Réclamations relatives aux conditions de travail et au salaire des employés de la Garde municipale

En mai 1876, le Conseil décide la création d'une caisse de prévoyance en faveur du personnel de la Garde municipale dont les fonds seront constitués par une retenue de 10 % par an, prélevé mensuellement, sur le salaire du personnel européen, augmentée d’une cotisation mensuelle de l'administration égale au montant des retenues. Cependant, lors de l'établissement du budget pour l'année 1878, le Conseil, pour réaliser des économies, supprime la caisse de retraites pour les employés du secrétariat, en place dès avril 1874, et le projet de caisse de prévoyance pour la Garde municipale ; en décembre 1875, le Conseil avait déjà supprimé l'indemnité de logement pour l'année 1876 en contrepartie de la construction de logements de fonction qui seront mis à disposition fin 1877 ; jusque là, les dortoirs des agents de la Garde et les chambres des sous-officiers étaient installés dans la partie droite de l'hôtel municipal, les bureaux du poste central de police et les salles à manger se trouvant dans ses soubassements où règne une chaleur étouffante en été ; on construit donc dans le jardin un bâtiment qui abrite un dortoir, des chambres pour les sous-officiers et des salles à manger, l'hôtel municipal gardant l'aile gauche rénovée pour le service des travaux, l'aile droite pour la police. Le logement des agents, n'ayant pas tous les mêmes horaires de travail, en dortoir, leur interdit toute autonomie, les confinant aux bars en guise de vie sociale. 185

Le 30 octobre 1882, le Conseil apporte des changements au règlement administratif de 1879 : trois mois de demi-solde sont désormais octroyés à l'employé, au moment du retour en France pour un congé. Les employés municipaux les plus nombreux sont ceux de la Garde ; en dehors des stagiaires, les employés sont répartis en trois classes et il est nécessaire d'effectuer au moins cinq années de service dans la Garde pour atteindre le statut de première classe, les promotions étant soumises au Conseil par le chef de la Garde, après entente avec le consul ; de nombreux manquements de conduite sont pointés parmi les agents, les privant de leur gratification de fin d'année en 1882, somme répartie parmi les autres agents de la Garde ; 186 en septembre 1883, les agents de la Garde protestent auprès du Conseil de l’insuffisance de leur salaire mais il refuse de répondre à leur demande en cours d’exercice. 187

En janvier 1886, le Conseil, en accord avec le consul, décide d’ouvrir une école pour initier les agents chinois de la Garde à la langue française, afin de limiter les conflits provenant de malentendus. D’autre part, après le renvoi d’un agent étranger de la Garde en raison de son alcoolisme et de son inconduite et suite aux nombreux cas de tapage nocturne, ivresse et rixes provoqués dans les bars par les agents étrangers de la Garde, le consul Kraetzer propose, en juin 1886, la création d'un centre de détente pour ces agents, 188 proposition qui ne verra pas le jour. L’école municipale fonctionne à partir d'octobre 1892 et prend en charge la formation des gardes chinois à la langue française pour qu’ils deviennent des intermédiaires entre l'administration française et la population locale ; 94 élèves sont aussitôt intégrés à l’école mais tous n’achèvent pas leurs études, certains renvoyés pour infraction au règlement ou par manque d'assiduité, d’autres quittant l'école de leur propre chef ; sur vingt élèves dont l'école a gardé la trace, trois deviennent à leur tour professeurs à l'école, un travaille pour le Consul général, un au bureau des Postes françaises, un est interprète au Poste central, un autre à la Prison municipale, un est interprète dans une entreprise française de sériciculture, quatre sont placés dans les bureaux télégraphes de Canton, etc. L'école coûte 2.000 taëls pour l'année 1892, son budget pour 1893 est de 2.200 taëls en raison de la hausse des salaires des professeurs chinois (entre 20 et 25 taëls par mois) ; 189 le cours de français destiné aux agents chinois de la Garde commence en 1894 où l’école comprend 111 élèves ; les progrès sont lents, du fait de l'âge des agents, leur fonction au sein de la Garde, le peu de temps consacré à l'étude ; 190 des cours de chinois seront assurés à partir de 1908 à l’intention des agents européens.

Depuis 1894, le chef de la Garde ne cesse de manifester son mécontentement : à responsabilité égale et malgré une qualification incontestable dans son domaine, il a un salaire moins élevé que les autres chefs des services municipaux, soit 200 taëls par mois et voyage de la famille à sa charge, tandis que le chef du secrétariat reçoit 300 taëls par mois, l'Ingénieur 250 taëls plus avantages comme une indemnité pour le chauffage et l'éclairage, une voiture, un cheval et le remboursement du billet ; le 12 mars 1894, les sous-officiers et les agents européens de la Garde remettent au Conseil une pétition dans ce sens, expliquant que les agents ne peuvent faire d’économies en vue de s'assurer une retraite ou en cas de maladie, les frais d'hôpitaux étant à leur charge ; en novembre 1896, Krémer renouvelle sa demande, auprès du consul cette fois, afin qu'il contribue à l'amélioration des conditions d'emploi du personnel de la Garde qui n’a été l’objet d’aucune réévaluation de salaires alors qu’à Shanghai la hausse des prix est importante ; le Conseil n’a pas davantage pris en compte la baisse de la monnaie locale. A partir de 1897, le Conseil municipal décide de réviser le mode de calcul des salaires : il est versé en fin de mois en taëls et non en francs pour limiter les variations dues au change, le plus souvent en défaveur des employés, mais il ne suit pas pour autant la hausse des prix et couvre uniquement les frais de la vie courante, ne leur permettant pas de réaliser des économies. Le 29 juillet 1898, le chef de la Garde pose à nouveau le problème récurrent de la faiblesse des salaires des agents européens et chinois qui « assurent à peine le présent, aucunement le futur » et le Conseil accepte une augmentation de 10 taëls par mois pour le personnel européen, 1 taël pour le personnel chinois. 191 En 1905, les agents européens de la Garde sollicitent une hausse de leur salaire et la création d'une caisse de retraite. Il faut attendre 1908 pour voir une amélioration dans la situation des gardes européens. A partir du 1er janvier l'échelle des salaires augmente ; la grille démarre à 70 taëls au lieu de 60 précédemment et les conditions d'avancement sont précisées ; grâce aux travaux réalisés aux postes de l'Est et au poste Central, une chambre individuelle peut être offerte à chaque agent célibataire. 192 Le consul évoque la situation difficile dans laquelle sont placés les agents mariés dont le traitement modeste ne leur permet pas de faire face aux soins médicaux pour leur famille et décide, à partir de novembre 1908, de leur octroyer certains avantages : gratuité pour les familles des visites à l'infirmerie municipale, prise en charge des frais de séjour à l'hôpital et des opérations chirurgicales ; l'article VI du règlement municipal établit que « tous les employés de l'administration ainsi que la famille de l'adjudant-mécanicien, l'aide-mécanicien de la Brigade des Pompiers et les agents de la Garde municipale ont droit aux frais de séjour à l'hôpital et à la gratuité pour les opérations chirurgicales » et l'article VII précise qu'une caisse de prévoyance est établie pour les employés de l'administration municipale en contrepartie d’une retenue de 5% sur le salaire ; 193 une autre mesure assure la prise en charge des frais de voyage de leurs familles lors des congés réguliers.

Le fonctionnement de la police est le reflet des difficultés à gouverner la Concession française. Le consul et les conseillers sont confrontés à des problèmes qui exigent des compétences de gestionnaire et d’administrateurs qui leur font défaut. Les agents de la Garde municipale perçoivent des rémunérations peu adaptées au niveau de vie des Occidentaux de Shanghai, ne bénéficient pas de conditions avantageuses pour le logement et la protection sociale, et n’ont pas de qualifications pour exercer le métier de policier. Comment, dans ces conditions, s’assurer d’une police intègre et efficace : les agents offrent une mauvaise image de la municipalité en s’adonnant à l’alcool et en participant à des rixes, en réagissant avec violence et en exprimant sans risque de punition leur racisme à l’égard des asiatiques voire même envers la communauté étrangère comme les Anglais ; comme l’animosité entre les deux communautés est un fait avéré et est en quelque sorte légitimé par les représentants politiques français et les conseillers qui expriment ouvertement leur mécontentement à l’égard de la municipalité anglo-saxonne, cet état d’esprit est accepté au sein de la police.

Notes
185.

AMS, U38 1 2745, Exercice 1876, Rapport annuel du chef de la Garde municipale.

186.

AMS, U38 1 2748, Exercice 1882, Rapport annuel du chef de la Garde municipale.

187.

AMS, U38 1 2749, Séance du CAM, septembre 1883.

188.

AMS, U38 1 2752, Séance du CAM, juin 1886.

189.

AMS, U38 1 2761, Séance du CAM, budget pour l’année 1893.

190.

AMS, U38 1 2763, Séance du CAM, mai 1894.

191.

AMS, U38 1 2766.

192.

ADN, PER 373, Rapport du chef de la garde, année 1908.

193.

AMS, U38 1 2776.