L’épidémie de 1938 et la création du Pavillon provisoire pour cholériques à l’hôpital Sainte Marie 

L’épidémie de choléra de 1938 est la plus virulente enregistrée pendant la guerre.

Occurrences du choléra dans la Concession française
  Chinois     Etrangers    
Années Cas Décès % Cas Décès %
1937 1.744 330 18,9 43 17 39,5
1938 3.129 376 12,0 15 7 46,6
1939 77 13 16,9 _ _ _
1940 67 6 9,0 1 1 _
1941 103 12 11,6 1 0 _
1942 310 52 16,8 3 1 _

Les médecins français relèvent une nouvelle fois que les classes pauvres sont les plus touchées par l’épidémie ; 1147 parmi les étrangers, ce sont les Russes dont les conditions d’existence sont aussi précaires que la population chinoise. L’épidémie se développe dans les quartiers densément peuplés comme ceux de l’Est et du Centre ; parmi les camps de réfugiés ouverts dans la concession, seul celui de l’Armée du Salut est contaminé ; 1148 l’épidémie de choléra viendrait de la zone Hongqiao-Xujiahui et du quartier de Pudong avec lequel les échanges sont fréquents, 1149 aggravée par l’épidémie de rougeole en hiver et celle de typhus au printemps, qui ont préparé un terrain favorable. Par ailleurs, malgré la remise en état des voies ferrées vers Nanjing et Hangzhou et la reprise du trafic fluvial, les réfugiés sont réticents à repartir : » la masse des réfugiés provenant d’une banlieue dévastée, préfère à une vie des plus incertaine sous le contrôle japonais, l’entassement sous notre pavillon». 1150

L’évacuation des boues par voie fluviale dépend du bon vouloir des autorités japonaises et celle par jonques recommence progressivement à fonctionner ; pour éviter trop d’encombrement, ces gadoues servent parfois à des travaux de nivellement. L’évacuation des excréments humains suscite aussi des inquiétudes: « l’engrais humain retourne aux épandages de la campagne. Non sans des à-coups qui soulignent l’insuffisance des fosses septiques de secours et le danger bien plus grand des fosses fixes de réserve creusées par les transitaires chinois sous leurs maisons ; ceci simplement dans l’attente d’une hausse des cours de vente ». 1151 La hausse de la mortalité entraîne l’accroissement du nombre de cercueils : dans la zone de Hongqiao-Xujiahui est créé un cimetière de quarante mille tombes et environ deux mille incinérations sont pratiquées par mois. 1152

A l’hôpital Sainte Marie, le pavillon d’isolement Saint Jean ne peut faire face à l’afflux de malades ; on aménage dans un bâtiment annexe de l’hôpital le pavillon pour cholériques, qui compte quatre-vingts lits et enregistre quatre cent cinquante trois entrées dès les trois premières semaines de l’épidémie ; sur les mille cent quinze malades reçus pendant l’épidémie de début juillet à mi-août 1938, cent six seulement décèdent, ce qui représente un résultat positif face à l’ampleur de la propagation et, malgré la gravité de la maladie, la moyenne d’hospitalisation reste courte, mais le pavillon n’est pas suffisant et doit être complété par une autre paillote attenante. Le travail au sein de l’hôpital s’accompagne de campagnes de vaccinations anti-cholériques renforcées. C’est docteur A. P. Deniz, de nationalité portugaise, diplômé en 1935 de l’université l’Aurore qui est chargé du pavillon pour cholériques et, en juillet 1938, le Père Verdier décide de renforcer l’équipe médicale de deux médecins chinois qui assurent le service de nuit et dont le salaire mensuel est de 150 $ ; le salaire des employés de l’hôpital pour cholériques est faible comparé aux risques de contagion encourus et à l’attention constante à fournir : les ‘boys’ et ‘amahs’ qui assurent le nettoyage ne sont payés que 9 $ par mois. Le personnel, au nombre de dix-sept début 1938, passe à trente-sept en août 1938 ; dans son ensemble il est de nationalité chinoise.

Depuis 1973, la vaccination contre le choléra n’est plus recommandée par l’OMS ; d’ailleurs le vaccin anti-cholérique Pasteur n’est plus fabriqué ni commercialisé car son efficacité est remise en cause, ne protégeant qu’une personne sur deux, pour une durée de six mois maximum et inefficace chez les moins de cinq ans. 1153 Selon André Briend, chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement, les médecins n’ont jamais cherché à évaluer son efficacité devant la baisse rapide des cas enregistrée dès qu’une campagne de vaccination était menée ; or « on s’est aperçu, au cours des épidémies de choléra, qu’il existait un grand nombre de personnes qui résistaient naturellement au vibrion et qui s’immunisaient spontanément par le biais d’une infection inapparente. Une meilleure description des épidémies a permis de montrer que, même en l’absence de vaccination, le nombre de cas nouveaux atteignait un pic puis régressait en quelques semaines (…). L’efficacité de ce vaccin n’a été testée selon les règles de l’art qu’au début des années soixante-dix, au Bangladesh, dans une région où le problème éthique posé par le groupe témoin avait été surmonté en installant des centres de traitement dans les villages, avec un système de bateaux hors-bord permettant d’évacuer rapidement les malades et d’éviter les décès. Cet essai a montré que la protection conférée par ce vaccin, recommandé pendant plus de cinquante ans, était négligeable et que les efforts dispensés dans les campagnes de vaccination de masse lors des épidémies représentaient un gaspillage de moyens considérables pour limiter une épidémie qui, de toute façon, s’éteindrait d’elle-même dès lors que tous les sujets susceptibles de développer un choléra clinique auraient été en contact avec le vibrion. » 1154 A la lumière de ces recherches, on peut se demander si, sans les vaccinations anti-cholériques de masse menées par la municipalité, la population chinoise aurait traversé les épidémies de choléra de la même manière, avec d’abord de nombreux décès puis une baisse rapide des morts. Le choix de la municipalité, de mettre l’accent sur la vaccination de masse, mettant en valeur l’Institut Pasteur de Shanghai qui produisait le vaccin et de privilégier la surveillance de l’eau et des aliments, vecteurs de transmission du choléra, révèle que l’objectif prioritaire était de protéger la communauté étrangère et d’endiguer une catastrophe humaine lourde de conséquences morales et politiques en montrant sa supériorité scientifique.

Notes
1146.

Archive de l’Institut Pasteur, Rapport du docteur Raynal sur l’Institut Pasteur, Statistiques sur le Choléra à Shanghai en 1942, Tableau sur le choléra dans la Concession française de Shanghai.

1147.

Archive de Louis Malval, Rapport des médecins Jean Malval et Yves Palud sur le Choléra de 1937 dans la Concession française de Shanghai, p 2.

1148.

Archive de Louis Malval, Op.cit., p 2.

1149.

Archive de Louis Malval, Op.cit., p 5.

1150.

Archive de Louis Malval, Op.cit., p 4.

1151.

Archive de Louis Malval, Rapport des médecins Jean Malval et Yves Palud sur le Choléra de 1937 dans la Concession française de Shanghai, p 4.

1152.

Archive de Louis Malval, Rapport des médecins Jean Malval et Yves Palud sur le Choléra de 1937 dans la Concession française de Shanghai, p 4.

1153.

Alternative Santé, L’Impatient, “Le Guide des Vaccinations”, avril 2000, Hors-série n°20, p 37.

1154.

Article de André Briend, Quelles interventions en situation de pénurie, pp 135-136, dans Rony Brauman, Utopies sanitaires , Paris, Editions le Pommier-Fayard, 2000.