4.2.2. La maternité de l’hôpital Sainte Marie

Le pavillon de la maternité, construit en 1922, comprend deux ailes : à l’est, la maternité Sainte Anne accueille les indigentes chinoises, puis les indigentes russes ; l’aile ouest reçoit les patientes payantes de 1ère et de 2ème classe. En 1939, suite à des réaménagements, les deux ailes sont séparées au prétexte d’éviter les risques de contagion. Les soins sont assurés par les médecins de la Firme Fresson.

Jusqu’en 1933, les femmes russes en état de grossesse sont adressées au pavillon Sainte Anne par la King’s Daughter Society qui prend en charge les frais d’hospitalisation de quatre lits, puis la COIP prend le relais et leur assure huit lits. 769 C’est à partir de cette même date que le docteur Malval devient responsable de la maternité. Il assure dans l’aile est la formation de ses élèves en gynécologie de l’Aurore ; les patientes chinoises sont accouchées par les internes, présents en permanence, sous le contrôle d’une sage-femme. Les femmes européennes sont suivies par un médecin français car la municipalité ne parvient pas à remplacer Mlle Royer, la sage-femme française partie en 1936, en raison du faible nombre d’européennes qui accouchent chaque année. 770

Nombre d’accouchements d’Européennes
1936 43 dont 18 de la Concession française
1937 29 dont 12 de la Concession française
1938 17 dont 13 de la Concession française
1939 49 dont 19 de la Concession française

C’est le docteur Malval qui assure le service pour les femmes russes et européennes, tandis qu’il intervient en cas d’urgence pour les patientes chinoises. Le médecin français constate la réticence de ses élèves chinois à l’égard de la césarienne, qu’il ne pratique donc pas. 772 Il se présente tous les matins à 8h15 à la maternité pour effectuer la visite avec ses étudiants et poursuit dans les autres services de l’hôpital : « Ensuite, tenant mes stagiaires comme un vrai ‘patron’ d’Europe, je fais visite dans les nouveaux pavillons à des petits-payants, point fâché d’être matière à enseignement, puis au service grands enfants sous la direction de Sœur Catherine (…) La matinée s’achève, toujours étudiants sur les talons, au service de Sœur Marthe. C’est le dispensaire de la Porte, où la clientèle de la rue vient consulter pour quelques sapèques. » 773 Le docteur Malval assure chaque jour deux heures de cours l’après-midi à la faculté de médecine et une heure de thérapeutique. « Ce qui est certes beaucoup plus qu’en France, mais loin d’être superflu, est ici une nécessité pour ces garçons qui seront bientôt lancés dans les immenses bleds de l’intérieur et devront savoir tout faire par eux-mêmes, donc être fort en art de guérir. » 774 Il apprécie ses étudiants chinois, environ quinze par promotion, dont les capacités d’adaptation et de travail l’impressionnent.

Un événement vient ternir l’image de la maternité auprès de la communauté française de Shanghai : un nourrisson de vingt-et-un jours contracte la variole et décède le 20 février 1939. Tavernier, le père du nouveau-né, professeur au Collège municipal français, adresse un courrier au consul Baudez, dans lequel il met en cause l’administration de l’hôpital, plus particulièrement la maternité qu’il juge déficiente. Diverses mesures sont prises, plus particulièrement la limitation de l’accès du public à la maternité ; le consul général charge le docteur Raynal, directeur de l’Institut Pasteur, d’effectuer une enquête afin de déterminer l’origine de la contagion et les mesures à prendre pour éviter de nouveaux accidents qui pourraient nuire à la réputation de l’hôpital et de la municipalité française. 775 Selon le docteur Raynal, la cause probable de la contamination vient des visites fréquentes de personnes étrangères au service, le règlement relatif aux visites personnelles des patientes n’étant pas appliqué, laxisme d’autant plus grave qu’une épidémie de variole sévissait dans la Concession depuis novembre 1938. Le médecin préconise une réorganisation de la maternité où les agrandissements successifs ont entraîné un manque de rationalité ; 776 les locaux sont transformés, les ailes Est (3ème classe et indigentes) et Ouest (1ère et 2ème classe) sont séparées pour limiter les risques de transmission de maladies et surtout pour protéger les patientes européennes. Les déplacements dans les salles de 1ère et de 2ème classe de la maternité sont limités au personnel hospitalier Les visites sont interdites aux enfants et aux domestiques, et les horaires en sont réglementés ; elles sont supprimées en temps d’épidémie, exceptées celles du mari et de la mère de la patiente. La municipalité tente de faire oublier ce drame en appliquant strictement le règlement et en s’efforçant vainement de faire venir de France une sage-femme.

Un médecin du pavillon est chargé de l’application des mesures épidémiologiques et prophylactiques et de la formation du personnel dans ce domaine. Sont interdits l’accès de la buanderie à toute personne extérieure au service et les déplacements de personnel ou de matériel entre le pavillon d’isolement et la maternité. En période épidémique, les femmes enceintes et les nouveau-nés sont vaccinés, contre la variole pour les femmes au 5ème ou 6ème mois de grossesse, et le BCG est aussi administré aux nouveaux-nés.

On notera que la réorganisation de la maternité ne s’est effectuée que sous la pression de l’opinion suite à la mort d’un nourrisson, la municipalité ne pouvant différer l’opération compte tenu de la position sociale et de la nationalité du plaignant.

Notes
769.

AMS, U38 1 130, Rapport du docteur Rabaute du 22 avril 1936 sur l’hospitalisation des malades indigents étrangers. Ce rapport précise que huit lits sont réservés à la maternité de Sainte Marie. La somme annuelle de cette aide médicale aux indigentes russes enceintes est de 3000$ et la somme annuelle pour les honoraires du médecin français est de 2040$.

770.

AMS, U38 1 129, Comité consultatif de l’hôpital Sainte Marie, le 22 juin 1939 : « Les dépenses considérables d’entretien ne sont pas justifiées par le nombre d’accouchements qu’elle est appelée à y faire. En fin de compte, la présence d’une sage-femme à la maternité se solde par une perte pour l’administration de l’hôpital. »

771.

AMS, U38 1 130, Rapport sur la Maternité de l’hôpital Sainte Marie.

772.

MAE, Mémoires du docteur Malval, Tome 2, p 19.

773.

MAE, Mémoires du docteur Malval, Tome 2, p 20.

774.

MAE, Mémoires du docteur Malval, Tome 2, p 20.

775.

AMS, U38 5 1666-1, Lettre du Consul général de France, M.Baudez au docteur Raynal, le 7 mars 1939.

776.

AMS, U38 5 1666-1, Rapport du docteur Raynal, directeur de l’Institut Pasteur de Shanghai, le 15 mars 1939.