Le télégraphe cristallise les conflits de pouvoir

En 1883, survient un nouveau différend entre le Daotai, le consul et le Conseil municipal français, relatif à une ligne télégraphique que le CAM envisage de placer sur la route de Xujiahui ; devant le refus du Daotai, le consul général E. Flesch décide de saisir la légation de la république afin que l'affaire soit transmise au Zongli Yamen à Beijing. Les dissensions réapparaissent, relatives à la répartition du pouvoir et aux rôles respectifs du Conseil et du consul, qui rappelle au Conseil les limites de ses fonctions: « Je n'ai pas besoin de vous rappeler, Monsieur le Président, que le Conseil, n'étant pas accrédité auprès des autorités territoriales, ne saurait prétendre à assumer, vis-à-vis de celles-ci, une initiative quelconque, de nature à engager la responsabilité du gouvernement de la République dont les Agents ont seuls qualité pour apprécier et traiter les questions offrant un caractère international » ; cette position amène à la démission de Vouillemont, président du Conseil, qui reproche au consul de ne pas régler le problème localement ; le Conseil avait en effet indiqué son intention d’exprimer « par des moyens légaux » au Daotai son refus d’une mise en place de la ligne par la Compagnie Chinoise de Navigation à Vapeur : la route ayant été créée par l'armée française en 1862 et entretenue par la municipalité, son entretien assuré pendant plus de vingt ans, il semble normal de réserver à une compagnie française le soin d’effectuer les travaux ; en outre, les propriétés qui séparent l'observatoire de Xujiahui de la route appartiennent aux Jésuites, ce qui rend inutile d'obtenir des autorités chinoises la permission de faire passer le fil télégraphique de la municipalité au-dessus de ces propriétés. 213 Les deux parties souhaitent régler le problème différemment et le consul rappelle que la décision finale est de son ressort, reprochant au Conseil de présenter ses prétentions au Daotai d'une manière trop directe et de façon irrégulière ; dans les différends avec les autorités locales, le Conseil doit s'en remettre à « l'intervention de ceux que le Gouvernement de la République a jugé dignes de remplir la délicate mission de faire respecter notre pavillon et de défendre nos intérêts nationaux ». Le consul, pour appuyer ses arguments, fait l'éloge des agents consulaires français : « ils ont déjà donné la mesure de leur expérience et de leur énergie, dans des circonstances difficiles et quelquefois périlleuses, il sont absolument dégagés de toute préoccupation d'intérêt personnel ou d'amour propre personnel, ils échappent complètement à tout esprit de parti et à toute impression locale ; leur unique et constant souci est l'accroissement de la prépondérance et de la prospérité de la mère patrie ; ils offrent plus de compétences et de garanties pour apprécier, poursuivre et réaliser un but éminemment national, qu'une assemblée où l'élément étranger figure pour moitié ». 214 En attribuant la Concession au gouvernement français, on lui a accordé tous les droits et pouvoirs de gestion ; le Conseil est un organe qui lui est soumis pour gérer localement les différentes questions qui la concernent et son président ne peut agir directement auprès des autorités chinoises ni prendre de décisions sans le consentement du consul.

Par sa nature, la route de Xujiahui entraîne de lourdes dépenses : d'une largeur limitée, bordée d’un côté par un cours d'eau, de l’autre par des villages chinois, franchie par des ponts, sujette aux éboulements à chaque averse, elle exige de fréquentes réparations, malgré lesquelles affluent les plaintes des étrangers qui l’empruntent comme des propriétaires chinois dont les activités débordent sur la route, bloquant la circulation ; d’où des vols fréquents de matériaux d’entretien, l’abattage des arbres plantés par l'administration. Le Conseil, s'en remettant aux autorités chinoises pour les travaux engagés mais assumant en grande partie les frais d'entretien et de réparation, reproche aux responsables des villages de ne rien faire contre les malfaiteurs. Cette route constitue un enjeu important ; malgré les menaces du CAM d’arrêter tous les travaux si le Daotai n'y participe pas financièrement, et les arguments du Conseil mettant en avant son utilité pour la population chinoise, la route demeure une priorité dans la politique urbaine de la municipalité car elle relie la concession aux villages avoisinants et notamment au village de Xujiahui où se trouve l'Observatoire de Xujiahui tenu par la Mission des Jésuites. Son obtention en 1900 permettra au Conseil de construire en dehors des limites de la concession l'avenue Paul Brunat, actuellement ‘Huaihai zhong lu’ et l'avenue Dubail ‘Chongqing nan lu’, et lui donnera le droit d'assurer la surveillance policière des routes extérieures.

Notes
213.

ADN, Fonds Shanghai, Série B, n°74, Lettre de Vouillemont, président du conseil à M. E. Flesch, Consul général de France à Shanghai, le 2 avril 1883.

214.

AMS, U38 1 2749, Séance du CAM, le 17 septembre 1883.