5.4.1. Le pavillon d’isolement Saint Jean de l’hôpital Sainte Marie

L’administration française a longtemps été dépendante de la Concession internationale en matière médicale, devant envoyer les malades chinois et occidentaux atteints de maladies contagieuses au ‘Municipal Isolation Hospital’ de la Concession internationale, et verser une subvention annuelle de 10.000 $ au SMC pour couvrir les frais d’analyses médicales et d’hospitalisation de ses malades chinois ; le SMC prenait également en charge, dans un petit sanatorium situé rue Hongqiao, les malades atteints de tuberculose, le BCG à la ‘Tuberculosis Clinic’, les analyses et le traitement des maladies vénériennes au ‘SMC Venereal Disease Hospital’. Ainsi, en 1934, la subvention pour les laboratoires du SMC est de 9.800 $ et de 5.000 $ pour les deux établissements du SMC spécialisés dans le traitement des maladies vénériennes et de la tuberculose. 1103 En mars 1936, la création du laboratoire municipal français permet à la municipalité de réaliser elle-même les analyses et examens pour le public et ceux demandés par les médecins déclarant des cas de maladies contagieuses ; à partir de janvier 1937, le laboratoire municipal assure aussi les traitements préventifs contre la rage et la tuberculose, et le dispensaire prophylactique se spécialise dans le dépistage et le traitement des maladies vénériennes, ce qui allège considérablement la contribution de la municipalité française aux laboratoires du SMC. 1104

Pavillon d’isolement
Pavillon d’isolement

Une étape importante de l’autonomie est franchie avec la construction du pavillon d’isolement, dont le coût de 200.000$ est pour moitié financé par la mission du Jiangnan, l’autre partie par la Caisse des œuvres d’intérêt public. Le bâtiment, inauguré le 7 mai 1931 par le Consul général de France Koechlin, comprend quatre étages : le rez-de-chaussée est réservé aux malades indigents sans distinction de nationalité, les trois étages étant divisés en six pavillons de quatre chambres chacun, dont deux sont réservés aux enfants. L’aménagement est conforme au traitement des maladies contagieuses et des mesures sont pour empêcher les malades de passer d’un pavillon à l’autre. 1105

Le rez-de-chaussée est une grande salle où les lits, nombreux, sont placés côte à côte ; outre les indigents, y est admis le personnel chinois et indochinois de la municipalité. Les patients étrangers qui peuvent payer les frais d’hospitalisation ou sont couverts par leur entreprise ou la municipalité française sont soignés en première et en deuxième classe où ils bénéficient d’un meilleur confort et d’une plus grande intimité.

Nombre de lits au pavillon d’isolement financés par la municipalité et la COIP
  1ère et 2ème classe Indigents Total
Etrangers et Chinois 40 lits
dont 16 pour enfants
40 lits 80 lits

Le médecin–chef, qui doit être aussi professeur à l’Aurore, est désigné par la Mission et porte les titres de ‘Médecin Principal de l’Isolement’ et ‘Professeur de clinique de maladies contagieuses’ pour mettre l’accent sur le caractère universitaire de l’hôpital Sainte Marie ; conformément à l’enseignement médical des universités françaises, il dirige les internes de l’Aurore admis à suivre un stage à la clinique des maladies contagieuses. 1107

La direction de l’hôpital Sainte Marie tient une comptabilité séparée pour le pavillon d’isolement Saint Jean dont la subvention de 30.000 $ est largement financée par la municipalité française ; ses comptes sont en équilibre jusqu'en 1940, les dépenses croissantes étant compensées par les recettes provenant des malades, après quoi le coût s’envole en raison de l'inflation alors que les recettes stagnent.

Pavillon d'isolement de Sainte Marie, dépenses, recettes et subventions
Pavillon d'isolement de Sainte Marie, dépenses, recettes et subventions

Bien que non officiellement signé, il existe un projet de convention entre l’administration française et la Mission du Jiangnan par lequel celle-ci s’engage à assumer la responsabilité du pavillon d’isolement : l’article six précise que la Mission « n’est pas en droit de demander à la municipalité une participation quelconque à un déficit éventuel » 1108 mais en 1940 la mission du Jiangnan ne peut faire face aux dépenses, le déficit ne pouvant être comblé qu’avec le secours de la COIP ; la municipalité reproche au Père Verdier sa gestion et le manque de rentabilité du pavillon : « Le gérant ne doit pas donner l’impression qu’il compte sur l’inépuisable charité municipale (et de la Caisse des œuvres) pour lui permettre de maintenir à un niveau très bas, publicitaire, le prix des journées de malade » 1109 et à la Mission de ne pas s’impliquer financièrement ni développer de stratégie commerciale tout en s’appropriant les bienfaits moraux de l’action médicale : « La mission ne veut pas en l’occurrence faire œuvre charitable, elle entend laisser ce soin à la municipalité et à la Caisse des œuvres, tout en conservant pour elle (la mission) l’entier bénéfice moral du pavillon d’isolement. » 1110

En septembre 1941, la Mission reçoit de la municipalité française et de la COIP 200.000 $ pour combler le déficit de l’hôpital Sainte Marie et du pavillon d’isolement ; afin d’éviter de nouveaux conflits et l’accroissement du déficit, la municipalité envisage toutefois, sur les conseils du docteur Rabaute, de changer la nature de leur coopération : elle prendrait une part plus active dans la gestion du pavillon d’isolement et son évolution financière. Le déficit de l’hôpital perdure en raison de la hausse du coût de la vie provoquée par la guerre sino-japonaise de 1937 et de la pénurie de certains produits, ce qui oblige le Père Verdier à constituer des stocks. Suite au refus de l’administration de continuer à couvrir le déficit du pavillon d’isolement Saint Jean et face à l’augmentation croissante des dépenses, le Père Verdier, qui parle au nom de la Mission, décide de démissionner : il annonce en novembre 1941 qu’à partir de janvier 1942, il ne gérera plus le pavillon d’isolement. 1111 Le docteur Rabaute insiste sur la nécessité de trouver un arrangement car la municipalité est responsable du maintien de structures hospitalières pour la communauté : « Les hôpitaux sont une nécessité et les municipalités ont le devoir d’en construire et de les entretenir» ; 1112 en améliorant le fonctionnement et la gestion du pavillon d’isolement « l’hygiéniste y trouverait satisfaction, le résident bénéfice, et notre administration un bon renom mérité » ; 1113 les négociations donnent lieu à la création d’un Conseil d’administration, composé du Père Verdier, procureur de la mission, du directeur des finances de l’administration française, du directeur de la COIP, du directeur des services d’hygiène, chargé du budget, du contrôle des achats et du règlement des questions intérieures ; la comptabilité est tenue par le cabinet français Marcel Darré, qui gère également les comptes de l’administration française ; la subvention de la municipalité passe à 100.000 $ en 1942, avec des avances qui doivent être consenties ultérieurement.

L’administration tente parallèlement d’augmenter le nombre de patients, insuffisant par rapport à la capacité d’accueil du pavillon. Le nombre de malades soignés au pavillon Saint Jean passe par un pic en 1938, année de la sévère épidémie de choléra, dû à l’afflux de malades chinois alors que le nombre d’Européens soignés n'augmente pas -il est même en diminution à partir de 1939.

Pavillon d'isolement de Sainte Marie, nombre de malades et durée des séjours
Pavillon d'isolement de Sainte Marie, nombre de malades et durée des séjours
Pavillon d'isolement de Sainte Marie, coût par journée de malade
Pavillon d'isolement de Sainte Marie, coût par journée de malade

Le prix de revient moyen d'un malade peut donc s'estimer à partir des chiffres ci-dessus, très largement subventionné dans les premières années de la création du pavillon ; on s'efforce ensuite d'accueillir plus de malades au pavillon afin d'en justifier l'existence. On révise les conditions d’admission en ne limitant plus l’accès aux malades français et aux malades chinois envoyés par le service d’hygiène publique, situation dont s’était d’ailleurs, plaint le SMC en 1932 et en 1936 quand l’administration française avait refusé de recevoir des malades chinois et anglo-saxons résidant pourtant dans la Concession française. 1114 Pour faciliter l’accès des malades, la municipalité crée un comité technique composé de médecins chargés d’établir une liste de médecins de la Concession française autorisés à faire admettre et à traiter eux-mêmes leurs malades à l’hôpital d’isolement. 1115

Le Pavillon d’Isolement a donné les moyens à la municipalité d’agir contre les épidémies apparues à la suite des conflits sino-japonais de 1932 et 1937 et durant les années d’occupation japonaise. Malgré les difficultés financières dues à un manque d’exploitation commerciale et à la guerre, le pavillon d’isolement a été un élément essentiel d’action et d’autonomie médicale de la municipalité française.

Notes
1103.

AMS, U38 5 1033, Rapport du docteur Rabaute sur les subventions octroyées aux laboratoires du SMC, le 19 mars 1934. Lettre de J.J. Phillips, ‘deputy secretary’ du SMC le 31 janvier 1934 à la municipalité française.

1104.

AMS, U38 5 1033, Lettre du docteur Rabaute au docteur Jordan, le 2 décembre 1936.

1105.

AMS, U1 16 275, Article du NCDN, le 8 mai 1931.

1106.

AMS, U38 5 1682, 1613, Rapport sur l’hôpital Ste Marie St Jean d’Isolement, le 28 avril 1932.

1107.

AMS, U38 1 131-1, Dossier sur le pavillon d’isolement Saint Jean.

1108.

AMS, U38 1 131-1, Projet de convention entre la municipalité française et la mission du Jiangnan.

1109.

AMS, U38 1 131-1, Lettre du directeur des finances de l’administration française au directeur général, le 8 septembre 1941.

1110.

AMS, U38 1 131-1, Lettre du directeur des finances de l’administration française au directeur général, le 8 septembre 1941.

1111.

AMS, U38 1 131-1, Lettre du R.P.Verdier à l’administration française le 1 er novembre 1941.

1112.

AMS, U38 1 131-1, Lettre du directeur de l’hygiène publique et de l’assistance au sujet du pavillon d’isolement et de la lettre de démission du R.P.Verdier, le 6 novembre 1941.

1113.

AMS, U38 1 131-1, Lettre du directeur de l’hygiène publique et de l’assistance au sujet du pavillon d’isolement et de la lettre de démission du R.P.Verdier, le 6 novembre 1941.

1114.

AMS, U1 16 275, Lettre du docteur Jordan, ‘Commissioner of Public Health’ du SMC, à l’hôpital Sainte Marie, en mars 1932 et juin 1936.

1115.

AMS, U38 1 131-1, Lettre du directeur de l’hygiène publique du 17 novembre 1941.