2.3. La gestion des réfugiés chinois et des services d’hygiène publique durant la guerre sino-japonaise et l’occupation japonaise (1937-1940)

2.3.1. Les circonstances de la guerre sino-japonaise et l’arrivée des réfugiés dans la Concession française de Shanghai

Durant la nuit du 7 juillet 1937, les soldats japonais provoquent un incident au pont Marco Polo de Beijing (Lugou qiao) pour lancer leur conquête militaire de la Chine ; à la fin du mois, les forces chinoises doivent quitter Beijing, puis Tianjin et un mois plus tard, la guerre se déplace vers Shanghai. Les Chinois prennent alors l’initiative des combats : durant le conseil de guerre du 7 août, Jiang Jieshi et ses conseillers militaires décident de lancer une contre-offensive à Shanghai, pensant que la supériorité numérique des troupes chinoises sur les troupes japonaises va leur assurer la victoire, la présence des concessions entraînant, de surcroît, l’intervention des puissances étrangères. Le 11 août, Jiang Jieshi fait entrer trois divisions militaires dans la ville et deux jours plus tard, les combats s’engagent entre 80.000 soldats chinois et une garnison de 5.000 soldats japonais ; les premiers jours, les Japonais doivent reculer vers le Huangpu mais, avec l’arrivée de renforts, la situation tourne à leur avantage, les soldats japonais comptant environ 90.000 soldats face à 300.000 soldats chinois ; en outre, la supériorité de leur stratégie militaire, de leur entraînement et de leur équipement permettent aux Japonais de l’emporter. Les combats cessent à la fin d’octobre lorsqu’un bataillon de 800 soldats chinois établit des positions de défense à Zhabei et se bat durant quatre jours contre l’armée japonaise victorieuse ; les soldats qui défendent Nanshi, au sud de la ville, sont contraints, le 12 novembre, d’abandonner et de se réfugier dans la Concession française. L’armée chinoise enregistre le décès de 100.000 à 250.000 soldats tandis que les Japonais perdent environ 40.000 hommes. 555 Leur victoire renforce leur position dans le quartier de Hongkou et les zones adjacentes, dont la partie nord-est de la Concession internationale ; ils prennent ainsi le contrôle de plus de la moitié du territoire de la concession. Le ‘Garden Bridge’, qui constitue le lien principal entre la zone occupée par les Japonais et le reste de la Concession internationale, est étroitement surveillé par les troupes japonaises qui effectuent des fouilles humiliantes sur les étrangers et les Chinois qui désirent le traverser. 556

L’invasion japonaise de 1937 provoque une crise humanitaire de grande ampleur à Shanghai. Les familles aisées de Zhabei, au courant des risques d’attaque japonaise, s’installent, à partir du 24 juillet, dans les concessions qui, selon la police française, accueillent entre 50.000 et 70.000 réfugiés. Les rumeurs de guerre provoquent également l’exode des ouvriers de Yangshupu, le quartier industriel de l’Est de Shanghai, entraînant l’arrêt des usines ; l’activité économique suspendue, les usines, les magasins et les bureaux fermés durant les hostilités militaires, entre 200.000 et 300.000 ouvriers chinois se retrouvent au chômage. 557 Trois mois de guerre laissent la ville en ruines : les bombardements qui touchent sa partie chinoise causent la destruction de centaines d’usines, de maisons ainsi que du centre civique récemment construit par la municipalité du Grand Shanghai. Les rues de la ville se trouvent envahies par des centaines de milliers de réfugiés qui ont survécu aux bombardements et aux combats de rues et recherchent de la nourriture, un toit et une assistance médicale.

Les réfugiés chinois aisés cherchant des logements vacants, certains propriétaires ou locataires en profitent pour louer leurs propriétés ou une partie de leur logement ; les réfugiés sans moyens financiers s’installent où ils peuvent. Cette population est évaluée à environ 16.000 réfugiés au 16 août 1937, et des associations de bienfaisance mettent en place des camps pour réfugiés : leur nombre est de quarante-six dans la Concession française au 10 septembre 1937, avec une population de 30.309 personnes. 558 Les autorités françaises ont fermé les entrées de la concession et fait poser des barbelés dès que les combats ont touché la vieille ville chinoise (Nanshi). 559 La Concession internationale, en raison de sa proximité avec les zones touchées par les combats, reçoit un nombre encore plus élevé de réfugiés, le SMC, contrairement à sa voisine, n’ayant pas bloqué les accès de la concession avant le début des combats ; elle compte, le 14 décembre 1937, cent cinquante quatre camps qui accueillent 91.597 réfugiés, nombres qui diminuent l’année suivante. En décembre 1940, on compte quatorze camps regroupant 14.764 réfugiés. 560 La Concession française accueille un maximum de 30.400 réfugiés en septembre 1937, période de combats dans la partie chinoise de la ville, nombre qui tombe à 24.100 en janvier 1938 lorsqu’une partie des réfugiés sont envoyés dans la zone de refuge créée à Nandao par le Père Jacquinot. A la fin des combats, lorsque le gouvernement nationaliste doit fuir avec les troupes, il laisse entre les mains d’associations philanthropiques plus de cent camps dont la responsabilité incombait au comité des réfugiés, le ‘Shanghai Municipal Relief Committee’, créé par le bureau des Affaires sociales du gouvernement nationaliste. 561

Réfugiés accueillis dans la Concession française
15 août 1937 13.200 15 novembre 1937 26.500
25 août 1937 23.300 25 novembre 1937 26.900
5 septembre 1937 27.500 5 décembre 1937 27.300
11 septembre 1937 30.400 15 décembre 1937 25.900
15 septembre 1937 29.700 25 décembre 1937 24.700
25 septembre 1937 28.700 10 janvier 1938 22.100
5 octobre 1937 26.700 18 novembre 1938 10.274
15 octobre 1937 25.800 20 juin 1939 18.313
25 octobre 1937 23.800 1er avril 1940 400
5 novembre 1937 25.500    

A la fin des hostilités, neuf camps destinés aux militaires chinois sont également ouverts sur la Concession française : ils accueillent six mille et trois soldats chinois au 15 novembre 1937 et sont placés sous le commandement d’un sergent de la police. Dans chaque camp se trouve une infirmerie pour les blessés légers ; les soldats y sont tous vaccinés contre le choléra et la variole par le service sanitaire français ; deux mille cinq cents militaires chinois, outre ceux des camps, sont soignés dans les hôpitaux de la Concession française et renvoyés dans leurs camps lorsqu’ils sont rétablis ; les consultations journalières dans les camps sont assurées par des médecins de l’hôpital Sainte Marie ou de la municipalité. 563 Des rumeurs courent, au début, sur le refus des autorités françaises d’autoriser l’entrée des blessés militaires chinois dans la concession ; or, dès septembre, les services d’hygiène et d’assistance organisent l’accueil de mille six cent soixante-quatre blessés dans les hôpitaux de la concession. 564 Une note est publiée dans les grands journaux chinois pour justifier l’interruption d’accueil de nouveaux soldats chinois pendant trois jours, en raison d’une épidémie de choléra et de dysenterie 565 car la politique française d’assistance à l’égard des réfugiés et des soldats chinois, loin de préoccupations humanitaires, est dominée par la peur des épidémies. L’objectif est de maintenir un état sanitaire stable pour éviter des pertes humaines plus lourdes sous le coup d’épidémies dévastatrices. Un mois après l’ouverture des camps, de nombreux cas de béribéri et des cas ‘pré-scorbutique’ y sont enregistrés par les médecins ; ces maladies, dues à une carence par avitaminose viennent du régime alimentaire des internés, composé de riz poli et de légumes salés, les légumes frais étant rares et plus chers ; le prix de la viande, trop élevé, l’exclut du menu ; bien que des consignes soient prises pour remédier à ces déficiences, elles restent difficilement applicables en raison des pénuries et de la cherté des produits alimentaires, mais le docteur Palud, directeur de l’hygiène publique insiste pour l’octroi de fonds et l’apport dans les rations alimentaires de légumes frais et de riz rouge. 566

Les réfugiés chinois, qui fuient les zones de combat, s’installent sur l’ensemble de la concession, dans les passages des lilong, à même le sol, dans les terrains vagues, dans les rues avoisinant les résidences habitées par les étrangers. La municipalité française reçoit des lettres émanant de résidents chinois habitant les lilong, aussi bien que de résidents étrangers, dont la motivation est d’éveiller l’attention sur l’insalubrité qu’entraîne cette surpopulation, aucune installation sanitaire n’étant prévue pour les réfugiés ; ils sollicitent la prise en charge des réfugiés, la création de toilettes publiques et la gestion des cadavres. 567 Une lettre du 29 août 1937, portant la signature de trente résidents chinois du passage n°125, rue de Lagrené (Changde lu), informe les services de police que des réfugiés se sont installés dans leur rue : « Comme nos moyens de secours sont restreints, et comme le nombre de ces réfugiés est assez important, leur présence constitue de gros inconvénients pour la sécurité et la salubrité du quartier. La cité est transformée en lieu d’aisance. Ils effectuent la cuisine en plein air.» 568 Quelques jours plus tard, suite à ce courrier, les réfugiés sont évacués. 569

Les lettres réclamant l’évacuation des réfugiés installés dans les lilong arrivent en masse aux services municipaux et entraînent l’intervention rapide des services d’hygiène publique. Dès les premiers mois de guerre, la surpopulation et l’organisation sommaire de camps où des centaines de personnes sont entassées et vivent à même le sol amènent ainsi une dégradation brutale des conditions de vie et d’hygiène ; dans des conditions si précaires, de nombreux réfugiés décèdent, victimes de maladies contagieuses. D’autres plaintes anonymes arrivent au service de police pour dénoncer les conditions de vie dans certains logements : » Nous avons l’honneur de vous signaler que depuis l’ouverture des hostilités à Shanghai, il y a des locataires principaux qui sous louent leurs maisons à d’autres personnes ou des réfugiés, par exemple, le locataire principal de la maison n°10 passage 16, rue Amiral Courbet, a sous loué un salon et une chambre à un groupe de plus de quarante personnes. Ces réfugiés sont des gens ignorants et qui n’ont aucune idée de l’hygiène publique. Ils font leur besoin par terre. Des personnes sont déjà atteintes de dysenterie. » 570

Cette situation critique provoque un contrôle renforcé du service sanitaire sur les rues et les camps de réfugiés de la concession. En 1937, l’administration française divise le territoire de la concession en quatre secteurs et organise la surveillance sanitaire des camps ; 571 des contrôles sont effectués quotidiennement par des agents du service sanitaire ou par des agents de la police ; deux médecins, un de médecine traditionnelle chinoise et un de formation occidentale, sont affectés à chaque centre ; les responsables doivent obligatoirement tenir un registre indiquant tous les cas de maladies contagieuses ; la propreté des lieux est exigée mais pas toujours respectée, le manque d’ordre et de propreté devenant la hantise des autorités françaises. 572

La municipalité s’appuie sur le travail des associations chinoises qui ont organisé l’ouverture des camps pour accueillir les réfugiés dans la Concession française, comme sur l’ensemble de la ville et assument tous les frais y afférant, nourriture, médicaments, vêtements à donner aux réfugiés. Les trois municipalités de Shanghai ont joué le rôle d’intermédiaire et de coordinateur face à l’effort humanitaire massif que les organisations privées ont engagé dès qu’elles ont réagi à la crise. Les employés de la municipalité chinoise étant obligés de se réfugier au sein des concessions après que les combats ont détruit le centre civique, le travail de la municipalité est entravé et aucune autorité légale claire ne se dessine. Les trois municipalités coopèrent comme elles ne l’ont jamais fait auparavant durant la période des combats, mais leur action reste superficielle, comparée à l’engagement des associations chinoises à l’égard des réfugiés, raison pour laquelle c’est elles qu’ils ont en fait sollicité plutôt que les pouvoirs publics 573 et elles ont immédiatement répondu à l’appel. Les associations régionales sont parmi les premières à réagir à la crise des réfugiés en établissant des lieux d’accueil, en organisant des secours médicaux d’urgence et des transports pour permettre le retour des réfugiés vers leur ville natale. 574 Des associations de charité comme ‘Chinese Child Welfare Association’, YWCA (Jidujiao Nuqingnian Hui) et ‘Red Swastika Society’ (Shijie Hongwanzi Hui) fondent également des camps de réfugiés ; cette dernière est une organisation philanthropique gérée par un mouvement religieux issu de la religion Daoyuan, une secte du ‘Lotus Blanc’ fondée dans le Shandong au début des années 20. La Red Swastika Society ouvre à Shanghai huit camps, quatre hôpitaux temporaires pour les réfugiés et deux cliniques médicales ; 575 le 14 août 1937, sur la Concession française elle affecte la pagode sise route Winling (Wanping lu) à l’hébergement des réfugiés chinois ; les moines de la pagode prennent en charge l’ensemble des dépenses, assurant l’eau et l’électricité ; quatre cent trente-deux réfugiés sont accueillis à l’ouverture de la pagode. Deux maisons situées route Say-Zoong (Changshou lu), sont également mises à la disposition de l’association par leur propriétaire chinois ; ouvertes le 22 août 1937, la première accueille sept cent quatre vingt trois personnes, la seconde sept cent cinquante et une et l’administration de ces deux ‘asiles’ pour réfugiés est prise en charge par des bénévoles. 576

Certains résidents étrangers aident aussi à l’organisation de camps ; le père Jacquinot est parvenu à faire reconnaître auprès des autorités japonaises et chinoises une zone neutre à Nandao pour mettre les civils à l’abri des attaques ; connue sous le nom de Zone Jacquinot, elle accueille jusqu’à 360.000 personnes ; le gouvernement français confère au père Jacquinot la croix de la Légion d’honneur pour son action et Naggiar, Ambassadeur de France en Chine, lui rend hommage : » Avec une patience, un courage, une intelligence et un dévouement remarquables, il a contribué à sauver des milliers de vies humaines. » 577 En juin et juillet 1938, le père Jacquinot se rend aux États-Unis où il obtient de la Croix-Rouge américaine une somme de 700.000 $ pour aider les réfugiés chinois. 578 La Croix-Rouge internationale de Shanghai aide la Croix-Rouge chinoise à trouver des fonds et à approvisionner tous les camps de réfugiés de la ville. 579

Lors du déclenchement de la guerre, alors même que le gouvernement chinois est considérablement affaibli par l’occupation japonaise, des associations charitables créées par les Chinois chrétiens apportent également une aide importante ; l’aide aux pauvres ne vient donc pas uniquement des associations régionales et des guildes gérées par les marchands chinois, ou des institutions fondées par les missionnaires occidentaux. Les Chinois chrétiens contribuent également aux œuvres caritatives qui prouvent leur efficacité durant les périodes de crise quand l’État chinois n’a plus les moyens d’agir. Les épouses de certains hommes d’affaires chinois chrétiens se distinguent, en particulier Song Ailing, mariée à Kong Xiangzi (H.H. Kung), Ministre de l’Économie du gouvernement nationaliste, qui, durant la guerre sino-japonaise a établi à Shanghai, le ‘Bei Te Hospital’ pour la Croix-Rouge chinoise ; l’hôpital, financé par Mme Kong et certains de ses amis, comprend quatre cents lits. 580 Grâce aux dons de femmes issues de l’élite chinoise, elle fonde également un hôpital pour enfants de cent lits sur Connaught Road (Kangding lu). 581 En 1937, après une nuit particulièrement funeste pendant laquelle cinq cents cadavres, dont la majorité d’enfants, sont trouvés dans les rues de Shanghai, Mme Kong fait appel à l’Armée du Salut pour que le chargé d’opération vienne en aide aux enfants déshérités en contrepartie d’une aide financière ; sa sœur, Song Meiling (Mme Chiang Kai-shek), crée à Hankow en 1938 la ‘National Association for Refugee Children’, dans le but d’offrir une formation à des orphelins. 582 Durant la guerre sino-japonaise, Lu Baihong ouvre ses hôpitaux aux soldats et aux réfugiés chinois ; l’Armée du Salut est particulièrement dynamique, 583 parvenant à s’affranchir de l’emprise du gouvernement chinois et à susciter l’aide du monde des affaires chinois dans le pays, à Hong Kong et à l’étranger. 584 Le bureau de Protection de l’enfance, créé en 1938 par le SMC, coopère aussi avec l’Armée du Salut pour retrouver les parents d’enfants perdus. 585 Par ailleurs, selon un article du Shanghai Times, George Walker, responsable de cette organisation à Shanghai, traverse la ville durant la nuit pour distribuer des vêtements aux mendiants qui risquent de mourir de froid. 586 Une autre organisation catholique, la Croix-Rouge chinoise, reçoit d’associations et de particuliers des subventions de l’ordre de 19.000.000 $ par mois, ainsi qu’une aide mensuelle du gouvernement nationaliste. Le YMCA et le YWCA fondent le ‘National Student Relief Committee’ pour mener des actions caritatives avec un budget de 43.000.000 $ en 1944.

Malgré l’aide apportée, tous les réfugiés ne peuvent être accueillis dans des camps et restent dans les concessions longtemps après la fin des combats. Ceux placés dans les centres d’hébergement ne sont pas mieux lotis, les conditions de vie y étant précaires, comme le montrent les rapports effectués par le service sanitaire, 587 et le contrôle, exercé par les autorités des camps et la police, difficilement supportable : sauf cas d’urgence, les réfugiés ne peuvent en sortir.

Un ‘Comité international de secours de Shanghai’, CISS, est créé le 13 août 1937, qui regroupe le ‘Chinese-Foreign Famine Relief Committee’ et sept institutions ‘Fédération des associations de bienveillance’, ‘Croix-Rouge’ chinoise, ‘Swastika mondiale’, ‘Mission catholique’ de Chine, ‘Institut philanthropique chinois’, ‘YMCA’, ‘Association bouddhiste de Chine’ ; 588 d’autres organisations vont s’y joindre, comme l’Association civique de Shanghai. Le comité assure la coopération entre les trois administrations dans la gestion des réfugiés et crée cent quatre camps dans les six premières semaines des combats à Shanghai. Jusqu’en octobre 1938, le ravitaillement des camps est assuré par la Croix-Rouge internationale, relayé par la Fédération de secours aux réfugiés, FSR, créée par Yu Xiaqing, un homme d’affaires chinois, qui fait appel aux dons personnels. 589

Au printemps 1939, sous la pression des municipalités étrangères et des propriétaires qui ont mis leurs maisons à la disposition des associations, le CISS cherche à diminuer le nombre de réfugiés ; de nombreux camps de petite taille sont regroupés en de nouveaux centres qui accueillent plusieurs centaines de réfugiés, pour fermer son dernier refuge à l’automne 1939. La fermeture des établissements se poursuit durant l’année 1940, plus particulièrement dans la Concession française où il ne reste plus que deux camps au 1er avril 1940. 590 En 1941, le nombre des réfugiés est cependant encore important, environ 18.500 réfugiés répartis dans dix-neuf camps. 591 Suite à l’attaque de Pearl Harbour, après l’occupation de la Concession internationale par les Japonais, les associations de charité continuent leur travail sous le contrôle de la municipalité chinoise de collaboration ; cependant, la pénurie alimentaire rend précaire la survie dans les camps et les réfugiés partent progressivement vers les villages pour trouver de la nourriture, ce qui provoque la disparition des derniers centres d’accueil.

Dès le début des hostilités et l’arrivée dans la concession des réfugiés, les autorités françaises considèrent que leur gestion revient au gouvernement chinois ou aux associations ; aussi, ne financent-elles pas la nourriture et les vêtements qui sont distribués aux réfugiés dans les camps, mais, constatant l’absence de soins médicaux, la municipalité décide, malgré tout, d’organiser un contrôle sanitaire ; face à la surpopulation et à la précarité de la vie, source d’épidémies, elle ne peut faire l’économie de telles dépenses. Pour le docteur Rabaute, directeur des services d’hygiène et d’assistance, le fait que la municipalité ne finance pas les camps, est justifié: « Il ne saurait être question pour l’administration municipale d’intervenir autrement qu’au point de vue sanitaire. » 592 selon lui, la prise en charge des réfugiés incombe au gouvernement chinois, rôle que la municipalité du Grand Shanghai ne peut toutefois endosser : » Tout ce qui a trait à l’hospitalisation des réfugiés retombe complètement sur les services français. (...) Les autorités chinoises ne se sont préoccupées que des blessés militaires. Tout le poids retombe donc sur nous d’autant plus que les services d’hygiène et de quarantaine chinois se sont dispersés, que les vaccinations anti-cholériques n’ont pas été faites ou continuées à Nandao et que rien n’a été installé à ma connaissance par eux. » 593 Puisque les trois quarts des réfugiés chinois viennent des quartiers sous juridiction chinoise, le financement des centres d’accueil revient, selon le responsable français, au gouvernement chinois. Le directeur de la police française et le chef du service politique, qui surveillent également le fonctionnement des lieux d’hébergement, ont pour objectif de limiter le nombre des réfugiés dans la Concession française ; ils supervisent, sans en assurer le financement, les associations chinoises qui gèrent les camps. En avril 1938, ils s’inquiètent cependant des difficultés éprouvées par le Père Jacquinot pour trouver des fonds suffisants : « Il serait à craindre que l’entretien des camps de réfugiés ne tombe un jour à la charge de la municipalité. » 594 De plus, lorsque le SMC établit un camp pour mendiants avec l’Armée du Salut et le Rotary Club en 1940, les négociations pour définir la répartition des frais d’entretien entre les deux municipalités sont difficiles ; la municipalité française ne participe pas, malgré l’objectif premier ; le camp pour mendiants accueille plus de mille quatre cents hommes, femmes et enfants. Le SMC a également créé, en décembre 1938, un service de protection de l’enfance pour lutter contre la maltraitance et les abandons d’enfants. Sur la demande du docteur Palud, directeur des services d’Hygiène et d’Assistance à partir de 1938, la municipalité française, s’appuyant sur le travail réalisé par le SMC, met en place un tel service en 1943, quelques mois avant la rétrocession de la concession.

Le gouvernement nationaliste de Nanjing cesse de fonctionner à la fin des combats à Shanghai, en novembre 1937 et en décembre 1937 est établi le premier gouvernement de collaboration, la Municipalité de la Grande Voie, ‘Shanghai Dadao Zhengfu’. Au début de l’année 1938, le personnel de l’ancienne municipalité est appelé, par le maire Su Xiwen, à reprendre ses fonctions. Ce gouvernement est cependant rapidement remplacé par une municipalité spéciale placée, en 1940, sous l’autorité du gouvernement central de Nanjing constitué fin mars 1940. Après l’assassinat, en octobre 1940, de Wang Jingwei, le maire de cette municipalité, responsable du gouvernement chinois, désigne Chen Gongbo, un de ses lieutenants. Le gouvernement de collaboration chinois s’engage également dans l’action sociale auprès de la population chinoise. Le régime de Wang Jingwei étend l’action et les services de la municipalité chinoise du Grand Shanghai. Le bureau des Affaires sociales ‘BAS’ est divisé, en 1943, entre un Bureau des Affaires Economiques et un Bureau de l’Action Sociale ; il comporte un nouveau service, le bureau d’Aide à l’emploi. Grâce à la création de neuf hôpitaux publics et de huit cimetières publics, c’est le bureau de la Santé publique qui apporte l’aide la plus étendue à la population ; les services d’hygiène français sont amenés à coopérer avec ce bureau pour synchroniser les vaccinations de masse et harmoniser, selon les directives des autorités japonaises, la lutte contre les épidémies. La municipalité chinoise, en contrepartie de ces services, déploie un système de contrôle, le système ‘baojia’, créé à l’initiative des autorités japonaises, qui assure l’enregistrement des lieux d’habitations de chaque individu, le rationnement alimentaire et l’organisation d’une milice locale. Ce système est financé par la création d’une nouvelle taxe commerciale collectée par la milice. 595

Notes
555.

Bernard Wasserstein, Secret War In Shanghai , pp 15-18.

556.

Op.cit.

557.

Feng Yi, Elites Locales et Solidarités régionales. L’aide aux réfugiés à Shanghai (1937-1940), in Etudes Chinoises, vol XV, n°1-2, printemps-automne 1996, pp 75-76.

558.

AMS, U38 1 500 (2), Note sur la situation sanitaire de la Concession française, le 11 septembre 1937.

559.

Feng Yi, Elites Locales et Solidarités régionales. L’aide aux réfugiés à Shanghai (1937-1940) , dans Etudes Chinoises, vol XV, n°1-2, printemps-automne 1996, p 77.

560.

Op.cit., p 78.

561.

Nara Dillon, ‘Waging Welfare: Revolutionary Regimes and Social Welfare in Shanghai’, Ph.D. Berkeley, University of California, 2001, p 45, Feng Yi, Elites Locales et Solidarités régionales, pp 90-92.

562.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°91, Rapport des services de police, le 12 janvier 1938, le 18 novembre 1938, Bulletin municipal, avril 1940.

563.

AMS, Rapport du docteur Palud au directeur des services municipaux, le 15 novembre 1937.

564.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°91, Lettre du docteur Palud au Consul général de France, le 27 septembre 1937.

565.

ADN, Fonds Shanghai, Rapport des services de police, le 1er octobre 1937.

566.

AMS, U38 5 1672, Lettre du docteur Palud au directeur des services de police, le 11 décembre 1937.

567.

AMS, U38 5 1670, Lettres reçues par le service de police en août et septembre 1937 faisant état de la situation et réclamant l’intervention des services municipaux pour une plus grande hygiène.

568.

AMS, U38 5 1670, Lettre du 29 août 1937 de trente résidents du passage n°125 rue de Lagrené au service de police.

569.

AMS, U38 5 1670, Réponse du directeur de l’hygiène et de l’assistance publique, le 3 septembre 1937.

570.

AMS, U38 5 1670, Plainte du 31 août 1937 contre l’insalubrité de la maison n°10, passage 16, rue Amiral Courbet, traduction effectuée par le service de police.

571.

AMS, U38 5 1530, Rapport du directeur de l’hygiène et de l’assistance publique et du directeur administratif des services municipaux, novembre et décembre 1937.

572.

AMS, U38 5 1671, Rapport des services d’hygiène sur les différents camps de réfugiés de la Concession française, décembre 1937.

573.

Nara Dillon, ‘Waging Welfare : Revolutionary Regimes and Social Welfare in Shanghai’, Ph.D. Berkeley, University of California, 2001, p 42.

574.

Nara Dillon, ‘Waging Welfare’, p 42.

575.

Nara Dillon, ‘Waging Welfare’, p 69.

576.

AMS, U38 5 1530, Rapport du directeur de l’hygiène et de l’assistance publique au directeur des services municipaux, novembre et décembre 1940.

577.

AEF, Série Asie, Sous-Série Chine, n°1062, Naggiar, Ambassadeur de France en Chine au MAE, le 5 juin 1938.

578.

AEF, Série Asie, Sous-série Chine, n°1063, Lettre du Consulat français de Tokyo au MAE, le 28 juillet 1938.

579.

Nara Dillon, ‘Waging Welfare’, p 44.

580.

Emily Hahn, The Soong Sisters , Westport, Greenwood Press, 1941, p 173.

581.

Emily Hahn, op.cit., p 174.

582.

Emily Hahn, op.cit., p 51

583.

Emily Hahn, op.cit., pp 54-56.

584.

Emily Hahn, op.cit., p 55.

585.

Shanghai Times, 1942, ‘Salvation Army Starts Children’s Refuge in Singapore Road Camp’.

586.

Shanghai Times, Article du 8 janvier 1942, ‘Salvation Army Chief Tours Streets Nightly On Cycle To Aid Poor’

587.

AMS, U38 5 1530, Rapport du directeur de l’hygiène et de l’assistance publique et du directeur administratif des services municipaux, novembre et décembre 1937.

588.

Feng Yi, Elites Locales et Solidarités régionales, p 90.

589.

Feng Yi, Elites Locales et Solidarités régionales, p 90-92, Nara Dillon, ‘Waging Welfare’, p 45.

590.

Feng Yi, Elites Locales et Solidarités régionales, p 78.

591.

Nara Dillon, ‘Waging Welfare’, p 53.

592.

A.D. N., Fonds Shanghai, Série A Noire, n°91, Rapport du docteur Rabaute au Consul général de France, le 16 décembre 1937.

593.

AMS, U38 1 500 (1), Rapport du docteur Rabaute, le 11 septembre 1937.

594.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°91, Rapport des services de police, le 1er avril 1938.

595.

Frederic Wakeman, Urban Controls in wartime Shanghai, pp 144-148, in Wen-hsin Yeh, ed., Wartime Shanghai , London and New York, Routledge, 1998.