2.3.2. L’organisation des services d’hygiène durant les combats

Le 14 août 1937, les concessions subissent directement les hostilités sino-japonaises : deux bombes tombent boulevard de Montigny à 14 heures, provoquant plus de deux mille morts dans la Concession internationale 596 et cinq cent quatre vingt dix morts dans la Concession française ; 597 sur les mille victimes, quatre cent cinquante sont envoyées à l’hôpital Sainte Marie, tous très gravement touchés. L’arrivée de ces blessés plonge les médecins de l’hôpital dans l’horreur de la guerre ; des équipes chirurgicales sont constituées, avec le concours des médecins chinois en service à l’hôpital, des internes chinois et des médecins français (les docteurs Velliot, Santelli, Viéron, Malval, Duclaux, Genin, le commandant Buquet, le capitaine Fournier), 598 qui opèrent jusqu’à deux heures du matin. L’Hôpital Orthodoxe Russe reçoit trente-cinq blessés très graves et les docteurs Martin et Blumenfeld opèrent pendant la majeure partie de la nuit. L’université l’Aurore installe deux cents lits pour soigner les blessés. Un hôpital est installé par la Croix-Rouge chinoise rue Montauban (Sichuan Nan lu) et reçoit environ deux cent cinquante blessés. Les hôpitaux de la concession, au nombre de onze, accueillent également les blessés. L’hôpital de la Croix-Rouge chinoise, avenue Haig (Hua-Shan lu), soigne plus de deux cents victimes. Les services sanitaires inhument cinq cent soixante cadavres dans deux fosses communes creusées par les services des travaux. 599

Suite à ce drame, la municipalité organise un service de secours dans le cas où des combats toucheraient à nouveau la concession : en cas d’alerte, vingt brancardiers, dirigés par un médecin européen, lui-même secondé par un médecin chinois, sont mobilisés sur les lieux du sinistre. Des postes seront également établis, durant les combats, pour amener les blessés vers les hôpitaux, deux grands centres chirurgicaux (l’hôpital Sainte Marie et l’hôpital de la Confraternité orthodoxe russe) et deux centres chirurgicaux de moyenne importance (l’Institut prophylactique et l’Infirmerie municipale). 600

Lu Baihong met à la disposition de l’administration française l’hôpital Saint Joseph de Nandao où deux cents lits (cent pour les femmes et cent pour les hommes) sont réservés aux malades de la population réfugiée. Lu Baihong possède en outre un hôpital d’isolement dans lequel cent cinquante lits sont attribués aux malades réfugiés contagieux des camps (diphtérie, scarlatine, rougeole, etc) ; la municipalité ne contribue pas aux frais d’hospitalisation de ces malades. 601

Sur la Concession française, treize hôpitaux permanents fonctionnent au moment des hostilités. Des hôpitaux temporaires sont créés, principalement par la Croix-Rouge internationale et chinoise, pour pallier le manque de places à la suite des combats d’août 1937 ; ce sont le premier hôpital de la Croix-Rouge chinoise, géré par la société de charité Swastika, le deuxième hôpital de la Croix-Rouge, rue Montauban (Sichuan Nan lu), le troisième hôpital de la Croix-Rouge à l’Aurore, le neuvième hôpital de la Croix-Rouge, avenue Joffre-Winling (Huaihai zhong lu / Wanping lu), et le Seng Seng Hospital, rue Chapsal (Jinling dong lu) ; ils soignent en majorité des blessés militaires chinois. Tous les hôpitaux de la Concession française sont complets ; l’École commerciale russe, est amenée à transformer ses locaux en hôpital pour y soigner trois cents blessés civils. L’hôpital chinois de l’Humanité, qui bénéficie d’une exemption des taxes locatives de la part de la municipalité, provoque le mécontentement du directeur de l’hygiène publique par son refus de recevoir les malades qu’il a envoyés et il envisage de lui supprimer les aides, les subventions municipales supposant une attitude conciliante par rapport aux demandes de la municipalité. Les réfugiés pauvres placés dans les camps ne peuvent bénéficier des soins dans les hôpitaux ; ils sont soignés par les médecins attachés aux camps mais l’absence d’infirmerie dans de nombreux établissements et le nombre élevé de réfugiés limitent considérablement leur médicalisation ; la priorité est donnée à l’enregistrement des cas de maladies contagieuses pour éviter toute épidémie.

Suite aux bombardements du 14 août 1937, les services d’hygiène décident d’améliorer leurs interventions en élaborant un plan d’action : en cas d’attaque, les services de police et la compagnie des pompiers ont la charge de s’occuper des blessés ; la direction des services d’hygiène, une fois prévenue, envoie immédiatement des médecins et des infirmiers, l’identification des blessés étant assurée par le service de la sûreté après que les premiers soins ont été donnés ; les familles ou amis des victimes sont autorisés à leur rendre visite afin de confirmer leur identité. Pour les morts, la reconnaissance de la personne est également faite par le service de sûreté, sur place s’ils sont peu nombreux, au cimetière de Xujiahui s’ils sont en grand nombre, les familles étant admises par petits groupes ; celles qui désirent emmener leurs morts peuvent le faire si elles sont munies d’un cercueil ; des agents sont désignés pour effectuer l’identification des cadavres alignés et le service de la sûreté prépare des fiches numérotées qui sont épinglées sur les cadavres. Pour les Européens, les opérations sont effectuées au dépôt mortuaire de la route Delastre (Taiyuan lu) ; les autorités consulaires sont immédiatement informées et doivent prévenir les familles des victimes. Le constat post-mortem des blessés décédés dans les hôpitaux où ils ont été transportés doit être effectué aux dépôts mortuaires des établissements. L’ensevelissement des morts est assuré par la direction des services d’hygiène, après que les décès ont été constatés par les autorités légales chinoises, les autorités consulaires et les services de police. Une fosse est en permanence ouverte au cimetière de Xujiahui. Si des fosses supplémentaires sont nécessaires, le service des travaux en assure le creusement et fournit la main d’œuvre nécessaire à l’ensevelissement. 602 Ce dispositif est très utile pour la gestion et l’enterrement des cadavres ramassés dans la rue ; en effet, comme le précisent Christian Henriot et Wen-hsin Yeh, Shanghai n’a pas été une ville en guerre : 603 après les trois mois de bataille d’août à novembre 1937, la ville vit sous l’occupation japonaise ; cependant la pauvreté grandissante causée, entre autres, par la montée du chômage, l’inflation, le désordre politique et économique, entraîne la mort de plusieurs milliers d’adultes et d’enfants par an ; affaiblis, les habitants de la ville n’ont plus les défenses immunitaires nécessaires et succombent aux épidémies qui se déclarent rapidement durant ces années de troubles.

Notes
596.

Nara Dillon, ‘Waging Welfare’, p 41.

597.

AMS, U38 5 1667, Rapport du docteur Rabaute sur la situation liée au bombardement de l’avenue Edouard VII et boulevard Montigny, le 14 août 1937.

598.

AMS, U38 5 1667, Lettre du docteur Rabaute au directeur général des services municipaux, le 16 août 1937.

599.

Op.cit.

600.

AMS, U38 1 500 (2), Note sur la situation sanitaire de la Concession française, le 11 septembre 1937.

601.

AMS, U38 5 1667, Lettre du 25 septembre 1937 des services d’hygiène au Consul général.

602.

AMS, U38 5 1667, Note du directeur du service d’hygiène du 17 août 1937 et note de service du directeur des services de police, du 19 août 1937.

603.

Christian Henriot, Wen-hsin Yeh, Allison Rottman, eds, In the Shadow of the Rising Sun : Shanghai under Japanese Occupation , Cambridge University Press, 2004, introduction.