La Concession française

Pour la Concession française, les représentants du gouvernement français prennent pour prétexte l’attitude des autorités militaires anglaises et américaines, qui ne l’ont pas incluse dans leurs lignes de défenses lors de l'invasion de Shanghai par les rebelles, pour revendiquer leur indépendance, remettant en cause les secondes ‘Land Regulations’, signées en 1854 par le consul français. Quand, en 1865, il sollicite des Affaires Etrangères la formation d'une commission pour établir une charte municipale entérinant sa prééminence sur le conseil municipal, la question d’une fusion avec la concession voisine est définitivement rejetée. Le ministre plénipotentiaire de Beijing, Berthemy, y oppose des raisons politiques et économiques: « Moins riches et moins nombreux que les Anglais et les Américains, nos nationaux ne peuvent acquérir et conserver d'influence qu'à la condition de rester groupés et fortement unis sous l'autorité consulaire. S'ils venaient à se mêler à la population du Settlement, ils n'y formeraient qu'une faible minorité, et il serait à craindre que leurs intérêts ne fussent trop souvent sacrifiés ». L'amiral Jaurès, ayant participé à la guerre contre les Taiping, met en avant des raisons militaires et emploie des arguments patriotiques: « La ville chinoise de Shanghai avait été prise par les rebelles, la ville européenne, encombrée de Chinois qui venaient y chercher un asile, était chaque jour menacée d'invasion, et ce fut dans ces circonstances que les autorités militaires britanniques refusèrent de comprendre dans la défense commune le quartier français, de tous le plus exposé. Il fallut, pour le préserver du pillage, l'intervention énergique de l'Amiral Laguerre (qui avait pour chef d'état major l'Amiral Jaurès). Cette terre a donc été arrosée de sang français et, à ce titre seul, elle devrait rester absolument distincte des autres étrangers ». En ce qui concerne le règlement municipal, la commission avance la nécessité de créer son propre règlement, sans s'appuyer sur les ‘Land Regulations’ « ce qui constituerait une fusion déguisée ». L'objectif principal à respecter est de « conserver intacte l'autorité que l'agent de France est appelé à exercer sur ses nationaux, et dont l'affaiblissement serait préjudiciable aux intérêts de la communauté française ». La commission décide toutefois de la nécessité d'avoir un conseil municipal élu dont les fonctions porteront sur la perception des taxes municipales et leur emploi, le consul conservant, outre les attributions de police, un droit supérieur de contrôle sur tous les actes du conseil municipal. Pour la population étrangère de la concession, la commission considère qu'il est préférable de leur reconnaître le droit de participer au vote et de siéger au conseil municipal (la moitié des sièges leur étant assurée, l'autre moitié réservée aux Français). Pour la population chinoise, l'avis est partagé. L'Amiral Jaurès présente les avantages de l'admission des Chinois « dont l'esprit d'ordre et l'intelligence sont connus, et qui sont tout disposés à soutenir au besoin l'autorité consulaire ». Pour M. Berthemy « les délégués chinois pourraient, par leur influence sur les autres indigènes, faciliter le recouvrement des impôts. [Il] doute, cependant que leur admission présente un caractère suffisant d'opportunité et serait donc d'avis de ne laisser représenter la population chinoise que par un seul délégué que le Consul général désignerait, de concert avec le Taotai, et qui ne pourrait siéger sans l'agrément du Conseil municipal. » Ces idées ne seront pas suivies, notamment face aux protestations des membres du conseil municipal pour qui les désagréments l'emporteraient sur les avantages du fait que les Chinois, investis du prestige de siéger au conseil municipal, ne manqueraient pas d'abuser de leur autorité. 117

Notes
117.

ADN, Fonds Shanghai, Série B Rose, Carton n°31, Séance du Conseil d’administration municipal.