Chapitre 1. Le développement de la Concession française de Shanghai

1.1. Les Occidentaux en Chine et le développement des concessions à Shanghai

1.1.1. Ouverture de comptoirs aux étrangers et création du statut d’extra‑territorialité

L’essor de l’industrie en Europe exige des matières premières à bon marché et de plus en plus de débouchés pour les produits manufacturés. Les progrès de la navigation permettent aux nations européennes de se lancer à la conquête de nouveaux marchés et dans ce contexte d’expansion, la Chine et ses ressources les attirent. Or, depuis 1759, en dehors du port de Guangzhou dans le sud du pays, le gouvernement chinois a interdit son territoire aux étrangers, ce qui les pousse à se lancer dans une guerre pour imposer à la Chine leur intention de se livrer au commerce. A l’issue de la ‘guerre de l’Opium’, la défaite de 1842 contraint l’empereur à signer le traité de Nanjing qui ouvre cinq ports au commerce anglais : Guangzhou, Shanghai, Xiamen (Amoy), Fuzhou et Ningbo. En 1844, outre le droit de commercer, les Français obtiennent, par le traité de Huangpu, le droit pour les missions catholiques de s’installer en Chine et d’y convertir des Chinois au catholicisme. L’édit de mars 1846 étend au protestantisme la tolérance impériale à l’égard du catholicisme. Les Occidentaux, en position de force devant l’affaiblissement de la monarchie mandchoue perçue comme une force d’occupation, laissent persister les conflits et, de 1856 à 1860, les Anglais et les Français lancent contre le gouvernement chinois une nouvelle campagne connue sous le nom de ‘Deuxième guerre de l’Opium’. Les hostilités qui se succèdent : guerre sino-française de 1883-1885, guerre sino-japonaise de 1894-1895, incursion des armées occidentales à Pékin en 1900 faisant suite à la révolte des Boxers, se soldent par la signature de traités imposés par la force appelés les ‘traités inégaux’ : les puissances étrangères exigent du gouvernement chinois le versement d’indemnités de guerre et l’obtention de nouveaux privilèges renforçant leur pouvoir. Par le Traité de Tianjin, du nom du port proche de Beijing ouvert sur la mer de Chine, signé en 1858 et ratifié en 1860, les zones de résidence initiales sont transformées en territoires autonomes échappant à la souveraineté chinoise : ce sont les ‘concessions’, soumises au seul contrôle de la nation qui les administre. Ainsi est créé un nouveau statut connu sous le nom d’extraterritorialité : les étrangers auteurs de crimes ou méfaits qui y résident ne sont pas soumis à la juridiction chinoise. En 1864 est formé un tribunal mixte présidé par un fonctionnaire impérial assisté d’un assesseur consulaire pour juger les affaires impliquant des résidents chinois avec les étrangers ; les Chinois qui sont arrêtés dans les concessions sont placés sous la juridiction des consuls étrangers. A Beijing, c’est le ‘quartier des légations’ qui se démarque du reste de la ville en raison de sa rapide modernisation et de sa liberté d’action par rapport aux lois chinoises, comme le souligne Shi Ming-zheng : « Depuis les années 1860, le territoire situé à l’est de la porte Qianmen était un établissement réservé aux étrangers, entièrement affranchi de tout contrôle chinois. » 79

Notes
79.

Shi Mingzheng, ‘Beijing transforms : Urban infrastructure, public works, and social change in the Chinese capital, 1900-1928’, Ph.D., Columbia University, 1993.