4.1. Le General Hospital et les soins aux Étrangers

Contrairement au gouvernement anglais qui prévoit la présence d'un médecin, le gouvernement français n'a pas envisagé d'encadrement médical pour ses représentants consulaires à Shanghai. En 1857, le consul Edan réclame des fonds au ministère des Affaires étrangères pour payer le docteur Lockhart, médecin anglais assurant les soins aux employés du consulat français, et pour acheter des médicaments ; il justifie les dépenses de santé: « La pernicieuse influence du pays sur la santé des étrangers n'est que trop incontestablement attestée par les nombreux décès que j'ai à enregistrer; une autre preuve encore, c'est la nécessité où se trouvent certaines missions et certains consulats d'avoir des médecins parmi leurs membres; les attachés au Consulat anglais et les Consuls qui sont eux-mêmes médecins, témoignent de la prévoyance du gouvernement britannique à cet égard » ; il sollicite le versement d'une somme de 200 taëls à titre d'indemnités de frais de maladies du personnel du Consulat en 1855 et 1856. 758 La fermeture de l'hôpital militaire, installé rue Montauban (actuellement Sichuan nan lu) pour le Corps Expéditionnaire, fait sentir la nécessité d’ouvrir une structure médicale et, vu le petit nombre de ressortissants étrangers, il est logique de se regrouper pour la faire fonctionner. Le missionnaire, R.P Desjacques, Procureur de la mission du Jiangnan, réussit à convaincre un certain nombre de négociants étrangers de financer un hôpital pour la communauté étrangère et parvient à constituer un capital de 50.000 taëls qui permet de louer une maison à plusieurs étages à l’angle de la rue Colbert et du quai de France : c’est le ‘General Hospital’ qui fonctionne à partir du 1er janvier 1864. L’encadrement médical est assuré par les Sœurs de Saint Vincent de Paul, à la demande de la mission du Jiangnan en France ; de six Sœurs en 1864, elles passent au nombre de dix en 1867. Les malades sont principalement des Anglais, viennent ensuite en importance les Français, les Américains et les Allemands ; la clientèle est donc constituée d’Occidentaux, selon les conditions premières de fondation de l'hôpital. Dans les premiers temps, les malades sont le reflet de la population étrangère de Shanghai : marins de bateaux de guerre ou de commerce, soldats des troupes anglaises et françaises, stationnés à Shanghai après le départ des corps expéditionnaires. En 1874, l'hôpital est réparti en trois classes: la première constituée de chambres individuelles à trois taëls par jour, la deuxième de pièces pour cinq malades à deux taëls par jour, la troisième de salles de vingt malades maximum, à un taël cinquante. 759

En 1875, le ‘General Hospital’ traverse des difficultés financières ; de plus, un avis parvient au comité directeur annonçant que le bail ne peut être renouvelé, ce qui nécessite la construction d’un nouvel hôpital situé sur la rive nord de la Crique de Suzhou. Le SMC souhaite que l’hôpital soit racheté aux actionnaires pour être géré par les deux administrations étrangères, mais les actionnaires refusent cette solution qui favorise la mainmise des administrations sur l’hôpital. La réunion des ‘Ratepayers’ de la Concession internationale, qui se tient le 9 septembre 1875, vote le principe d’un emprunt amenant les représentants des propriétaires et des municipalités étrangères à prendre une part plus large dans l’administration de l’hôpital. Le président des actionnaires de l’hôpital présente un projet au CAM : le conseil de l’hôpital doit se composer de huit membres : trois Consuls, les présidents des deux municipalités, deux contribuables de la Concession internationale et un contribuable de la Concession française ; les deux municipalités sont invitées à participer à la construction du nouvel hôpital dont les travaux s’élèvent à 22.000 taëls ; la municipalité française doit, à titre de prêt, payer 7.500 taëls sur ce montant, mais cette somme lui paraît trop élevée étant donné la proportion moins importante de résidents étrangers sur la Concession française, et il décide de ne verser que 5.000 taëls. Le CAM souhaite limiter ses dépenses dans le domaine médical et fait ainsi preuve de mauvaise volonté dans la répartition des financements, espérant que le SMC prendra en charge la majorité des dépenses ; il va jusqu’à évoquer la mauvaise gestion de l’hôpital pour limiter sa participation et sa coopération avec la municipalité anglo-saxonne. Grâce à des aides financières offertes au comité directeur, les négociations aboutissent enfin quand la part de l’administration française n’est plus que de 2.500 taëls et les travaux peuvent être effectués, permettant le fonctionnement du ‘General Hospital’ en 1877. 760 Jusqu’à la création en 1907 de l’hôpital Sainte Marie, la municipalité française versera des donations annuelles à l’hôpital où sont envoyés les résidents français de la concession.

Les hôpitaux étrangers à Shanghai n’étant pas administrés par des spécialistes, et la responsabilité des municipalités dans leur financement restant floue, des difficultés surgissent pour leur maintien. Dans le cas du General Hospital apparaît également une critique sur la légitimité des religieuses françaises qui encadrent les soins médicaux, en raison de leur confession catholique qui gène la communauté anglo-saxonne protestante et de la pratique médicale moderne qui préconise un encadrement assuré par des infirmières formées dans des écoles spécialisées ; or, les religieuses travaillent selon le système ancien où les hôpitaux étaient des asiles pour les pauvres au sein desquels elles exerçaient leur action de prosélytisme.

A cause de ces contraintes se fait jour la nécessité d’un hôpital qui, d’une part maintienne cette tradition religieuse liant secours des pauvres et évangélisation des âmes et, d’autre part, assure l’autonomie des soins pour la Concession française : ce sera l’hôpital Sainte Marie, fondé par les Jésuites.

Notes
758.

ADN, Fonds Shanghai, Série C, Numérique n°4, Correspondance avec le ministère des Affaires étrangères, Consul Edan, Lettre du 28 février 1857.

759.

Jean Fredet, Charles Maybon, Histoire de la Concession française de Shanghai , Paris, Plon, 1929, p 300.

760.

Op.cit., p 403.