L’assistance médicale aux réfugiés russes

Dans les années 20, les Jésuites et les Sœurs de la Charité sont sollicités par la municipalité française pour apporter une assistance médicale aux réfugiés russes qui vivent dans la précarité, certains alcooliques, d’autres mendiants ramassés dans la rue par la police ; la mendicité des étrangers, très rare, existe depuis les débuts de la Concession, mais l’ampleur prise par ce phénomène suscite l’intervention de la municipalité. Mère Montvert s’indigne de cette requête : d’un côté l’hospitalisation des indigents russes, faute de place, se ferait au détriment des Chinois et irait à l’encontre de la mission de bienfaisance à l’égard de la population locale que s’est assignée la mission: « ce n’est un secret pour personne que nous manquons même de chambres et de lits pour les Européens grands payants et pour nos marins et soldats français» ; d’autre part, c’est à l’hôpital de supporter le coût de cette nouvelle attribution. « Comme cela se pratique dans tous les hôpitaux de France, je croyais que la municipalité assurerait les frais de nourriture et d’entretien de ces malades et leur procurerait un médecin !! » 788  ; la Mère supérieure invoque la responsabilité de la municipalité dans sa politique d’assistance publique, qui ne peut vouloir mener une action sociale sans financement, en se reposant sur la générosité des Jésuites et le travail des Sœurs de la Charité ; toutefois, la Mère Montvert précise qu’elles sont prêtes à assumer cette nouvelle tâche si la municipalité finance l’hospitalisation des indigents russes et assure un personnel médical qui parle russe. Au départ, ce sont les médecins de la Firme, les docteurs Arraud, Velliot et Santelli, qui s’occupent des soins aux réfugiés russes : « En 1925 et 1926, j’avais fait faire sans succès, par le secrétaire de la municipalité, alors M. Legendre, une démarche pour obtenir quelques honoraires en leur faveur. C’est pour cela, Docteur, que je vous ai dit combien j’étais gêné de surcharger ainsi nos bons médecins déjà si occupés. Vous l’avez immédiatement compris et vous y avez pourvu en nous envoyant un docteur russe, ce dont je vous remercie bien vivement» ; 789 la municipalité engage en effet une femme médecin russe, le docteur P. Kotz-Zelikovsky en décembre 1931, avec un salaire de 70 $ par mois versé par la COIP ; elle est augmentée en 1934 et reçoit alors 85 $ 790 puis 150 $ par mois ; 791 on note qu’à compétence égale, le salaire du personnel russe est systématiquement moins élevé que celui du personnel européen. Le 10 mars 1933 une infirmière russe, Mme Koumiavtzef, seconde le Dr Kotz auprès des malades russes ; son salaire est similaire à celui du médecin à ses débuts, peut-être en raison de ses horaires car elle travaille de sept heures du matin jusqu’à cinq du soir sans jour de congé ; son salaire est de 80 $ en 1933 et de 95 $ à partir de 1939. 792 De plus, à partir de novembre 1932, la municipalité française décide de prendre en charge dix lits pour les Russes atteints de maladies générales, quatre lits pour les indigentes européennes et six lits pour les enfants, pour lesquels la COIP verse une somme de 5.000 $ par an, augmentée progressivement en raison de la hausse du coût de la vie.

En raison du manque de place à l’hôpital Ste Marie, la COIP verse aussi des subventions à d’autres structures médicales pour recevoir des patients russes. Dans la Concession internationale, le ‘Mental Ward’ accueille quatre malades mentaux étrangers, pour la plupart d’origine russe ; le ‘General Hospital’ reçoit une subvention, de 4.500 $ en 1931, qui passe à 6.600 $ en 1936, en contrepartie de l’accueil de neuf adultes étrangers indigents. 793 La prise en charge des Russes atteints de tuberculose, maladie largement répandue parmi les réfugiés, est un des objectifs du docteur Rabaute, car, « ceci serait une étape de plus vers la réalisation du but poursuivi : nous suffire à nous-mêmes dans notre Concession en matière d’assistance publique : but qui sera atteint lorsque nos formations hospitalières et leurs accessoires actuellement en voie de réalisation auront vu le jour ». 794 Il est important pour les responsables français d’être autonomes et de se démarquer de la municipalité voisine qui possède depuis le départ une avance indéniable sur la municipalité française et en profite pour faire barre sur elle ; l’assistance médicale des Russes est lancée avec la COIP à partir de 1930 au sein de l’hôpital de la Confraternité orthodoxe russe et, pour la convalescence des tuberculeux, soutient l’association de la ‘Fleur Blanche’. 795

Notes
788.

AMS, U38 5 1121, Situation de l’hôpital Sainte Marie en 1932, soins aux indigents.

789.

AMS, U38 5 1121, Situation de l’hôpital Sainte Marie en 1932, soins aux indigents.

790.

AMS, U38 5 1121, Situation de l’hôpital Sainte Marie en 1932, soins aux indigents.

791.

AMS, U38 1 130, Rapport du docteur Rabaute du 22 avril 1936.

792.

AMS, U38 5 1121, Rapport de Mère Montvert sur la salle d’indigents russes à l’hôpital Sainte Marie.

793.

AMS, U38 5 1677, Rapport du docteur Rabaute du 23 novembre 1931, et U38 1 130, Rapport du docteur Rabaute du 22 avril 1936.

794.

AMS, U38 5 1677, Lettre du docteur Rabaute, directeur du service d’hygiène et d’assistance publique, au président de la COIP, et au directeur général des services municipaux, le 19 oct. 1932.

795.

AMS, U38 5 1677, Assistance médicale aux malades indigents étrangers ou chinois, rapport du directeur des services d’hygiène et d’assistance, le 23 novembre 1931.