1.1.3. L’établissement des concessions

La Concession anglaise

À Shanghai, dès que les limites de la Concession anglaise ont été fixées, le consul anglais met en vigueur une police municipale et un ensemble de dispositions et de règles de propriétés dans un acte désigné ‘Land Regulations’. Un premier acte, édité le 29 novembre 1845, a pour objectif de régler la question des terres à occuper et vise à établir les règlements relatifs à la vie de la communauté étrangère à Shanghai ; il comprend vingt trois articles qui stipulent que le territoire au nord du Yangjingbang est loué par les marchands anglais pour y ériger des immeubles et y résider. Cet acte, toutefois, n'entérine pas la création d'une municipalité mais confirme le pouvoir du consul anglais sur un territoire et sur les ressortissants étrangers qui s'y installent. Il reflète avant tout les idées du consul anglais George Balfour ainsi que celles du daotai Gong Mujiu, l'intendant local (voir annexe n°4) 83 . Les étrangers n'avaient pas avancé l'idée d'une zone délimitée mais c’est le Daotai Gong qui, s'inquiétant de l'influence néfaste des habitudes étrangères sur l'ordre confucéen, tente d’y remédier en établissant des limites territoriales précises pour limiter les relations sino-étrangères : il préconise le système des concessions qui trouve son origine dans l'ancien système cantonnais, l'unique port ouvert au commerce avec les étrangers après 1759. Le territoire concédé aux Anglais devient progressivement un territoire autonome qui possède ses propres institutions, organes administratifs et juridiques, où les lois chinoises n'ont aucune force, ce qui était loin d'être l'intention première du Daotai. 84 Les ‘Land Regulations’, qui définissent les limites de la concession et qui incluent des règles portant, entre autres, sur la construction de routes et la pose de canalisations, prévoient aussi explicitement la préservation des tombes chinoises, le paiement de taxes foncières et le droit pour les Chinois de suivre leurs rites religieux. Les étrangers établissent une police et un ‘Comité des routes et des canalisations’ dirigé par trois marchands afin de prélever des taxes ; ce comité ne possède aucun pouvoir judiciaire qui revient entièrement au consul. Les propriétaires fonciers sont responsables de la tenue de la concession. La population chinoise déjà fixée sur le territoire concédé aux Anglais reste soumise à la juridiction des autorités chinoises. Les propriétaires chinois peuvent conserver leurs immeubles mais il leur est interdit de les vendre ou de les affermer à d'autres chinois.

Le ‘Land Regulations’ ne régit pas les rapports avec les autres nationalités qui s'installent au sein de la Concession anglaise. Le premier cas de dissension se produit avec les Américains qui souhaitent manifester une souveraineté nationale en arborant le drapeau des États-Unis, ce que refuse le consul anglais, George Balfour, qui considère ce geste comme un abus de pouvoir de la part des Américains ; pour le consul, ce sont les Anglais qui détiennent le pouvoir politique et administratif au sein de la Concession anglaise et les autres nationalités doivent se conformer à leurs décisions ; les Américains, pour leur part, invoquent la clause de la nation la plus favorisée pour bénéficier au même titre que les Anglais et des Français des privilèges territoriaux. Après la reconnaissance de la Concession anglaise en 1843 par le Capitaine Balfour et le Daotai de Shanghai, les Américains, représentés par l’évêque William J. Boone et la Mission Episcopale Américaine, suivent l’exemple des Anglais et fondent la Concession Américaine en 1848 au nord de la rivière de Suzhou dans le quartier de Hongkou. En 1863 les deux concessions vont fusionner, donnant naissance à la Concession internationale.

Notes
83.

Leung Yuen-Sang, The Shanghai taotai, linkage man in a changing society 1843-1890  : Le titre officiel de daotai de Shanghai, sous les Qing, est celui d’Intendant des routes. Shanghai devient en 1725 une capitale de circuit (dao) dirigée par un intendant (daotai) L’intendant contrôle l’adminstration d’une vingtaine de districts. De 1843 à 1860, après que Shanghai soit déclaré port ouvert, le daotai doit négocier les règlements commerciaux et se charger des Affaires étrangères du port, c’est à dire de la ‘gestion des étrangers’. De 1861 à 1911 quand le mouvement d’auto-renforcement est lancé, le daotai est chargé de l’administration de l’arsenal du Jiangnan, de la gestion de la ‘China Merchants Steam Navigation’ et de superviser plusieurs projets dits de ‘modernisation’.

84.

Leung Yuen-Sang, The Shanghai taotai, linkage man in a changing society 1843-1890, p 48.