3.4.2. L’aide de la municipalité française et de la COIP à la communauté russe

Œuvres françaises d’assistance aux familles russes, subventions de la COIP
1935 64.250,36 $
1936 71.706,74 $
1937 90.691,76 $
1938 100.000,00 $

L’aide aux réfugiés russes est inaugurée par Mme Wilden, épouse du Consul français en poste à Shanghai : en décembre 1922, elle fonde ‘La soupe populaire pour les Réfugiés Russes’, comité géré par les Sœurs de la Charité ; pour le financer, sont organisées soirées de bienfaisance et loteries ; cependant, c’est à contre cœur que les Sœurs s’occupent de ce travail, leur priorité étant l’assistance à la population chinoise dans un but de prosélytisme. Face à la misère croissante dans la communauté russe, la municipalité décide d’étendre son aide et de la centraliser au sein d’une association unique, les Œuvres françaises d’assistance aux familles russes (OFAFR) subventionnées par la COIP ; 707 les Soeurs regrettent la neutralité religieuse de cet organisme, la municipalité française restant attachée au caractère laïque et apolitique des œuvres financées. Son action s’effectue dans les domaines relatifs à l’éducation des enfants russes, à la location d’appartements à des familles russes en contrepartie d’un loyer modéré, à la distribution de nourriture, à l’hébergement d’enfants russes, d’orphelins ou de vagabonds. Comme son nom l’indique, c’est une œuvre d’origine française, financée à 90% par la Caisse des œuvres d’intérêt public, les 10% restant à la charge de la municipalité.

Ces oeuvres comprennent cinq sections. La première gérée par les Sœurs de la Charité qui, au sein du couvent de la rue Dubail (Chongqing nan lu), distribuent nourriture et vêtements. Des soupes populaires ont d’abord été instaurées, remplacées en 1930 par un secours alimentaire : distribution de pain et de pommes de terre trois fois par semaine, les mardi, jeudi et samedi, auxquels s’ajoutent, une fois par semaine, du sucre, du thé, du riz, et du savon ; du lait est fourni pour les nouveaux nés jusqu’à ce qu’ils atteignent seize mois ; des médicaments sont également réservés aux familles russes indigentes, ainsi que des couvertures, des vêtements, du charbon et elles peuvent bénéficier de consultations médicales gratuites. La municipalité verse 7.200 $ par an. 708 . En 1936, sept cent dix familles russes sont enregistrées et possèdent une carte donnant droit à la nourriture, ce qui représente environ mille six cents personnes. Ce chiffre s’élève à sept cent vingt cinq familles en décembre 1937, soit entre mille neuf cents et deux mille cent quatre vingt dix personnes. A partir de 1927, la carte est délivrée sur présentation d’une preuve écrite d’enregistrement auprès du Comité des émigrés russes ou du SORO, organismes qui indiquent le statut d’émigré russe des personnes inscrites ; les informations sont contrôlées par le Secrétariat des Œuvres françaises d’assistance aux familles russes, en collaboration avec la police française. Les fiches de renseignements des personnes enregistrées relèvent les modifications d’état-civil ainsi que les éventuels changements d’adresse ; le secrétariat a toutefois des difficultés à effectuer un suivi des dossiers car il est difficile de connaître la situation réelle des personnes, si elles vivent dans la précarité ou si elles sont parvenues à trouver du travail, ce qui soulève les critiques du responsable, le docteur Rabaute, qui souhaite une plus grande rigueur dans la gestion du service d’assistance aux familles russes, les aides de la municipalité française, pour vitales qu’elles soient, ne concernant en fait qu’un tiers des Russes selon ses estimations ; ainsi, certaines familles bénéficient des aides au détriment de plus nécessiteux, ce qui ne va pas sans créer des tensions au sein de la communauté russe.

La deuxième section s’occupe de l’accueil de nouveau-nés, d’orphelins et d’enfants, ces derniers entre soixante et quatre vingt, scolarisés à l’école Rémi, école municipale française. La crèche franco-russe, située 201 avenue Dubail, reçoit des nouveau-nés et des enfants russes dont les parents ne peuvent supporter la charge. 709

La troisième section gère les boursiers de l’école Rémi, au nombre de cent soixante dix en 1936 : une assistance scolaire est offerte à certaines familles russes qui ne peuvent payer les études de leurs enfants ; aux plus nécessiteux sont accordés la fourniture des livres et l’habillement. C’est également cette section qui prend en charge les visites médicales des enfants. En 1934, la COIP accorde aux enfants du personnel de l’œuvre le bénéfice de la demi-scolarité pour l’école Rémi. Cette section organise aussi un cours de langue française et de langue anglaise et un cours d’été pour les Russes adultes à la recherche d’un travail, ces langues étant nécessaires pour travailler dans les entreprises étrangères de Shanghai ou dans les municipalités des concessions. 710

La quatrième section reçoit orphelins et enfants abandonnés dans deux maisons situées 786 et 788 rue Bourgeat (Changle lu), route J.Frélupt (Jianguo xi lu) avant octobre 1935, les ‘Sans-Gîtes’ et la ‘Maison pour Indigents’. Les ‘Sans-Gîtes’ recueille des enfants abandonnés ou mendiants qui, une fois pris en charge par les Œuvres françaises, vivent en internat et sont scolarisés au sein de l’école Rémi pour les plus jeunes, les autres étant placés comme apprentis dans divers ateliers ; il arrive que certains de ces enfants s’enfuient. 711 La ‘Maison pour Indigents’ accueille des Russes incapables de subvenir à leurs besoins. L’œuvre loue en outre dans une cité chinoise six maisons où sont logées vingt-huit familles en contrepartie d’un loyer modéré de 5 à 10 $ par mois et par chambre.

La cinquième section comprend le secrétariat des Œuvres françaises et un bureau de placement. Ce Bureau géré par Mme Saussine, épouse de l’Attaché commercial de France, est installé à l’école Rémi et a pour but de faciliter les démarches des Russes au chômage. Ses résultats sont cependant limités en raison d’un manque de liaison avec les entreprises ; la solution serait, selon le docteur Rabaute, d’obtenir une recommandation du consulat auprès de certaines entreprises en faveur des candidats russes et l’autorisation du consul pour placer des annonces dans les journaux. 712

Le personnel de l’œuvre est composé des religieuses et de membres de la communauté russe, les Sœurs de la Charité s’occupant principalement de la première section gérée par la Sœur Anne-Marie avec l’aide bénévole d’une française d’origine russe, Mme O. Karmiloff, qui sert d’interprète à la sœur et d’intermédiaire entre les OFAFR et les services d’hygiène et d’assistance publique pour les hospitalisations et les consultations gratuites offertes aux réfugiés ; c’est également elle qui aide les services de police des concessions pour les enquêtes, ainsi que les réfugiés pour l’obtention de leurs papiers administratifs comme les cartes d’identité et les passeports. Pour le reste, le personnel est de nationalité russe. Bien que directeur des services d’hygiène et d’assistance publique, le docteur Rabaute, relève une dualité dans la prise de décision : le personnel russe s’arroge des pouvoirs et dirige les différents services sans qu’aucune information lui soit communiquée, alors que sa position de directeur consiste à avaliser chaque décision ; aussi rappelle-t-il au personnel russe son contrôle sur les différents services, en préconisant une baisse de budget pour les dépenses liées au personnel et à sa nourriture, qui lui semblent exagérées par rapport aux besoins réels et à la priorité qui rester aux bénéficiaires de l’œuvre. 713 Par ailleurs, le docteur Rabaute ne souhaite pas remettre à la Sœur Anne-Marie la direction des OFAFR car, précise-t-il, elle « n’est pas aimée des Russes qu’elle traite, souvent, sans ménagements, parce qu’elle ne les comprend pas ; elle a une discipline minutieuse, mais qui convient à des Orphelines et non à des adultes. Elle a une organisation scrupuleuse, mais qui s’adapte mal à une œuvre aussi importante ; enfin, très nerveuse, elle est parfois brusque et exigeante pour ses collaboratrices. » 714

Notes
706.

AMS, U38 5 1061, Œuvres françaises d’assistance aux familles russes, budget de 1936, 1937, 1938

707.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°50, Cours aperçu sur l’activité du Comité de secours pour les familles russes, le 13 juillet 1930.

708.

AMS, U38 1 148 (3), Rapport des subventions annuelles de l’assistance publique, le 30 décembre 1930.

709.

AMS, U38 5 1061, Rapport de la COIP sur les OFAFR., 1936, 1937, 1938.

710.

AMS, U38 5 1061, ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°50, Cour aperçu sur l’activité du Comité de secours pour les familles russes, 13 juillet 1930.

711.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°50, Note Confidentielle de 1935 adressée à la COIP, sans signature mais certainement écrite par le docteur Rabaute sur les OFAFR

712.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°50, Op.cit.

713.

AMS, U38 5 1162, Rapport du docteur Rabaute à l’attention du Consul et du directeur général des services municipaux, le 24 février 1936.

714.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°50, Note Confidentielle de 1935 adressée à la COIP, sans signature mais certainement écrite par le docteur Rabaute sur les OFAFR.