Une société sous l’emprise des gangs

Tout au long de son histoire, la police municipale française sera critiquée pour sa corruption : elle est fortement marquée par la culture des gangs qui prédomine à Shanghai, leur légitimité, en l’absence d’un gouvernement politique unifié durant la période républicaine, s’exprimant par le biais de la violence et de la force brutale. A Shanghai, la division de la ville en trois juridictions distinctes favorise le développement des sociétés secrètes : les trois polices ayant du mal à coopérer ne parviennent pas à développer une politique commune pour lutter contre le crime ; il est possible de commettre un vol, un kidnapping ou de gérer un trafic de drogue dans une partie de la ville et d’échapper au contrôle de la police et aux arrestations en s’enfuyant dans une juridiction gérée par une autre police. La Bande verte, créée au début de la dynastie des Qing afin de faciliter le transport des céréales du bassin du Yangzi à Beijing pour le gouvernement impérial, est la société secrète dominante à Shanghai ; les chefs de la Bande parviennent à monopoliser le transport des céréales sur le canal reliant Hangzhou à Beijing et en 1848, quand les céréales commencent à être transportées par mer et que tous les bateliers sont révoqués par le gouvernement, la Bande verte est menacée de disparition ; un grand nombre de ses membres décident de s’installer à Shanghai en pleine expansion, où elle se reforme en attirant les vagabonds et les anciens membres sans ressources ni travail. 151 Les politiques des puissances étrangères facilitent le développement à Shanghai du crime organisé ; les propriétaires de maisons de jeu, de fumeries d’opium et de maisons closes doivent souscrire des licences auprès des municipalités étrangères et jusqu’à la fin du XIXème siècle ces taxes et licences constituent la source principale de revenu de la municipalité française, en contrepartie de quoi la protection des établissements est assurée ; les gangsters payent les taxes exigées et aident les responsables municipaux à l’imposer aux divers commerces chinois. Le développement de la ‘pègre’ menaçant l’ordre public dans les concessions, des postes clés de la police sont offerts à des chefs de gangs puissants, l’objectif étant de contrôler, par leur intermédiaire, les différents gangsters de la ville. Huang Jinrong, l’un des trois chefs de la Bande verte avec Du Yuesheng et Zhang Xiaolin, devient détective en chef dans la police française en 1892. 152 Cette tendance à recruter des gangsters chinois s’accentue progressivement au sein de la police française mais, selon Robert Bickers, il n’y a pas de collusion entre le monde des gangs et la Shanghai Municipal Police : « There was no’pact with the devil’ in the International Settlement, and it is misleading to assume that the occasionally corrupt patterns and practices of the French concession were replicated in the settlement ». 153

Notes
151.

Shiling Zhao McQuaide, ‘Shanghai Labour: gender, politics, and traditions in the making of the Chinese working class, 1911-1949’, Ph.D. Queen’s University, Ontario, Canada, 1995, p 172.

152.

Brian G. Martin, The pact with the devil: the relationship between the green gang and the Shanghai French Concession authorities, 1925-1935, in Frederic Wakeman and Wen-hsin Yeh, ed., Shanghai Sojourners , Berkeley, Institute of East Asian Studies, 1992, p 268.

Shiling Zhao McQuaide, Shanghai Labour: gender, politics, and traditions in the making of the Chinese working class, 1911-1949, Ph.D. Queen’s University, Ontario, Canada, 1995, p 174.

Su & Chen, Jindai Shanghai heishehui , pp 52-54.

153.

Robert Bickers, Who Were the Shanghai Municipal Police ? in Robert Bickers, Christian Henriot, eds, New Frontiers , p 177.