la civilité, l’honneur, le courage et, dans le but de faire savoir que les richesses sont redistribuées, elle s’illustre dans des bals annuels et des soirées organisés par les nombreux clubs et associations étrangères dans les lieux les plus prestigieux de la ville. Ces divertissements, qui permettent de récolter de l’argent pour soutenir les œuvres de charité, constituent une formidable publicité en même temps qu’un gage de salut pour la bonne société shanghaienne. 70

Parallèlement, l’industrialisation rapide crée de sérieux problèmes de santé chez les travailleurs des mines, des usines et des filatures. Selon une étude menée par le YMCA au début des années 1920, plus de trois cent mille travailleurs de Shanghai habitent dans les taudis de quartiers surpeuplés et insalubres, ne possédant aucune canalisation pour l’approvisionnement en eau potable, aucune voirie ; il arrive parfois que même ces conditions minimales ne soient pas assurées et que les travailleurs dorment à même le sol des usines où le travail est épuisant et lourd en heures. 71 Les mendiants, innombrables, sont eux-mêmes organisés en guildes ; ils se réunissent près des ponts et forment des gangs qui s’adonnent au vol et à toutes sortes d’activités criminelles; certains même, comme la Bande verte, contrôle les syndicats grâce à leur mainmise sur le commerce d’opium, les jeux d’argent et la prostitution.

Si, d’une manière générale, l’aide apportée par les municipalités étrangères ou chinoise est limitée, les années 30 montrent une évolution. Lorsqu’en 1930, suite à une prise de conscience de la situation sanitaire autant que pour des raisons politiques, la municipalité décide d’endosser ses responsabilités et de réformer le service de santé publique, les médecins tiennent enfin le moyen de manifester leur intérêt pour l’action sociale. Le docteur Rabaute s’investit dans ce projet et trouve auprès de l’administration un réel soutien pour mettre en œuvre les règles fondamentales d’hygiène publique : le CAM augmente les effectifs du service sanitaire et édicte des règlements imposant des normes de conduite qui visent à pour se rapprocher de l’idéal d’une concession propre, saine et policée, en un mot : moderne. L’enjeu est de prouver que la municipalité, en compétition avec celle du Grand Shanghai et le SMC, est capable de réformer l’environnement urbain et, au regard des pays occidentaux inquiets de la montée du nationalisme dans les colonies, de résister au déclin du prestige occidental dans le monde.

Or, aux yeux de sa voisine, la « Concession française apparaît comme le maillon faible de l’impérialisme occidental » 72  ; pour contrer cette image défavorable et démontrer la valeur et l’efficacité de la médecine française, on modernise l’hôpital Sainte Marie considéré comme ‘l’hôpital français’ de Shanghai, et on construit, à partir de 1930, des structures médicales municipales rattachées à l’assistance publique, imposant aux malades chinois l’adoption d’autres habitudes. Le pavillon hospitalier créé pour recevoir les indigents chinois sert également de base d’observation et de rechercher pour les étudiants en médecine de l’université l’Aurore. Le travail de laboratoire est un pôle d’excellence de la médecine française, dont le symbole est l’Institut Pasteur avec sa filiale créée à Shanghai en 1938 qui permet la mise en œuvre d’une politique d’immunisation de masse et de contrôle sanitaire dans la ville. C’est donc dans les années 30 que la collaboration entre les trois municipalités s’accentue et qu’elles adoptent la médecine scientifique pour élaborer leur politique de santé publique.

En 1934, pour promouvoir un sentiment nationaliste chez les Chinois des villes, le gouvernement nationaliste de Nanjing lance à Shanghai et dans d’autres villes, le ‘Mouvement de la Vie Nouvelle’ ; il cherche à insuffler une renaissance et à valoriser les attitudes civiques en changeant les habitudes pernicieuses. D’un côté, l’État prône auprès de la population les valeurs d’entraide et de responsabilité, de l’autre il centralise les différentes associations caritatives pour contrôler les riches marchands chinois qui les financent, mais n’ose pas leur imposer directement son autorité, bien conscient qu’il n’aurait pu engager aucun de ces projets sociaux sans eux. 73

Provenant de sources multiples, associations privées, État ou entreprises commerciales, la protection sociale proposée aux pauvres, salariés ou chômeurs, est limitée, fragmentée et hiérarchisée. 74 Les associations caritatives privées sont les premières à leur offrir une aide : le ‘Tongren Assistance Hall’, situé au sud de la ville chinoise, distribue de la nourriture à trois mille personnes par jour : tous les matins, des familles reçoivent une portion de riz en échange d’un ticket de rationnement ; ‘l’Association caritative de Zhabei’, sise dans la partie nord de la municipalité chinoise, sert quotidiennement huit mille personnes sans imposer de critères de sélection, tandis que le Qingjiang Dunzi Hall limite son action philanthropique aux ouvriers des usines de thé de la province de l’Anhui. Ces organismes parviennent à sauver de la faim de nombreux chinois. 75 De leur côté, les programmes offerts par les entreprises étrangères s’adressent généralement à une minorité d’employés, en général une élite de cols blancs et d’experts travaillant dans les multinationales étrangères et les grandes banques, qui peut bénéficier de pensions de retraite, de soins médicaux gratuits, d’un logement et d’autres avantages. Sur les cinq mille cinq cent quinze entreprises de Shanghai en 1937, environ une quarantaine, soit 0,8%, offrent une assurance pour la retraite et les soins médicaux. 76 Ce sont les associations régionales et les guildes, à partir desquelles se structure la société chinoise urbaine qui jouent un rôle central dans l’action sociale qui, de ce fait, reste inégalitaire ; mais durant la guerre, devant les impératifs de défense nationale, les critères de sélection perdent leur pertinence et la lutte contre le Japon fait naître un sentiment de solidarité parmi la population chinoise. 77

Cet attentisme de l’État face à une action philanthropique menée principalement par les associations privées pose la question de l’engagement tardif de la municipalité française dans ce domaine ; face au désordre et à la violence nés d’un contexte politique instable c’est la peur qui va déclencher l’action des responsables politiques de la municipalité française et, à l’instar de l’assistance sociale menée en France après la première guerre mondiale, elle s’inspirera des valeurs universelles de la Révolution française. La montée du nationalisme mobilise la population et encourage l’augmentation des grèves, entraînant une réorientation de la politique française vers l’action sociale et médicale en faveur de la population chinoise. Dans les années 30, il devient risqué de s’en remettre aux chefs de la Bande verte pour contrôler les grèves et autres manifestations menées par les Chinois et le gouvernement français met un terme à cette alliance, nommant de nouveaux responsables français pour mettre de l’ordre dans les affaires politiques de la Concession et maintenir la sécurité publique. 78 Mais la municipalité française ne peut mener à bien sa politique sociale et médicale sans l’existence des institutions fondées par les missionnaires catholiques et par Lu Baihong.

Notes
53.

Brian Martin, The Shanghai Green Gang. Politics and organized Crime, 1919-1937 , Berkeley, University of California Press, 1996.

Shiling Zhao McQuaide, ‘Shanghai Labour : gender, politics, and traditions in the making of the Chinese Working Class’, 1911-1949, Ph.D. Queen’s University, 1995, pp 10-21.

54.

Kerrie L. Macpherson, A Wilderness of Marshes: The Origins of Public Health in Shanghai, 1843-1893 , p 11.

55.

MAE, Mémoires du docteur Mankiewicz, directeur du laboratoire de bactériologie à la faculté de médecine de l’Aurore;

David Kranzler, Japanese, Nazis and Jews , The Jewish Family in Wartime Shanghai , Berkeley, Pacific View Press, 1992.

56.

MAE, Mémoires du docteur Mankiewicz.

57.

MAE, Mémoires du docteur Malval.

58.

MAE., Mémoires du docteur Malval et archives privées de son fils, Louis Malval, « 200 croquis effectués au propre à domicile, d’après de hâtifs croquis. Leur ensemble présente un certain intérêt documentaire. Ils me sont chers car ils représentent la moisson de 4 à 5 ans. Les revoir, c’est replonger en ces milieux singuliers où se voient les mille aspects de la vie urbaine chinoise au travail. Retrouver scènes, bruits, odeurs au naturel. Retrouver cette sympathie qu’on ne peut manquer d’éprouver pour l’attachant menu peuple de Shanghai. »

59.

Alice L. Conklin, A Mission to Civilize, The Republican Ideology of Empire in France and West Africa, 1895-1930 , California, Stanford University Press, 1997, p 2.

60.

Denise Austin, ‘Going the second mile: the philanthropy of Chinese Business Christians’, Master degree dissertation, université de Queensland, Australie.

61.

Brian G. Martin, The Green Gang , p 69.

62.

Shen Yu Yuan, Shanghai Religious History , Shanghai Picture Publisher, 1991, p 149.

63.

Shen Yu Yuan, op.cit., p 150.

64.

Jean-Paul Wiest, Maryknoll in China , New-York, Orbis Books, Maryknoll, 1988, p 436.

65.

Jean-Paul Wiest, op.cit.

66.

China Weekly Review, 15 avril 1933, p 256; J. Masson, Un millionnaire chinois au service des gueux : Joseph Lo Pahong , Shanghai 1875-1937, Paris, Castermann, 1950.

67.

Ibid.

68.

Jean-Paul Wiest, Maryknoll in China , p 436.

69.

Jean-Paul Wiest, op.cit., p 160.

70.

Andrew David Field, ‘A Night in Shanghai: Nightlife and modernity in semicolonial China, 1919-1937’, Ph.D. Columbia University, 2000.

71.

Ka-che Yip, Health and National Reconstruction in Nationalist China , Ann Arbor, The Association for Asian Studies, The University of Michigan Press, 1995, pp 10-11.

72.

Marie-Claire Bergère, La French connection : l’opium et la Concession française de Shanghai, p 71, in Le Paris de l’Orient, présence française à Shanghai : 1849-1946 .

73.

Christian Henriot, Shanghai 1927-1937 . Elites locales et modernisation dans la Chine nationaliste , Paris, EHESS, 1991, pp 249-269.

74.

Nara Dillion, ‘Waging Welfare : Revolutionary Regimes and Social Welfare in Shanghai’, Ph.D. Berkeley, University of California, 2001, p 38.

75.

Mark S. Swislocki, ‘Feast and Famine in Republican Shanghai: Urban Food Culture, Nutrition, and the State’, Ph.D. Stanford University, 2001, p 26.

76.

Nara Dillion, ‘Waging Welfare : Revolutionary regimes and social welfare in Shanghai’, PhD. Berkeley, University of California, 2001, p 71.

77.

Nara Dillion, op.cit.

78.

Brian G. Martin, The Shanghai Green Gang, Politics and Organized Crime 1919-1937 , Berkeley, University of California Press, pp 113-134.