5.1.5. Un service médical rattaché à la police?

En 1940 Fabre, commandant de la police, réclame auprès du consul la création d’un poste de médecin attaché au service de la police française, 959 la moyenne quotidienne des agents soignés étant de cent à cent vingt ; la consultation journalière d’environ trois Français, dix Russes, vingt-trois Tonkinois et vingt Chinois 960 rend nécessaire la création d’un poste médical dépendant de son commandement ; outre les consultations, le médecin de la police effectuerait les opérations chirurgicales éventuelles, organiserait les vaccinations et assurerait la surveillance sanitaire des postes de police et des prisons. Le docteur Velliot, directement concerné par les critiques du commandant Fabre et par l’éventualité d’un service placé sous une autre autorité, rappelle que tel est déjà le travail effectué par la Firme, rendant inutile la création d’un tel poste. 961 Car le plus important pour le commandant est l’appartenance du médecin au corps de la police, le plaçant sous ses ordres directs, réforme que les médecins de la Firme ne peuvent accepter. Le commandant Fabre, face aux tensions existantes, évoque le docteur Martin comme candidat potentiel : chirurgien et n’appartenant pas à la Firme, il pourrait occuper le poste de médecin de la police à plein temps ; or le docteur Martin, comme nous l’avons vu, ne fait pas l’unanimité dans la communauté française et le docteur Palud, à cette date Directeur des services d’Hygiène, sollicité sur la question par le consul, relève les limites d’un service médical dépendant de la police : « Je tiendrai pour acquise cette nécessité en disant simplement que la longue expérience dont s’est enrichie l’armée a fait reconnaître au Service de santé militaire une autonomie complète (loi du 16 mars 1882) et qu’au surplus la comparaison de la Police et de l’Armée ne doit pas être trop poussée. » 962   S’il accepte le principe d’un médecin rattaché à la police, le docteur Palud limite son rôle à une position d’intermédiaire : il procèderait à l’incorporation des recrues, effectuerait les visites journalières, veillerait à l’hygiène relative à l’alimentation et à l’entretien des postes de police, réaliserait les enquêtes épidémiologiques et assurerait la surveillance des prisons ; par contre, les malades seraient adressés, selon le diagnostic, soit à l’infirmerie municipale pour les agents chinois et tonkinois, soit à l’hôpital Sainte Marie pour les agents français, russes, tonkinois et chinois. Mais cette solution paraît inacceptable au docteur Velliot qui considère ce changement comme une remise en cause du système actuel et une critique à l’égard du travail effectué par la Firme ; elle ne satisfait pas davantage le docteur Martin qui souhaite que les responsabilités du médecin de police soient plus étendues. 963

Est aussi posé le problème de l’Infirmerie où sont régulièrement soignés les employés municipaux et les agents de police : il faudrait envoyer les employés à l’hôpital Sainte Marie et réserver l’infirmerie aux agents de la Garde soignés par le médecin de la police, solution qui implique une coopération entre le docteur Martin et la Firme ; mais le docteur Santelli, lui-même chirurgien, et le docteur Velliot, refusent ces arrangements qui n’enchantent pas plus le R. P.Verdier, directeur de l’hôpital Sainte Marie, évoquant le ‘caractère acide’ du docteur Martin ; cette formule ne plaît pas au docteur Palud, soucieux de trouver une solution et de se concentrer sur les compétences de ce médecin plus que sur son caractère. C’est la question financière qui l’emporte, la création du poste de médecin de police devant entraîner des dépenses supplémentaires.

Malgré les diverses tentatives mises en œuvre pour changer le système, le maintien de la Firme est donc assuré car elle présente pour la municipalité des garanties de sérieux et d’économie, le contexte de guerre ne permettant pas de changements importants ni de nouvelles dépenses. Mis en cause par le commandant Fabre qui reprochait aux médecins du service médical de ne pas le tenir informer de l’état de santé de ses agents et de manquer de professionnalisme, le docteur Malval répond, après avoir présenté les faits, que « l’assertion publiquement faite par son chef (Fabre) que nous n’aurions pas soigné l’agent Creson est manifestement erronée ; comme il en peut résulter préjudice pour notre réputation, nous vous prions instamment de rétablir dans leur exactitude des faits tendancieusement altérés. » 964 Le nœud du problème réside dans l’indépendance du service par rapport à la police, situation que souhaite maintenir le docteur Velliot, mais il sollicite en parallèle une hausse des sommes octroyées par la municipalité pour faire face à l’augmentation constante des effectifs, ce qui corrobore la critique du commandant Fabre sur le manque de médecins et de moyens de la Firme face à l’importance de l’effectif policier. A partir de 1941, pour mettre un terme au conflit, un des médecins de la Firme, le docteur Malval, se consacre aux affaires sanitaires et médicales de la Police : il s’occupe des soins aux policiers, des expertises policières, effectue de fréquentes visites auprès des chefs de la police pour régler les questions d’hygiène, d’alimentation, et d’épidémiologie et, pour assurer une liaison avec la direction de la police, établit des cahiers de visite et des rapports. 965 Malgré les demandes réitérées du docteur Velliot, ce n’est qu’en 1942 que la municipalité reconnaît de manière explicite la difficulté pour les médecins de la Firme à soigner l’ensemble du personnel municipal, 966 ouvrant ainsi l’accès à de nouvelles mesures financières.

Notes
959.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°36, Lettre au Consul du Directeur des services de police, Fabre, , le 20 juillet 1940 et Rapport du directeur des services de police, le 18 mars 1940.

960.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°36, Rapport du directeur des services de police, Fabre, le 18 mars 1940.

961.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°36, Lettre du docteur Velliot au Consul, le 26 mai 1941.

962.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°36, Lettre du docteur Palud au Consul, le 28 décembre 1940.

963.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°36, Lettre du docteur Palud au Consul, le 28 décembre 1940.

964.

ADN, Fonds Shanghai, Série A Noire, n°36, Rapport du docteur Malval du 13 mai 1941.

965.

AMS, U38 1 95 (1), Lettre des docteurs Velliot et Santelli à la municipalité, le 12 février 1943.

966.

AMS, U38 1 95 (1), Rapport des services municipaux sur le service de santé, le 6 juillet 1942.