La lutte contre la tuberculose

Au XIXème siècle, la tuberculose est considérée comme une maladie sociale associée à la pauvreté, aux comportements à risques comme l’alcoolisme et la prostitution.En 1882, avec la découverte du bacille de Koch qui établit le caractère infectieux de cette maladie, des mesures sanitaires sont prises pour limiter les risques de contagion mais la politique interventionniste de l’État est sans effet, une réelle amélioration étant davantage la conséquence d’une évolution sociale que des découvertes médicales ; 1155 en effet, comparée aux autres nations, la situation de la France à la fin du XIXème siècle suscite de vives inquiétudes : le déclin démographique avive les peurs sociales qui s’accentuent avec l’approche de la guerre ; les craintes de la bourgeoisie se cristallisent autour de la classe ouvrière et des marginaux dont les comportements déviants représentent une menace pour la santé, associant alcoolisme ou syphilis à la tuberculose. La première guerre mondiale entraîne un changement radical du climat politique et social avec la mise en œuvre de mesures visant à créer des dispensaires anti-tuberculeux et des sanatoriums 1156 même s’ils n’ont pas prouvé leur efficacité sur le plan thérapeutique, 1157 restant liés à la politique d’enfermement prônée par les gouvernements à partir du XVIIIème siècle pour gérer les personnes présentant un risque pour la société. 1158 L’intervention limitée de l’État chinois en matière de santé publique s’expliquerait peut-être par l’absence de telles structures en Chine ; avant l’apparition des antibiotiques il existe peu de remèdes efficaces contre la tuberculose : « before the advent of styptomycin barely half a century ago, traditional Chinese explanations and remedies for tuberculosis must have offered at least as good a chance of recovery as their western alternatives ». 1159 Les médecins traditionnels ont ici l’occasion de comparer leurs théories à celles de la médecine occidentale présentées comme des avancées extraordinaires, et ils peuvent établir des liens entre leur interprétation des maladies et celle de la médecine scientifique, ce qui les conduit à traduire les termes occidentaux désignant les maladies infectieuses en chinois ; dans le cas de la tuberculose, ils assimilent l’étiologie occidentale de cette maladie tout en conservant une perspective médicale chinoise : « It was possible to apply some of the new standards of modernity to Chinese medicine. » 1160

Dans la Concession française, des mesures sont prises par la COIP pour assurer prévention et traitement aux malades russes, très exposés à la tuberculose, mais aucune mesure n’est prise en faveur des Chinois qui souffrent de cette maladie. Poussé par les nations occidentales à endiguer en priorité les épidémies de peste, de typhus, et de choléra 1161 et accaparé par des priorités politiques et financières, le gouvernement chinois s’engage tardivement dans la lutte contre la tuberculose, maladie de la misère qui touche lourdement la population chinoise. 1162 C’est à partir de 1930 que des médecins chinois de formation occidentale se mobilisent ; en 1933, à la suite d’une conférence tenue par la ‘China Medical Association’ présidée par le maire de Shanghai, est crée la ‘Shanghai anti-tuberculosis association’ qui, avec la municipalité chinoise de Shanghai organise dès l’année suivante une nouvelle conférence sollicitant le soutien financier des administrations étrangères : y participent les directeurs des services d’hygiène étrangers, les docteurs Jordan et Rabaute. Le docteur Rabaute présente favorablement l’action de cette association auprès de la COIP afin que des fonds lui soient octroyés : « A mon avis, il semble que la population de notre ville comptant plus de 480.000 Chinois, on ne peut pas ne pas consentir un sacrifice pour cette œuvre. La somme à déterminer doit être assez importante pour bien marquer notre désir de collaborer à une œuvre aussi utile et dont personne au monde ne saurait discuter la nécessité. » 1163 L’association est particulièrement mise à contribution à la suite du conflit sino-japonais de 1937 tandis que des milliers de réfugiés fuyant leurs villages cherchent la protection des armées à Shanghai ; en décembre 1937, la Croix-Rouge Internationale de Shanghai ouvre pour eux le ‘Shanghai International Red Cross n°2 Refugee Hospital’, situé route Ghisi dans la Concession française. A partir de mai 1938, l’hôpital rencontre des difficultés financières et installe des lits de deuxième et première classes pour recevoir des malades payants, devenant alors le ‘Shanghai International Red Cross n°2 Hospital’. En janvier 1939, devant le nombre important de tuberculeux nécessitant un isolement, la ‘Shanghai Anti-Tuberculosis Association’ dirigée par les docteurs Szeming Sze et Lee S. Huizenga, est appelée par la Croix-Rouge Internationale de Shanghai pour diriger cet hôpital, désormais réservé aux tuberculeux, qui prend le nom de ‘Shanghai Hospital of the Shanghai Anti-Tuberculosis Association’. Il devient rapidement une clinique universitaire pour former les étudiants chinois de médecine occidentale au traitement de la tuberculose ; les 60 lits sont payants et répartis en trois classes, mais les disponibilités limitées nécessitent l’envoi des réfugiés au ‘Tuberculosis Hospital’, l’hôpital de l’association dont la capacité d’accueil est plus importante : les réfugiés ou indigents chinois atteints de tuberculose peuvent y être soignés gratuitement dans 220 lits. 1164 En 1940, la direction, débordée par les demandes, doit solliciter l’aide des deux municipalités étrangères ; les docteurs Jordan et Palud, nommés vice-présidents de l’association en 1938, accueillent favorablement la demande ; grâce aux subventions et dons divers, l’association poursuit son travail d’information et d’éducation auprès du public et assure le financement de ses deux hôpitaux. 1165

A partir de janvier 1937, le laboratoire de la municipalité française produit le vaccin contre la tuberculose, le BCG mais son utilisation se heurte aux objections des spécialistes chinois quant à son danger et son manque d’efficacité ; J. Raynal, directeur du Laboratoire Municipal et son assistant le docteur Y. Ch. Lieou réagissent en présentant, dans un article, les avantages de la vaccination contre la tuberculose sans négliger pour autant les précautions pour limiter les risques ; 1166 l’utilisation du BCG reste toutefois confinée à la maternité de l’hôpital Sainte Marie : en 1941, six cent cinq nouveau-nés y sont vaccinés sous la surveillance du docteur Malval, ainsi que seize enfants français dans le cadre de consultations privées. 1167 Comme l’illustre le cas du BCG, l’Institut Pasteur ne parvient pas à valoriser la spécificité de son travail et se voit devancé par d’autres nations occidentales sur ce marché attractif.

Notes
1155.

Dominique Dessertine, Oliver Faure, La lutte contre la tuberculose dans la région lyonnaise : 1918-1930 : discours et réalités , Centre Pierre Léon, université Lyon II, 1985, p 1.

1156.

David Barnes, The making of social disease, Tuberculosis in Nineteenth-Century France , Berkeley, University of California, 1995, pp 18-22.

1157.

Dominique Dessertine, Oliver Faure, La lutte contre la tuberculose dans la région lyonnaise : 1918-1930 : discours et réalités , p 172.

1158.

Andrews, Bridie J., Tuberculosis and the Assimilation of Germ Theory in China, 1895-1937, Journal of the History of Medicine 52 (January 1997b), p 118.

1159.

Andrews Bridie J., Op.cit., p 120.

1160.

Andrews Bridie J., ‘Tuberculosis and the Assimilation of Germ theory in China, 1895-1937’, p 151.

1161.

Andrews, Bridie J., Tuberculosis and the Assimilation of Germ Theory in China’, Journal of the History of Medicine 52 (January 1997b), p 138.

1162.

Ka-che Yip, Health and National Reconstruction in Nationalist China , Ann Arbor, the Association for Asian Studies, The University of Michigan, 1995, p 10. Ka-che Yip note qu’en Chine, la mortalité due à la tuberculose est estimée à 350 pour 100.000 personnes annuellement. Cette proportion est de 114 aux États-Unis et de 213 pour le Japon en 1921.

1163.

AMS, U38 5 1652, Lettre du docteur Rabaute au directeur de la COIP, le 8 mai 1934.

1164.

AMS, U38 5 1653-1, General Report, Shanghai Hospital of the Shanghai anti-tuberculosis association, 1939.

1165.

AMS, U38 5 1653-1, Second Annual Meeting of the Shanghai anti-tuberculosis association, September 23 rd , 1940.

1166.

ADN, Extrait du Bulletin médical n°16 de l’université l’Aurore, 1937. Article de J.Raynal et Y. Ch. Lieou, “La vaccination anti-tuberculeuse par le BCG en Extrême-Orient”.

1167.

Archives de l’Institut Pasteur, Rapport du docteur Raynal sur les recherches entreprises à l’Institut Pasteur en 1941.