4.4.1. Les raisons de la mobilisation des municipalités étrangères dans le financement d’un hôpital psychiatrique

Au début du siècle, le SMC n’envisage pas la construction d’un hôpital psychiatrique à Shanghai, ce domaine ne relevant pas de ses compétences ni de ses fonctions ; aussi le ‘Mental Ward’, qu’il établit en 1906 pour accueillir provisoirement les étrangers atteints de maladie mentale ou de légers troubles psychologiques, les patients étant rapatriés dans leur pays d’origine pour être soignés en métropole dans les cas plus sévères, est un établissement de petite taille ne comportant que quinze lits. Avec l’afflux des réfugiés russes dans les années 20 et 30, ceux de la Concession internationale y sont envoyés ; dans la section des femmes, les patientes russes les plus calmes sont placées dans le couloir tandis que de plus violentes doivent partager la même chambre à deux. Face à cette situation, le SMC envisage d’agrandir les locaux du ‘Mental Ward’ mais Noel Davis, ‘Commissionner of Public Health’ du SMC en 1929, se montre pessimiste : « Owing to the fact that the Provisional Court have announced their unwillingness to do anything in the matter of fees and removal of these patients, there is under existing conditions every likelihood that they will remain in the Mental Ward at the Council’s expense until their death. » 838 Noel Davis invoque auprès du SMC la nécessité de limiter l’entrée des Russes dans la Concession internationale, plus particulièrement ceux souffrant de maladies mentales. Une telle politique est bien entendu impossible.

Les structures existantes ne permettant pas de faire face au nombre important de malades souffrant de troubles psychologiques qui sont sans ressources et vivent dans la rue, les municipalités étrangères envisagent l’ouverture d’un hôpital psychiatrique. Mais la première étape consiste à coopérer avec l’hôpital de la Confraternité orthodoxe russe où le SMC finance en 1930 l’ouverture d’une section de psychiatrie dirigée par le docteur Tarle, psychiatre de nationalité russe ; en contrepartie d’une subvention, l’hôpital russe assure l’accueil de huit malades mentaux russes. Lors de la prolongation du contrat en 1934, sa direction adresse des réclamations au SMC car, comme le stipule le contrat, les patients chroniques devenus violents doivent être envoyés au Mental Ward, mieux équipé pour les soigner, mais, de fait, ils n’y sont jamais acceptés faute de place : sur les huit patients envoyés par le SMC, sept demandent une attention constante, certains provoquent des dégâts, saccagent le mobilier ou déchirent leurs vêtements et devraient être placés dans des chambres isolées et spécialement équipées à cette fin, mais le bâtiment qui abrite la section psychiatrique n’est pas assez grand pour aménager des chambres adaptées ; en outre, huit lits financés par le SMC est un nombre ridicule par rapport aux nombreuses demandes d’admission de malades mentaux russes, carence aggravée par le fait que la clause de nationalité n’est pas respectée par le SMC : en août 1934 il y a, parmi les huit patients subventionnés, cinq russes, deux palestiniens, et un anglais. 839

Le directeur de l’hôpital invoque donc le non-respect de la clause relative à la nationalité des patients et la gravité des symptômes pour obtenir des fonds supplémentaires du SMC : le tarif pour chaque malade passe ainsi de 2,50 dollars à 4 dollars par jour, et le Conseil accepte de prendre en charge quatre patients supplémentaires, subventionnant désormais douze malades. Le docteur March mène, pour le compte du SMC, une enquête sur l’hôpital dont les conclusions, soutenues par le docteur Jordan 840 , montrent que la situation de l’hôpital est critique : locaux trop petits (la section psychiatrique ne comprend que deux chambres), conditions de travail et traitements des plus déplorables, pas de blouses pour les infirmières, défaut de matériel médical, absence de chauffage durant l’hiver, délabrement des murs et des fenêtres, « and in fact it represents a reversion to early Victorian conditions ». 841 Le SMC refuse de subventionner le réaménagement de la section psychiatrique de l’hôpital mais prévoit la création d’un hôpital. 842

De son côté, la municipalité française représentée par la COIP finance aussi douze lits dans la section psychiatrique de l’hôpital de la Confraternité orthodoxe russe. En 1934, pour pallier le manque d’infrastructures, elle aménage également ‘l’Infirmerie Spéciale du Dépôt’ pour accueillir temporairement les malades russes afin d’établir un diagnostic soit établi sur le degré de gravité de leur troubles psychologiques ; située route Delastre (Taiyuan lu), elle comprend quatre cellules, dont une matelassée, avec un personnel composé de deux infirmières russes, d’un médecin spécialiste qui visite les malades envoyés par les services d’administration ou en urgence par la police. L’infirmerie constitue ainsi un poste d’observation et les malades examinés sont envoyés, selon l’avis du médecin, auprès de leur famille, ou au Mercy Hospital à partir de 1935. 843

Notes
838.

AMS, U1 16 586, Rapport du Commissionner of Public Health, le 24 août 1929. Traduction : « Prenant en considération que la Cour de Shanghai ne souhaite pas prendre part aux dépenses et au rapatriement des malades, il semble qu’ils resteront au Mental Ward aux frais du conseil municipal jusqu’à leur mort ». 

839.

AMS, U1 4 626, Lettre du 31 août 1934, du docteur Kasakoff, directeur de l’hôpital, au Commissioner of Public Health du SMC.

840.

AMS, U1 4 626, Lettre du docteur Jordan adressée au service des finances du SMC, le 7 septembre 1934.

841.

AMS, U1 16 586, Comité de santé publique du SMC, le 16 octobre 1934. Rapport du docteur March sur une de ses visites à l’hôpital, traduction de la citation : « et en effet représente un retour en arrière à la situation au début de l’ère Victorienne ».

842.

AMS, U1 4 626, Lettre du 8 novembre 1934, du secrétaire du SMC au directeur de l’hôpital Orthodoxe Russe, U1 16 586, Comité de santé publique du SMC, le 16 octobre 1934.

843.

AMS, U38 1 130, Comité du Budget de la Commission municipale, du 22 décembre 1933, et U38 1 170, Rapport sur l’ouverture et le fonctionnement de l’infirmerie spéciale du dépôt, novembre 1937.