L'action des nationalistes à travers le bureau des Affaires sociales

Le régime Nationaliste souhaite s'impliquer et mettre en place une administration moderne pouvant concurrencer les autorités étrangères, ce qui passe par la mise en place d'institutions capables de gérer les problèmes communs aux trois secteurs, l'interdiction des formes d'organisation créées avant leur arrivée et la présence du Guomindang dans les associations ; leurs agissements confirment les inquiétudes des responsables français : dès son arrivée, le régime nationaliste tente de creuser des brèches dans l’édifice des concessions. A partir de juin 1927, les propriétaires français ne peuvent plus percevoir les loyers, les locataires devant verser au gouvernement chinois les loyers de "deux lunes consécutives" à titre de contribution de guerre ; la France essaie de se défendre par les voies juridiques et le Crédit Foncier d'Extrême-Orient, chargé de la collecte des loyers, doit se soumettre à la décision du tribunal : «nous en concluons que le seul moyen de recommencer à collecter les loyers est d'accepter de faire cette remise, puisque nous n'avons aucun moyen légal d'obliger nos locataires à payer deux mois de loyer ». 277 La Concession française entame, de son côté, une politique de défense.

Le gouvernement nationaliste veut, par ailleurs, se prévaloir du rôle de médiateur dans les conflits sociaux des trois secteurs de la ville, créant à cet effet, le 7 juillet 1927, le Bureau de l'Agriculture, du Travail, et du Commerce qui devient, à partir du 1er août 1928, le bureau des Affaires sociales, BAS, se présentant comme un organe médiateur dans le règlement des grèves mais les entrepreneurs et dirigeants français refusent sa médiation. La Compagnie française des tramways, touchée par la grève, voit les acteurs importants de Shanghai prendre part à son organisation et à sa résolution ; dans les années 30, Xu Amei, militant communiste, s’allie à Du Yuesheng, dirigeant de la Bande verte, au BAS, au Guomindang, et aux dirigeants de la Compagnie ; tentant d'enrayer les grèves, la Compagnie refuse dans un premier temps l'action du BAS, recevant en 1929 «plusieurs lettres de convocation auxquelles elle ne répondit pas, donnant comme motif de cette attitude, à un représentant du Bureau qui s'en informait, que la Compagnie de tramways, en tant que Société française installée sur un territoire soumis au contrôle d'un représentant de la France, n'avait rien à voir avec un bureau d'une Administration Chinoise dont elle ne relève pas », 278 attitude qui demeurera une constante des autorités françaises. En 1930, la grève de cinquante-sept jours qui touche la Compagnie révèle les faiblesses de chacune des parties ; l'exclusion de Xu Amei du parti coïncide avec la perte d'assise du communisme dans les milieux ouvriers ; de son côté, le Guomindang est partagé entre son désir de jouer un rôle d'opposant aux concessions et sa réticence à s'allier à des activistes manquant de conformisme ; il s'irrite en outre de l'attitude des Français qui se refusent à reconnaître la nouvelle loi sur le travail et l'autorité du BAS ; ceux-ci renouent leurs relations avec Du Yuesheng tandis que le BAS, lui aussi, se retranche derrière la Bande verte. Cette grève met en valeur la combativité du groupe et l'affaiblissement des communistes face à l'acceptation par le Guomindang de grèves longues et dures. 279 Le gouvernement nationaliste exprime également sa volonté de réforme par la suppression des associations de commerçants, comprenant les représentants des pagodes et des guildes ; il veut remplacer ces structures traditionnelles par des organisations comme l’Union des citoyens ; par le biais du responsable chinois local, le Tuangpu, le Guomindang souhaite s’intégrer dans la Concession française par un organisme auquel l’ensemble de la population puisse s’affilier : l’Union des citoyens a un but politique plutôt que commercial, 280 dont l’objectif est de répandre les idées des nationalistes dans la population, retour à la souveraineté nationale et disparition des concessions ; car le Guomindang perd son assise politique, l’État lui assignant le seul rôle qu’il a toujours voulu lui voir tenir et qu’explique Christian Henriot : «Au niveau de Shanghai, et plus encore au niveau national, le GMD est devenu, pour les institutions gouvernementales, une organisation qui devait leur être inféodée en vue de poursuivre des objectifs qui n’étaient pas nécessairement contradictoires (dépouiller la société chinoise de toutes les organisations possédant une influence et une autonomie propres, ou les faire passer dans le giron de structures étatiques ou para-étatiques), mais qui devaient avant tout garantir à l’État un pouvoir exclusif de domination sur la société, et si nécessaire, au détriment du Parti ». 281 Avant sa disparition, l’Association des commerçants était gérée par les mêmes dirigeants que l’Association des contribuables chinois, situation établie sous la pression du Consul ; dès juin 1928, date des premières élections, Du Yuesheng s’occupe ainsi des deux associations simultanément ; les Nationalistes y mettent un terme le 1er janvier 1933 pour réaliser l’Union des citoyens en mars 1933, rendant visible la présence du Parti nationaliste dans l'élection des représentants de l'Association des contribuables chinois ; dirigée par un comité exécutif composé de quinze membres, assisté d'un comité de contrôle de trois membres, élus pour deux ans, elle a un président, deux vice-présidents et un comité permanent de cinq membres choisis parmi les membres du comité exécutif pour gérer les questions courantes ; les membres des comités directeurs sont élus par une assemblée dénommée Assemblée générale des représentants des contribuables de la Concession française, composée de quarante-cinq membres ; 282 les élections de 1933 entérinent la présence de cinq membres du Guomindang à l'Assemblée Générale, seize membres seulement, au lieu de vingt-et-un, étant élus parmi les membres de l'Association ; cette décision émane de Du Yuesheng, président de l’Association à cette période ; le dépouillement des scrutins le 21 décembre 1933 lui donne de nouveau la majorité des voix. 283 Cette élection a révélé les tentatives de certaines associations de concurrencer la position occupée par Du Yuesheng et les autres membres de l'Association des contribuables, et d’obtenir une participation aux élections ; d'après les règlements de l'Association, vingt-et-un des représentants de l'Assemblée Générale doivent être nommés par les membres de l'association, et les vingt-quatre autres par les associations des commerçants, pagodes et guildes ; ces associations ayant été interdites par le Guomindang, pour les élections de 1933, les membres de l'Union des citoyens décident de présenter des candidats pour obtenir des sièges dans les comités de l'Association des contribuables ; la branche du deuxième district présente trois candidats pour occuper la présidence de Du Yuesheng et de ses deux vice-présidents, Du Yuesheng ayant quitté la présidence suite à sa démission, en février 1932, de son poste de conseiller municipal, démission qui n’a jamais été reconnue par les membres de l'Association ; de plus, face aux velléités de pouvoir des membres de l'Union des citoyens, les membres des comités de direction de l'Association des contribuables sont prêts à reporter les élections et attendre que Du Yuesheng se représente pour éviter l'élection des trois candidats de l'Union. 284 Pour participer aux élections, d’autres menées du côté des électeurs ; la Fédération des écoles secondaires et primaires privées de la Concession française et le Comité de l'éducation du deuxième district veulent prendre part au vote des membres de l'Assemblée générale des représentants des contribuables, vote qui reposait auparavant pour moitié sur les associations de commerçants ; leur interdiction doit amener à un élargissement des votants et à la prise en considération d'associations éducatives comme les deux précitées, argument avancé par la Fédération et le Comité afin de présenter comme irrecevable l’élection des vingt-quatre membres normalement désignés par les associations de commerçants ; l'affaire est alors portée devant les autorités chinoises locales. La liste des vingt-quatre représentants et de ses deux vice-présidents, établie par Du Yuesheng, doit se rajouter aux vingt-et-un membres élus le 21 décembre ; elle ne peut être définitivement acceptée en raison des accusations portées par la Fédération et le Comité qui souhaitent désigner des représentants à l'assemblée, ce que refuse l'Association des contribuables appuyée par Du Yuesheng repoussant toute négociation avec les représentants de la Fédération et du Comité. Dès lors, l'Assemblée Générale des Représentants, reportée depuis le 26 décembre 1933, se réunit le 7 janvier 1934 pour élire les membres des comités directeurs de l'association et du comité exécutif ; sur les six membres du Guomindang qui devaient être élus, un seul est désigné et Du Yuesheng obtient de nouveau le plus grand nombre de voix ; il refuse cependant le poste de président de l'association et justifie sa nouvelle participation aux affaires des contribuables par le biais de son poste au comité exécutif ; 285 les membres des comités directeurs sollicitent Du Yuesheng pour qu'il accepte la présidence de l'association, ce qu'il se décide à faire le 15 avril 1934 à la suite d'une réunion des comités directeurs. Les brèches visibles au sein de la Concession française s'agrandissent : si le pouvoir de la société secrète est limité par le Consul Meyrier, les relations de Du Yuesheng avec le Guomindang permettent sa présence au sein de l'Assemblée Générale et à un des comités directeurs de l'association, multipliant ses tentatives d’immixtion dans les affaires de la Concession française avec le BAS et l'association créée sous sa tutelle.

Notes
277.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°78, Le crédit foncier d'extrême-Orient au Consul général, le 19 décembre 1927.

278.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n° 75., Rapport de la GM, le 11 Mars 1929.

279.

Alain Roux, Grèves et politiques à Shanghai. Les désillusions (1927-1932 ), Paris, Editions de l'EHESS, 1995, p 263.

280.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°73; Service de Police, le 7 septembre 1932.

281.

Christian Henriot, Shanghai 1927-1937. Elites locales et modernisation dans la Chine nationaliste , Paris, éditions de l'EHESS, 1991, p 283.

282.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°73, le 20 décembre 1933.

283.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°73, Service de Police le 4 décembre 1933 et extrait du journal Shun Pao le 22 décembre 1933.

284.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°73, Service de Police le 10 novembre 1933.

285.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°73, Extrait du China Times le 23 décembre 1933 ; Service de Police le 26 décembre 1933, le 5,8, 16 janvier 1934.