La création du Zongli Yamen en 1860

A partir de 1860 toutefois, des changements s'opèrent au niveau de la diplomatie chinoise, le gouvernement chinois tendant à une plus grande collaboration avec les puissances étrangères. Après la Convention de Beijing en 1860, cette politique, initiée par le Daotai de Shanghai en 1858 et 1859, passe au niveau du gouvernement central sous la direction du Prince Gong ; elle résulte d'une faiblesse militaire à deux niveaux, interne avec la pression exercée par la révolte des Taiping, externe celle exercée par les étrangers. La priorité est donnée à la lutte contre les Taiping, la pression des étrangers paraissant un danger de second plan, interprétation qui amène le gouvernement à ratifier les nouveaux ‘traités inégaux’ de 1858 et 1860, se traduisant dès 1860 par la coopération de l’armée Qing et des troupes étrangères qui parviennent à mettre fin à la révolte Taiping ; cette victoire assure le maintien de la dynastie qui, dans une politique d'auto-renforcement, entreprend de construire une puissance militaire chinoise suivant le modèle occidental ; 209 l'arsenal du Jiangnan entre dans ce projet.

D’autre part, l'humiliation subie avec l'occupation anglo-française de Beijing durant la seconde guerre de l'Opium et la destruction du Palais d’Été en 1860 fait prendre conscience au gouvernement chinois de la nécessité d’une nouvelle diplomatie centralisée, qui s’exprime par la création d'une nouvelle institution, le Zongli Yamen, chargé des relations avec les étrangers. Il est la réponse à des intérêts très divergents : le Prince Gong, s’il souhaite renforcer la position de la Chine à travers une collaboration avec les étrangers, travaille aussi par ambition personnelle afin de renforcer sa position politique, tandis que le ministre anglais Frédéric Bruce souhaite traiter avec un bureau officiel centralisé et responsable, qui puisse punir ou révoquer de leurs fonctions les responsables locaux ou provinciaux qui veulent ignorer les droits des étrangers et ne respectent pas l'esprit des traités. 210 Malgré la création du Zongli Yamen, le Daotai décidera encore des affaires locales.

Dans la Concession française, les tensions demeurent dans le règlement des affaires municipales : le Conseil en appelle à l'intervention du consul auprès du Daotai ; les problèmes non résolus au niveau local peuvent désormais être gérés auprès du Zongli Yamen. Ainsi en août 1886, le Consul, sur la demande du Conseil, obtient du Zongli Yamen que le Daotai de Shanghai verse une somme de 7.500$ pour l'entretien de la route de Xujiahui. L'administration française exige en outre des autorités chinoises un contrôle des constructions effectuées sur cette route afin que les habitations n’y débordent pas. 211 De son côté le Daotai continue à privilégier une politique de non-intervention ou de refus. Dans les questions relatives à la route de Xujiahui, le ministre français de Beijing demande au Conseil de ne pas agir directement auprès du Daotai mais de passer par l'intermédiaire du Zongli Yamen ; il reproche notamment au Conseil de s’être tourné vers le Daotai pour réclamer l’autorisation de construire une nouvelle route partant de la rue du Consulat (Jinling dong lu) et rejoignant le village de Xujiahui, remplaçant la route existante dont le Daotai refuse les droits de propriété à la municipalité : « La première chose à faire était de s'assurer, par une enquête aussi secrète que possible, du consentement des propriétaires des terrains situés sur le parcours de la voie nouvelle. Après avoir arrêté avec eux la cession à prix débattu des parcelles dont nous avions besoin, vous auriez pu m'écrire pour me faire connaître tout à la fois le résultat de ce travail préparatoire et demander d'obtenir du Tsongli Yamen qu'il s'intéressât à nos vues et en recommandât l'adoption. Celui-ci, en redescendant l'échelle hiérarchique eût alors entretenu le Taotai de Shanghai de nos intentions, dans des termes propres à nous ménager son bon vouloir. [...] Faute d'en avoir agi de la sorte, une seconde tentative de notre part rencontrerait des fins de non-recevoir absolues. » 212 Le ministre français de Beijing rappelle au Conseil que, la municipalité ne possédant pas les droits de propriétés sur la route de Xujiahui, il est difficile d'obtenir l'expropriation de terrains pour construire une nouvelle route ; il préconise toutefois, devant le peu d'arguments à opposer aux autorités chinoises quant aux droits sur la route, de ménager les relations avec le Daotai de Shanghai, pour ne pas essuyer un refus de leur part : « nous nous exposerions à compromettre notre situation présente, sans aucune perspective de nous ménager des dédommagements à ce que nous aurions perdu. Aussi tiendrais-je pour très important de ne pas laisser s'anéantir entre nos mains le gage matériel que constitue la possession de la seule voie carrossable existant entre notre concession et Zikawei » ; les vues des autorités consulaires diffèrent ainsi largement de celles des conseillers municipaux. Le ministre plénipotentiaire français de Beijing conseille de poursuivre les travaux sur la route de Xujiahui, en attendant un moment favorable pour agir auprès du Zongli Yamen et en obtenir ainsi plus d'avantages, comme l'achat des terrains des propriétaires chinois ou, dans le meilleur des cas, les droits de propriétés de la route.

Notes
209.

Leung Yuen-Sang, The Shanghai taotai linkage man in a changing society , 1843-1890 , pp. 58-60.

210.

Leung Yuen-Sang, The Shanghai taotai linkage man in a changing society, 1843-1890 , p 59.

211.

AMS, U38 1 2755, Echanges de lettres entre le Consul de France à Shanghai et le daotai, juillet et août 1889.

212.

ADN, Fonds Shanghai, Série B Rose, n°27, Réponse du Ministre au vice-président du CAM de la Concession française, le 16 août 1881.