4.2. L’Hôpital Sainte Marie destiné aux résidents de la Concession française, Chinois et autres

L’hôpital Sainte Marie est établi en 1907 par Monseigneur de Paris, de la mission du Jiangnan, pour venir en aide aux Chinois. A ses débuts, il comporte cent lits gérés par huit Filles de la Charité et un médecin français ; au centre de la Concession française, il s’ouvre sur un grand parc. En 1908, le pavillon Saint Vincent, avec ses quatre-vingt lits, soigne les indigents chinois et en 1912, quand commence à fonctionner la faculté de médecine attenante à l’hôpital, les étudiants y font leur stage pratique. Après la première guerre mondiale, la forte croissance de la population chinoise et étrangère entraîne l’agrandissement de l’hôpital : de nouvelles salles d’opération sont construites, suivies en 1921 par une salle de radiologie ; en 1922 deux pavillons, dont une maternité, sont ouverts pour recevoir les femmes ; en 1925, un laboratoire est créé au sein de l’hôpital et à partir de 1926 on agrandit les anciens pavillons ; en 1930 est construit un bâtiment pour soigner les détenus de la prison française. L’année suivante, le pavillon d’isolement voit le jour grâce au financement de la COIP. En 1932, l’hôpital compte environ cinq cents lits, puis huit cents après la fondation du Pavillon Saint Vincent en 1935. Durant l’année 1931-1932, l’hôpital traite sept mille quatre vingt huit malades contre deux mille huit cents en 1911 et moins de trois mille en 1918. Le corps médico-chirurgical est formé de douze médecins européens et trois médecins chinois qui assurent la permanence de l’hôpital. Le soin des malades est assuré en 1932 par vingt-six Filles de la Charité, dont quatorze européennes qui possèdent un diplôme d’infirmière et douze sœurs chinoises, une sage-femme française et sept infirmières européennes (française, anglaise, allemande, russe, portugaise) ; le personnel chinois comprend une sage-femme, cinq infirmières en chef, quatre assistants spécialisés pour le laboratoire de bactériologie et de radiologie, deux annamites, plusieurs infirmiers et infirmières chinoises parlant français et anglais. Le service d’entretien est assuré par une centaine de ‘boys’ et ‘d’amahs’, termes employés à l’époque pour désigner le personnel de service. 761 En 1935, le pavillon Saint Vincent, de quatre-vingt lits, est remplacé par un bâtiment de trois étages qui peut accueillir trois cents malades ; la même année on crée une clinique ophtalmologique. En 1940, l’hôpital ouvre tardivement ses portes aux indigentes chinoises grâce à la construction du pavillon Sainte Louise.

Les malades de la municipalité française, de la police, des tramways, du canidrome, des messageries maritimes, des douanes sont traités par la Firme Médicale française, dite ‘Fresson’ et, si une hospitalisation est nécessaire, les malades sont envoyés à l’hôpital Sainte Marie avec un billet délivré par un des médecins de la Firme. Les malades de l’armée et de la marine française y sont envoyés et soignés par leurs médecins.

La volonté de la municipalité française, à partir des années 30, est de transformer l’hôpital Sainte Marie en un centre médical moderne et reconnu. La médecine française doit rayonner à travers un enseignement médical de qualité, des équipements modernes, des cliniques spécialisées, et un travail d’assistance aux indigents chinois et étrangers, ce qu’elle semble avoir réussi en 1935, lorsque la presse étrangère le qualifie comme « une des organisations médicales les plus importantes de tout l’Extrême-Orient. » 762

Dans les années 30, l’augmentation des subventions de la municipalité à l’hôpital Sainte Marie reflète ce changement de politique 763 .

Subventions annuelles à l’hôpital Sainte Marie
Années Nature de la subvention Montant
1910-1915 Subvention annuelle à l’hôpital 400 taels
1916-1925 Subvention annuelle à l’hôpital Sainte Marie 1.000 taels
1926-1933 Subvention annuelle à l’hôpital Sainte Marie 3.000 dollars
à partir de 1930 Exonération de l’impôt foncier 36.873 dollars
à partir de 1933 Exonération de l’impôt locatif 8.391 dollars
à partir de 1933 Subvention pour la Maternité de l’hôpital SM 3.650 dollars
à partir de 1934 Subvention annuelle à l’hôpital Sainte Marie 6.000 dollars
à partir de 1934 Subvention annuelle au Pavillon d’isolement Saint Jean de SM 30.000 dollars
à partir de 1934 Subvention annuelle pour l’hospitalisation des malades contagieux chinois et occidentaux 6.000 dollars
à partir de 1935 Subvention annuelle au Pavillon Saint-Vincent, section des indigents chinois. 30.000 dollars

L’hôpital et ses différents services sont durement déstabilisés par la guerre : d’août à octobre 1937, les dépenses sont alourdies par l’accueil de dix mille quatre cent quatre-vingt six blessés civils et deux mille quatre-vingt dix militaires ; bien que la Croix-Rouge internationale verse 2.000$ de dons et la Croix-Rouge chinoise 2.800$, ces aides ne permettent pas de couvrir le déficit du service hospitalier qui s’élève à 32.000$ en 1937 ; aussi la direction et la municipalité décident de faire payer une somme de 30 centimes par jour pour les consultations autrefois gratuites, dont celles en ophtalmologie ; la gratuité complète des soins dont bénéficiaient 28% des malades en 1937 ne profite plus qu’à 23% en 1938. 764 Pourtant ces mesures s’avèrent insuffisantes pour enrayer les difficultés financières de l’hôpital.

Comme le montrent les deux graphiques suivants, les difficultés de l’hôpital Sainte Marie s’accroissent à partir de 1940 où la forte inflation et la pénurie entraînent une hausse des dépenses que les recettes et les subventions ne permettent plus de couvrir. 765

Hôpital Sainte Marie, dépenses, recettes et subventions
Hôpital Sainte Marie, dépenses, recettes et subventions
Hôpital Sainte Marie, coût par journée de malade
Hôpital Sainte Marie, coût par journée de malade

A la fin du XIXème siècle, l’œuvre médicale des Occidentaux à Shanghai est sous l’emprise des missionnaires. La municipalité française n’inverse pas cette tendance et laisse plutôt s’étendre leur action, ce qui donne une teinte religieuse aux infrastructures médicales françaises et même chinoises, en raison de l’influence d’hommes d’affaires chinois chrétiens. L’objectif premier est de ne pas se laisser devancer par les missions protestantes dans le devoir de charité chrétienne et dans l’évangélisation de la population chinoise. Pourtant, la direction de Sainte-Marie ne possède pas de compétences particulières dans la gestion d’un hôpital et ne sait comment agrandir ou moderniser ses infrastructures, ce qui est rendu possible grâce aux subventions de la municipalité française. Lorsque la guerre s’installe, la municipalité a du mal à faire face à l’augmentation des dépenses, tandis que le nombre de patients payants diminue. La municipalité faire de Sainte Marie une des vitrines de l’œuvre française à Shanghai, mais son attitude est contradictoire : si elle s’investit dans le développement de l’hôpital et valorise publiquement son action, elle en remet l’entière responsabilité aux Jésuites lorsque les problèmes financiers surviennent.

Les administrateurs, sans compétences de gestion d’hôpital, rencontrent des difficultés financières et ne mènent pas de politique commerciale pour en assurer le développer. La modernisation s’effectue par le biais de l’administration française qui envisage des mesures visant à le rentabiliser tout en répondant aux besoins sanitaires et médicaux de la concession. La participation financière de la municipalité française, au départ peu élevée, s’accroît sans, pour autant, pouvoir le transformer en une institution municipale comme elle le souhaiterait en évinçant totalement le caractère religieux de l’hôpital.

Notes
761.

AMS, U38 5 1121, Rapport de la Mère supérieure de l’hôpital Sainte Marie, septembre 1932.

762.

AMS, U1 16 275, Articles du 6 janvier 1935, China Press, du 5 janvier 1935 du North China Daily News relatifs à l’hôpital Sainte Marie.

763.

AMS, U38 5 1177, Dossier sur l’hôpital Sainte Marie.

764.

AMS, U38 5 1666-2, Comité consultatif de l’hôpital Sainte Marie, séance du 19 mai 1938.

765.

AMS, U38 5 1177, Rapport de l’hôpital Sainte Marie sur les dépenses, les recettes et les subventions durant les années 1940 et 1941.