1.3.3. Décharge de responsabilité entre les deux concessions occidentales : l'aménagement de la Concession française

Comme nous l’avons vu précédemment, les Anglais ont acquis dès 1844 les territoires sur lesquels ils installent leur concession, et ce n’est qu’en 1849 que les Français réclament leur propre espace. La Concession internationale occupe, en bordure du fleuve Huangpu, une position favorable qui lui donne un accès direct au port. Le SMC, Shanghai Municipal Council, est élu annuellement parmi des candidats sélectionnés selon leurs biens fonciers ; le droit de vote est limité aux Occidentaux dont la valeur des propriétés ou le montant des loyers versés s’élèvent au minimum à 500 taëls par an. Les finances municipales sont constituées de taxes payées par les résidents occidentaux et chinois, et employées à l’aménagement du territoire et à l’entretien d’une police. Installée à l’origine sur une zone marécageuse, elle se transforme rapidement en une ville moderne ; le territoire de la concession anglaise devient le quartier des affaires, le nord et l’ouest constituant le quartier résidentiel ; c’est dans la Concession internationale qu’est sis le siège social des grandes entreprises, même françaises, en raison de la prévalence financière jouée par le Bund à Shanghai ; après 1895, les industries et les usines sont implantées au nord et à l’est. 194 En comparaison, la concession française est davantage considérée comme une zone résidentielle en raison du nombre limité d’industries et d’un centre d’affaires restreint.

La Concession française se trouve au sud, en bordure de la cité chinoise où marécages et tombeaux occupent au départ la majeure partie de la superficie concédée. Les missionnaires catholiques sont les premiers à y posséder un terrain assez vaste, entre deux cimetières, que les autorités chinoises ont cédé à la suite des démarches de Lagrené, en compensation de propriétés confisquées au temps des persécutions religieuses. Sur ce terrain existait une construction abandonnée qui, après quelques réparations, sert de résidence à Mgr Maresca, missionnaire catholique de la Mission du Jiangnan. 195 A partir de 1848, date de sa prise de fonction et jusqu'en 1855, date à laquelle un nouveau Consulat est construit, le consul de Montigny y réside avec sa famille. La Concession française est séparée de la Concession anglaise par le Yangjingbang, un canal source de ‘miasmes’ -terme employé à l'époque pour définir l'émanation causée par des substances en décomposition-, encombré de vases fétides propices au développement d'infections typhiques lors de son curage ; la prise en compte des dépenses nécessaires à son entretien ou à son comblement entraîne de vifs échanges entre les deux administrations. A partir de 1862, le CAM avance l'idée de combler le canal tandis que le SMC préconise un dragage ; les deux Conseils resteront divisés sur cette question pendant cinquante deux ans. Le SMC refuse la proposition française car ce bras d’eau constitue une zone de défense de la Concession internationale et par la suite ce sont les propriétaires près du canal qui refusent son comblement, craignant que la circulation qui le remplacerait n'entraîne une baisse de valeur de leur propriété. Le Yangjingbang n'est finalement comblé qu'en 1915, donnant lieu à la construction des deux rues centrales des concessions, la rue Tibet (Xizang bei lu) et l'avenue Edward VII (Yanan dong lu). Les deux municipalités oscillant constamment entre coopération et dissension comme dans le cas précédent, la création de municipalités autonomes, permettant de mener une politique urbaine autonome, est préférable. Pour une plus grande cohérence, elles engagent malgré tout des travaux en commun, édifiant des infrastructures similaires pour les routes, l’électricité, les égouts etc. Au début du XXème siècle, après délibérations entre les deux conseils, sont tracées des lignes de tramways afin de relier les deux concessions. Après sélection de nombreux projets, les municipalités choisissent des ingénieurs occidentaux pour effectuer les aménagements urbains ; Shanghai n’a donc rien à envier aux grandes villes occidentales : les avancées technologiques et les préoccupations hygiénistes d’Europe et d’Amérique s’y expriment par la voix d’experts étrangers.

Notes
194.

Robert Bickers, Britain in China , Manchester University Press, 1999, p 124.

195.

Monseigneur Maresca, évêque, est en charge de la Mission du Jiangnan dans la région du Zhejiang de 1848 à 1855. Cette période est marquée par la fondation de l'orphelinat de la Sainte-Enfance et par le collège Saint-Ignace, fondé en 1849-1850 pour recueillir des enfants du village de Xujiahui et des environs que les familles ne peuvent nourrir. La cathédrale Saint-François-Xavier de Xujiahui est achevée en 1853.