5.4.4. La prévention et la lutte contre les épidémies de choléra dans la Concession française à la suite du conflit sino-japonais de 1937

Après l'épidémie de choléra de 1932, c’est l'invasion japonaise d’août 1937 qui déclenche une nouvelle épidémie à Shanghai ; dans la Concession française, les premiers cas cliniques de choléra sont enregistrés le 30 août 1937 chez huit malades chinois et, le 31 août, sept nouveaux cas sont signalés. L'épidémie prend vite des proportions sévères avec cent six nouveaux cas dans la seule journée du 11 septembre, le point culminant étant atteint dans la deuxième semaine de septembre avec quatre cent quatre vingt dix cas ; elle décline ensuite progressivement en octobre et en novembre et prend fin vers la mi-décembre ; plus importante que celle de 1932, l’épidémie touche plus particulièrement la population chinoise et, parmi la population étrangère, la communauté russe, qui vit dans la pauvreté. 1131

Les combats qui se déroulent autour et au sein de la ville désorganisent le fonctionnement de tous les services et entraînent des mouvements importants de population vers les Concessions ; de nombreux réfugiés s’en sortent grâce à leur réseau familial et relationnel ; 1132 Les autres, sans moyens financiers conséquents ni aide extérieure, restent dans la rue où ils vivent et dorment à même les trottoirs. La guerre aggrave donc les facteurs épidémiologiques déjà existants dans une ville surpeuplée et les conditions sanitaires se dégradent rapidement : « sur la ville règne une odeur pestilentielle », note le rapport municipal. 1133 Ensuite, comme l’expliquent les docteurs Malval et Palud, « à cet exode initial en succèdent d’autres également brusques, lors du déplacement de la bataille. Pudong se vide en septembre, Hongqiao en Octobre, Nandao en novembre. De tels mouvements de population vers l’abri des concessions n’ont rien de nouveau. Depuis les Taiping, on en connaît beaucoup. Mais il est rarement donné d’en voir d’aussi massifs » ; 1134 la situation est aggravée par le fait qu’aucune autorité n’était prête à y faire face, laissant la société civile s’organiser et gérer elle-même l’assistance aux réfugiés. 1135 Tous les facteurs sont réunis pour faciliter la propagation du choléra : la résistance générale des réfugiés est amoindrie par la promiscuité et par les souffrances physiques qu’ont générées les marches épuisantes sous la chaleur d'août, parfois alourdies par le transport de pièces de mobilier à sauvegarder, le défaut d'alimentation, l'angoisse morale des familles ruinées et disséminées par la guerre et les bombardements qui atteignent aussi les Concessions.

Au niveau de l'hygiène urbaine, les boues ne peuvent être déblayées et s'entassent sur le Quai de France : « il faut aux sampaniers quelque héroïsme pour les évacuer sous le feu » ; 1136 il en va de même des ordures ménagères, évacuées en temps normal par sampan vers les campagnes environnantes, les combats ne laissant d’autre possibilité aux municipalités que de construire de larges fosses à déchets. Le système des vidanges, déjà défectueux, se maintient difficilement dans l'urgence et la précarité : « 250 tonnes d’excréta sont quotidiennement laissées pour compte ». 1137 La vie des réfugiés s'organise dans la rue qui prend des allures de grand marché ouvert ; les restaurateurs ambulants augmentent et rejettent leurs déchets dans la rue, ce qui entraîne l'apparition de mouches en nombre « impressionnant ». 1138 Il y a urgence pour la fabrication des cercueils, sans possibilité de respecter les rituels funéraires : « les cercueils s’accumulent au point que dans la crique de Zikawei (Xujiahui) on les enlise sous les gadoues». 1139 Toutefois, les risques de contagion sont limités par le maintien de l'approvisionnement en eau potable sur les Concessions. 1140

Des réunions s'organisent autour de la lutte contre l'épidémie de choléra, durant lesquelles les trois administrations décident de collaborer pour répartir les malades et les soldats blessés dans les différents hôpitaux de Shanghai. Le 24 septembre 1937, les autorités étrangères et chinoises de Shanghai se groupent pour ouvrir le Zhong Shan Hospital qui accueille d’abord les soldats blessés avant que les municipalités décident d’y envoyer les malades atteints de choléra, évacuant les soldats vers d'autres hôpitaux. Les médecins des trois administrations se réunissent fréquemment pour décider de la marche à suivre au Zhong Shan Hospital. 1141 Sur 15.000 $ de dépenses mensuelles, la contribution financière des administrations est proportionnelle au nombre d'habitants de leur juridiction : l'administration française ne verse que 2.500 $.

L’armée chinoise ne possédant aucune structure de soins pour ses soldats, elle doit s’en remettre aux associations privées et aux municipalités étrangères. L’aide est organisée par une trentaine d’associations charitables, parmi lesquelles la Croix-Rouge qui crée vingt-quatre hôpitaux ; 1142 dans la Concession française, les militaires chinois blessés sont dirigés vers l'hôpital de la Croix-Rouge situé rue Père Robert (actuellement Ruijiner lu) où ils sont traités et mis en quarantaine pendant six jours ; 1143 sur la Concession internationale, ils sont amenés à l'hôpital de la Croix-Rouge de Hongkou Road. 1144 Du 15 août au 15 novembre 1937, dix sept mille huit cent quatre vingt dix-sept soldats sont ainsi soignés dans les deux concessions. 1145

Notes
1131.

Archives privées de Louis Malval, Rapport des médecins Jean Malval et Yves Palud sur le Choléra de 1937 dans la Concession française de Shanghai.

1132.

Christian Henriot, ‘Shanghai and the experience of war : The refugee problem’.

1133.

AMS, U38 5 1218, Rapport de l’Inspecteur en chef des services d’hygiène sur l’épidémie de cholera de 1937.

1134.

Archives privées de Louis Malval, Rapport des médecins Jean Malval et Yves Palud sur le Choléra de 1937 dans la Concession française de Shanghai, p 5.

1135.

Christian Henriot, ‘Shanghai and the experience of war : The refugee problem’: « I argue that 1937 created an entirely new situation no authority was prepared to meet. »

1136.

Archives privées de Louis Malval, Rapport des médecins Jean Malval et Yves Palud sur le Choléra de 1937 dans la Concession française de Shanghai, p 6.

1137.

Archives privées de Louis Malval, Rapport des médecins Jean Malval et Yves Palud sur le Choléra de 1937 dans la Concession française de Shanghai, p 6.

1138.

AMS, U38 5 1218, Rapport de l’Inspecteur en chef des services d’hygiène sur l’épidémie de cholera de 1937.

1139.

Archives privées de Louis Malval, Rapport des médecins Jean Malval et Yves Palud sur le Choléra de 1937 dans la Concession française de Shanghai, p 6.

1140.

AMS, U38 5 1218, Rapport de l’Inspecteur en chef des services d’hygiène sur l’épidémie de cholera de 1937.

1141.

AMS, U38 5 1616, Rapport du service sanitaire français sur le Zhong Shan Hospital.

1142.

Christian Henriot, ‘Shanghai and the experience of war : The refugee problem’.

1143.

AMS, U38 5 1616, Rapport des services municipaux français sur l’accueil des soldats chinois blesses.

1144.

AMS, U38 5 1616, Rapport des services municipaux français sur l’accueil des soldats chinois blesses.

1145.

Christian Henriot, ‘Shanghai and the experience of war : The refugee problem’