5.4.5. Le laboratoire municipal et l’Institut Pasteur

L’épidémiologie s’est développée simultanément à l’impérialisme des nations occidentales et les pastoriens ont trouvé un champ d’application dans les colonies françaises et un écho favorable parmi les médecins militaires : confrontés à un environnement inconnu, ils trouvent dans les vaccins récemment élaborés des moyens d’action contre les maladies dites ‘tropicales’. Aussi, dès la création du premier institut en 1888, et bien que ce n’ait pas été l’objectif de ses fondateurs, l’Institut Pasteur prend-il un caractère international. 1168

Le premier Institut Pasteur à l’étranger est fondé à Saigon en 1891 ; et tous les instituts Pasteur d’Indochine vont dominer la recherche épidémiologique française en Extrême-Orient ; leur contrôle scientifique sur toutes les questions de santé et d’hygiène leur donne un pouvoir étendu. 1169 Le lien entre les découvertes de Pasteur et l’hygiène suscite des interprétations divergentes : tandis que pour Murard et Zyberlman, l’hygiène a évolué indépendamment et créé un champ d’étude à part entière basé sur l’étude statistique de faits sociaux, pour Bruno Latour et Jacques Léonard, l’hygiène s’est au contraire développée grâce aux pastoriens dont les découvertes ont permis aux hygiénistes de délimiter leur combat en s’attaquant aux microbes, les découvertes scientifiques légitimant leur action ; en retour, les pastoriens s’appuient sur le mouvement hygiéniste pour porter leurs recherches à la connaissance du public ; c’est ainsi que le mouvement hygiéniste se voit associé aux pastoriens, les recherches de toute l’équipe étant alors cristallisées autour d’un seul homme, Pasteur ; les hygiénistes auraient pu « sans microbe, sans vaccin, sans même de doctrine de la contagion ou de la variation de virulence, (…) faire tout ce qui fut fait : assainir les villes, creuser les égouts, exiger de l’eau, la lumière, l’air et le feu», 1170 mais la bactériologie leur permet de justifier leur action auprès des pouvoirs publics et de la population : « ils [les pastoriens et leurs alliés hygiénistes] refondent carrément le lien social pour y inclure l’action des microbes. Dans le grand chamboulement de l’Europe à la fin du siècle, ils redéfinissent de quoi se compose la société, qui agit et comment, et se font les porte-parole de ces nouveaux acteurs innombrables, invisibles et dangereux [les microbes] » 1171 Suite au travail des hygiénistes et de Béchamp, injustement oublié, 1172 les villes se transforment, mais la révolution sanitaire de l’époque est attribuée au seul génie de Pasteur.

Au plan international, les pastoriens doivent faire face à la concurrence des autres nations occidentales, comme les États-Unis qui exercent leur influence à travers la puissante fondation Rockefeller qui, en Afrique, lance le premier vaccin contre la fièvre jaune ; 1173 l’implantation dans les colonies leur permet toutefois de tester des vaccins avant de les lancer sur le marché français. 1174 En Chine aussi la France est devancée, le gouvernement s’adressant aux institutions médicales américaines et anglaises : « Les services scientifiques et médicaux du gouvernement chinois comme le Bureau national pour la prévention des épidémies fonctionnent en relation avec les instituts étrangers et avec les recherches menées sous l’égide de la Société des Nations. La collaboration scientifique s’effectue plus particulièrement avec les institutions créées à Pékin par la Fondation Rockefeller et avec l’Institut de Recherches Médicales anglais créé à Shanghai en 1929-1932 par la Fondation Lester. Dans les rencontres savantes, les Chinois font appel aux chercheurs de ces organismes ou à ceux des instituts Pasteur d’Indochine», 1175 tendance qui demeure malgré la création de l’Institut Pasteur de Shanghai en 1938, l’Institut n’ayant pas les moyens de former des médecins chinois, comme tel était son objectif initial.

L’idée de créer un laboratoire à Shanghai est proposée par l’Institut Pasteur d’Indochine, mais il faudra attendre dix années de négociations pour qu’il voie le jour ; 1176 Le premier objectif de la municipalité française est son autonomie par rapport aux laboratoires du SMC et la volonté de ne pas se laisser devancer par les anglo-saxons lorsque le gouvernement chinois, inspiré et aidé par l’organisation d’hygiène de la SDN, se lance dans des recherches en laboratoire et dans la défense sanitaire ; en outre, le laboratoire municipal est un tremplin vers la création d’un Institut Pasteur à Shanghai pour faire honneur à la l’œuvre scientifique française en menant des travaux de recherche pure ou se rapportant aux problèmes épidémiologiques et sanitaires locaux.

Le Laboratoire municipal de la Concession française commence à fonctionner en novembre 1935 sous la direction du docteur Jean Raynal, auparavant chef de laboratoire à l’Institut Pasteur de Hanoï, 1177 et son inauguration a lieu le 1er juillet 1936 en présence de Naggiar, Ambassadeur français en Chine. Selon la description du docteur Raynal, c’est un grand bâtiment de trois étages : dans l’aile droite du premier se trouvent les services de microbiologie et de sérologie, et dans l’aile gauche est situé le service de vaccins microbiens attenant à une grande salle de stérilisation et de préparation des milieux de culture ; au second étage est aménagée une grande bibliothèque ainsi que le service d’anatomie pathologique, le service antirabique et deux petits laboratoires pour la fabrication du BCG ; au troisième étage sont les laboratoires de chimie qui comprennent les laboratoires de chimie industrielle, ceux chargés de la surveillance des fraudes alimentaires et de la toxicologie ainsi que, dans une autre aile, les laboratoires d’analyses de biologie médicale et de surveillance des eaux. 1178

Comme le financement du laboratoire municipal, puis celui de l’institut, sont assurés par la municipalité française, le docteur Raynal doit traiter directement avec les autorités consulaires et municipales de Shanghai, qui font preuve d’un manque de coopération. En outre, le docteur Raynal doit envoyer régulièrement des rapports sur les travaux scientifiques menés à Shanghai aux instituts de Paris et d’Indochine, et se conformer strictement aux techniques et enseignements reçus à l’Institut Pasteur ; 1179 toutes les publications ou changements internes doivent être immédiatement indiqués à ces centres, le Laboratoire de Shanghai étant considéré comme une antenne des instituts d’Indochine qui ont contribué à son existence. Sa tâche est encore alourdie par la charge de former le personnel recruté localement ; il est secondé dans son travail par le docteur Liu, jeune médecin chinois formé tout exprès pendant cinq ans à l’Institut Pasteur de Saïgon dans cette perspective. 1180 C’est ainsi que, si le service des vaccins microbiens commence dès août 1936 à fabriquer le vaccin nécessaire pour la campagne anti-cholérique dans la Concession française, faute de personnel et de crédits, le service antirabique et la préparation du vaccin BCG ne démarrent qu’à partir de janvier 1937.

Dans les premiers mois, le docteur Raynal rencontre des difficultés liées à l’agencement interne du bâtiment, peu adapté au fonctionnement d’un laboratoire, ainsi qu’à la rigidité de l’administration française : « locaux magnifiques à première vue mais en divers points mal adaptés et dont l’aménagement intérieur a été fait sans étude technique sérieuse préalable, joignez à cela les complications d’un rouage administratif trop rigide, à routine tracassière (…) Je continue malgré tout à envisager ce poste comme un tremplin pour un avenir meilleur. Il y faudra de la combativité et à la fois de la diplomatie à cause de l’incompréhension presque totale à laquelle on se heurte à chaque instant- même quand on s’adresse aux milieux médicaux. Cette incompréhension tourne d’ailleurs à une hostilité complète dès qu’il est question de crédits demandés dans des conditions pourtant fort naturelles. Ce sont là des difficultés qui sont monnaie courante, aussi l’essentiel est de savoir et de pouvoir s’imposer. Ce n’est pas l’affaire de quelques semaines et je vais travailler activement à servir notre prestige. » 1181 La COIP, institution autonome qui compte parmi ses membres des personnalités de la Concession française dont de nombreux conseillers municipaux, a voté la construction de l’Institut Pasteur en 1933 ; la municipalité et ses conseillers considéraient à l’époque que le laboratoire, puis l’institut, pourraient couvrir leurs frais de fonctionnement et même réaliser des bénéfices, offrant ainsi une source de revenus à la municipalité. Dans le contexte de difficultés financières liées à la création du laboratoire, le docteur Raynal est mal reçu, ses conceptions sur la mission de cette institution au service de la santé publique et de la population, divergeant de celles de la municipalité qui considère davantage le Laboratoire sous l’angle commercial : « d’aucuns considèrent même la création du Laboratoire municipal comme assez inopportune à l’heure actuelle, en raison de la surcharge qu’il impose au budget, avec pourtant les maigres crédits qui lui ont été alloués cette année. J’ai cru en effet de mon devoir de pousser les hauts cris quand il a été question devant moi de tarifer le vaccin BCG. J’ai donné l’avis qu’il ne fallait pas penser à monnayer le BCG et que, du point de vue social et français, on se devait de fournir gratuitement aux gens mordus le traitement antirabique. J’ai ajouté que pour ce qui concerne les analyses, la grande majorité est faite et sera faite forcément pour la classe indigente et qu’on ne pourrait décemment compter au laboratoire que sur des rentrées couvrant environ 40 à 50% des frais. » 1182 Selon lui, la seule section qui pourrait rapporter des revenus serait la chimie où les laboratoires peuvent effectuer des analyses payantes pour les industries de Shanghai ; ses services sont cependant insuffisamment encadrés et équipés pour mener ces analyses ; son chef est un employé russe ‘payé au rabais’ (300 $ par mois) et manquant de compétences, aussi Raynal souhaiterait-il la venue d’un pharmacien-chimiste recruté en France, mais les arguments financiers ont toujours le dessus sur des préoccupations liées à la compétence professionnelle des employés et à la qualité du travail effectué. 1183

L’idée de la construction d’un Institut Pasteur reste malgré tout d’actualité parmi les responsables français, plusieurs raisons justifiant ce choix : l’Institut fonctionnerait en coopération avec le laboratoire et dans les mêmes locaux agrandis et réaménagés, limitant ainsi les dépenses ; l’Institut pourrait assurer la formation du personnel du laboratoire et le remplacement du directeur ou des chefs de service en cas de congés ou de maladie ; les départements de chimie pourraient être organisés grâce à la venue d’un spécialiste attaché à l’Institut Pasteur mais effectuant son travail au sein du laboratoire ; ensuite, l’Institut pourrait soulager le laboratoire et effectuer certaines études nécessitant du temps et une plus grande technicité, comme les expertises de criminologie ; le laboratoire travaillant en priorité pour les services de microbiologie et d’hygiène de la municipalité, son action est inexistante dans le domaine de la recherche, l’Institut pourrait donc pallier cette carence en se chargeant de certains départements considérés comme inutiles car sans bénéfices financiers, comme le service antirabique et celui s’occupant de la fabrication du vaccin BCG. Dans la poursuite de ce projet, le consul français met en avant le rayonnement scientifique de la France : l’Institut Pasteur, orienté vers la recherche, pourrait avoir une importance au moins égale aux instituts anglais et américains qui existent depuis le début du siècle à Shanghai, et il est d’autant plus nécessaire que la Chine, avec le soutien de la section d’hygiène de la SDN, est en train d’organiser un système moderne de santé publique ; il ne néglige pas pour autant son prestige personnel : « et enfin il n’est pas jusqu’à un petit orgueil personnel de l’inauguration d’un Institut Pasteur pendant son règne qui ne vienne plaider encore la cause de cette nouvelle institution. » 1184 Le docteur Raynal constate le peu d’enthousiasme de la municipalité face à l’ampleur des dépenses qu’entraînerait la création de l’Institut et, s’il trouve un sujet de réconfort dans le fait que le consul soutient ce projet, il s’inquiète des difficultés que rencontre la Caisse des œuvres dont les membres sont habitués à la prospérité des premières années et à une planification à court terme : « La Caisse des œuvres a actuellement peu de disponible comme argent liquide, mais elle possède des terrains qui ont beaucoup de valeur à Shanghai ; ses rentrées mensuelles quoique diminuées, sont encore de bonne étoffe mais elles disparaissent au fur et à mesure, englouties dans le rythme des subventions à droite et à gauche. » 1185 La gestion de la COIP manque en effet d’efficacité et les conseillers gaspillent ses fonds en divers projets. Le docteur Raynal souhaiterait qu’elle établisse des réserves pour la fondation de l’Institut, au lieu de les consacrer à d’autres œuvres sans grande envergure.

Lors de la fondation de l’Institut Pasteur en 1938, un contrat est établi entre Marcel Baudez, Consul général de France à Shanghai et le docteur Louis Martin, directeur de l’Institut Pasteur de Paris : l’Institut Pasteur reçoit une subvention annuelle de 180.000 $ en contrepartie des analyses effectuées gratuitement par ses laboratoires pour les services d’hygiène de la municipalité française ; il s’agit des examens bactériologiques et chimiques effectués dans le cadre du contrôle des eaux de boisson, de la surveillance des fraudes alimentaires et de la surveillance des produits pharmaceutiques et antiseptiques ; les laboratoires de l’Institut Pasteur se chargent également des examens toxicologiques et de médecine légale pour les services juridiques et policiers de la municipalité française. Ils effectuent également, jusqu’à un maximum de six mille trois cents par an, les examens pour les patients indigents hospitalisés à l’hôpital Sainte Marie et ceux du Dispensaire municipal et de l’Institut prophylactique ; pour le personnel de la municipalité et de la police, les examens envoyés par l’hôpital Sainte Marie sont de mille deux cents par an, au-delà ils sont payants. L’Institut de Shanghai se charge, enfin, des analyses sollicitées par les médecins de la Concession française, liées au dépistage des maladies à déclaration obligatoire. L’Institut Pasteur fabrique chaque année les vaccins anti-cholériques et anti-typhoïdiques nécessaires aux campagnes de vaccination menées par la municipalité. L’Institut Pasteur de Paris contribue à la solde du personnel, aux frais de voyage du personnel européen et de leurs familles, et aux dépenses liées à l’entretien et au renouvellement de l’équipement de l’Institut. 1186

En juillet 1938, commencent des travaux pour ouvrir un nouveau pavillon, l’Institut antirabique et centre vaccinogène, pour les personnes suivant un traitement contre la rage et celles qui doivent subir des vaccinations ; 1187 il fonctionne dès août 1938 et permet d’installer de façon rationnelle les laboratoires de la rage et du BCG, selon les intructions du docteur Raynal ; un espace y est également aménagé pour les animaux nécessaires à la préparation des vaccins antirabique et antivariolique. 1188

Dès sa première année de fonctionnement, l’Institut Pasteur est confronté à des difficultés financières en raison du contexte de guerre et de crise économique. La subvention de la municipalité française, fixée selon les termes du contrat à 180.000 $, est majorée de 20% pour l’année 1939 ; le docteur Raynal avait suscité une majoration de 40%. 1189 Les bénéfices provenant des vaccins sont très faibles, de 5.000 à 6.000 $ par an, tandis que les analyses rapportent environ 18.000 $ par an, la plupart des examens étant effectués gratuitement pour l’hôpital Sainte Marie et la municipalité, dans le cadre de sa politique de protection médicale à l’égard de son personnel et de sa politique d’assistance publique, et les examens payants étant demandés par l’Armée et la Marine. Aussi, le docteur Raynal souhaiterait-il que la municipalité ajuste sa subvention pour l’année 1940. De plus, les six cents analyses par mois effectuées gratuitement par l’Institut pour l’hôpital Sainte Marie s’avèrent insuffisantes par rapport aux besoins et d’autres doivent être réalisées par le chef des travaux pratiques de bactériologie de l’université l’Aurore, dans le laboratoire du service de clinique médicale ; le comité directeur de la Caisse des œuvres décide de lui octroyer une petite contribution en contrepartie des analyses médicales des malades ‘petits-payants’, les analyses pour les malades payants continuant à être réservées à l’Institut Pasteur, solution qui permet au laboratoire de l’hôpital Sainte Marie de subsister, en limitant le nombre d’analyses payantes de l’Institut Pasteur ; les bénéfices de l’Institut Pasteur assurés par les analyses des malades ‘payants’ sont diminués d’autant mais le R.P. Verdier obtient l’accord du docteur Raynal. 1190 A partir de 1940, l’insuffisance des crédits ne donne aucune chance au projet d’enseignement envisagé lors de la création de l’Institut ; quant aux travaux de recherche, ils ne peuvent se développer selon les perspectives initiales. L’année 1941 accentue l’isolement du docteur Raynal qui ne reçoit plus de nouvelles ni d’instructions de l’Institut Pasteur de Paris : « La filiale est tombée à un niveau assez bas ». 1191 Après la rétrocession de la Concession en juillet 1943, l’Institut Pasteur conserve son caractère français mais il est soumis à des obligations envers la municipalité chinoise et le ministère chinois de la Santé : il doit leur fournir des vaccins anticholériques et antivarioliques, contrôler et estampiller les produits pharmaceutiques ; 1192 malgré le bon vouloir de l’Institut, les relations sont difficiles : « Les arrangements avec le ministère de la Santé publique de Nankin n’ont abouti jusqu’ici qu’à de grosses dépenses engagées par la Caisse des œuvres et à des discussions interminables sans que rien de concret n’ait été réalisé. ». 1193 Dès janvier 1945, en raison des difficultés financières rencontrées après la rétrocession, la Caisse des œuvres ne comble plus, comme à son habitude, les déficits mensuels de l’Institut Pasteur, mais à partir du 15 mars 1945, devant l’impossibilité de percevoir les salaires de France, elle prend en charge la solde du personnel européen de l’Institut, sur la base d’allocations familiales aux fonctionnaires français ne recevant plus de rémunération. 1194 La situation est si critique que le docteur Raynal vend deux voitures automobiles et un stock de charbon appartenant à l’Institut ; les laboratoires fonctionnent au ralenti avec un personnel en nombre insuffisant. 1195 De mars à juillet 1945, l’Institut subit en outre les pressions des autorités militaires japonaises qui, dans le but d’en prendre possession, envoient des officiers inspecter les locaux une fois par semaine, menace écartée grâce aux négociations du Consul français. 1196 Le docteur Raynal, qui décide de quitter Shanghai pour réintégrer les cadres du Corps de Santé coloniale, est remplacé en juillet 1946 par le docteur J. Fournier. La maison mère de Paris effectue des démarches auprès de différents organismes, dont le ministère des Affaires étrangères, pour obtenir des subventions ; il est notamment question de transformer l’Institut en un centre d’enseignement et de recherche qui travaillerait avec l’hôpital Sainte Marie et l’université l’Aurore. 1197 En 1948, l’avenir de l’Institut Pasteur de Shanghai semble compromis ; 1198 il doit, en attendant des jours meilleurs, jongler avec les aides financières, dont la petite subvention provenant du département des Relations Culturelles du consulat ; pour les maintenir, J. Fournier précise à son supérieur hiérarchique de Paris qu’il serait préférable d’ouvrir un compte bancaire à New York plutôt que de passer par la voie diplomatique pour le transfert d’argent, ce qui éviterait que le ministère soit au courant des versements effectués par l’Institut de Paris ; au point de vue financier, cette solution présente également des avantages pour le taux de change. 1199 Par ailleurs, la concurrence des laboratoires étrangers est forte : L’Institut, alors même qu’il produit sur place des vaccins, n’est pas sollicité par les organisations internationales ni le gouvernement chinois ; J. Fournier apprend par exemple que le ministère chinois de la Santé, aidé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’International Children Emergency Fund (ICEF.), et certaines sociétés de secours américaines comme ‘l’American China Relief Mission’, 1200 lance une campagne nationale de lutte contre la tuberculose et il est informé que les services de son Institut ne seront retenus que s’il est recommandé par l’ICEF ; or, le docteur Lourie, conseiller technique délégué par l’OMS auprès du ministère chinois de la Santé, préconise l’emploi de la méthode danoise dans la fabrication du BCG et invite le gouvernement chinois à envoyer trois médecins se former au Danemark pour organiser à leur retour les centres de production du BCG répartis sur le territoire chinois. 1201 J. Fournier effectue alors de nombreuses démarches pour mettre en valeur le travail de l’Institut de Shanghai, montrant qu’il serait aberrant d’écarter de ce programme le laboratoire français, spécialisé depuis 1938 dans la recherche et la production du BCG ; le personnel est compétent, le centre déjà équipé pouvant répondre rapidement et efficacement aux besoins du gouvernement chinois. 1202 Devant l’importance des enjeux financiers, les relations politiques au sein des organisations internationales écartent l’Institut Pasteur des projets médicaux lancés en Chine, et, face à la concurrence étrangère, il se voit supplanté dans cette campagne de vaccination par d’autres centres de recherche médicale.

En 1951, malgré tous les efforts, l’Institut Pasteur de Shanghai est saisi par les autorités chinoises. Son directeur, J. Fournier, ne peut même pas récupérer ses objets personnels dans l’appartement qu’il occupait à l’Institut, ni l’automobile appartenant à son collègue, le docteur Chabaud ; le personnel français est rapatrié, 1203 son reclassement dépendant de l’Institut Pasteur de Paris et non du MAE, comme le souligne ce département sollicité par le directeur de l’Institut pour trouver de nouveaux postes aux employés rapatriés. 1204

Notes
1168.

Anne-Marie Moulin, The Pasteur Institutes between the two world wars. The Transformation of the international sanitary order, p 245 in Paul Weindling, ed., International Health Organisations and Mouvements, 1918-1939 , Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

1169.

Laurence Monnais-Rousselot, Médecine et Colonisation , p 62 : « La relation qu’engagent l’État et le jeune Institut Pasteur (1888) révèle parfaitement l’arrangement : si l’indépendance qui est accordée à ce dernier en matière de recherche pure va en fait servir les ambitions politiques et humanitaires françaises, la fourniture régulière qu’il doit en contrepartie faire de vaccins, ses analyses bactériologiques et sa participation active aux travaux d’assainissement symbolisent de manière manifeste ‘l’objectif économique.’ D’où, on le verra, le rôle primordial joué par les filiales de l’Institut Pasteur de Paris installées en Indochine. »

1170.

Bruno Latour, Pasteur : Guerre et paix des microbes , Paris, La Découverte, Poche, 2001, p 69.

1171.

Bruno Latour, Op.cit., p 69.

1172.

Marie Nonclercq, Antoine Béchamp (1816-1908), L’homme et le savant, originalité et fécondité de son œuvre , Paris, Editions Maloine, 1982 ;

Dr. Eric Ancelet, Pour en Finir avec Pasteur , Editions Marco Pietteur, 2001, p 121.

Guylaine Lanctôt, La Mafia Médicale , Edition voici la clef, Québec, Canada, 1998, pp 154-156 : Selon Pasteur, un microbe donne une maladie ; il s’agit alors d’éliminer le microbe pour que la maladie disparaisse. Béchamp, pour sa part, identifie les microzymes, corpuscules plus petits que la cellule. Lorsqu’un déséquilibre perturbe le fonctionnement des microzymes, la maladie survient. Si l’état de santé est affaibli (par malnutrition, intoxication, stress physique ou moral..), le microzyme se transforme en germe pathogène (microbe). « Pour Béchamp, le même microbe peut prendre plusieurs formes suivant le milieu dans lequel il vit. (…) Il suffit de renforcer la santé de la personne pour que les germes pathogènes intérieurs retrouvent leur forme originelle de microzyme et leur fonction de protecteur pacifique. On renforce le milieu et la maladie disparaît.» « Ces deux théories sont diamétralement opposées. Pour Pasteur, c’est le microbe qui donne la maladie. Pour Béchamp, c’est la maladie qui donne le microbe.

1173.

Anne-Marie Moulin, The Pasteur Institutes between the two world wars. The Transformation of the international sanitary order, p 257 in Paul Weindling, ed., International Health Organisations and Mouvements, 1918-1939 , Cambridge, Cambridge University Press, 1995.

1174.

Anne-Marie Moulin, Op.cit., p 257 et Bruno Latour, Pasteur : Guerre et paix des microbes , Paris, La Découverte, Poche, 2001.

1175.

Marianne Bastid-Bruguière, Instituts et Laboratoires en Chine avant 1949 in M. Morange (sous la direction de), L’Institut Pasteur. Contributions à son histoire , la Découverte, Paris, 1991, p 266.

1176.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Louis Martin directeur de l’Institut Pasteur, au docteur Raynal médecin commandant des Troupes coloniales, le 14 octobre 1935.

1177.

Archives de l’Institut Pasteur, La vie et l’œuvre du Médecin Général Inspecteur J.H. Raynal (1897-1954). Après des études de médecine à la faculté, J.H. Raynal entre à l’Ecole du Service de santé de Bordeaux en 1920 et obtient le diplôme de docteur en médecine en 1922. Son premier poste se situe à Madagascar. De retour en France, il passe le concours de Professeur adjoint et enseigne d’octobre 1926 à avril 1929, en premier, la clinique médicale et, ensuite, l’épidémiologie. A cette date, il est nommé professeur de bactériologie à la Faculté de médecine du Guatemala où il y enseigne pendant quatre ans. Il travaille ensuite à l’Institut Pasteur de Hanoï, et de janvier 1937 à juillet 1946, au Laboratoire municipal et à l’Institut Pasteur de Shanghai. Après son départ de Chine, il dirige pendant trois ans les services sanitaires français en Afrique Equatoriale. Il est nommé directeur de l’Ecole d’application en 1951.

1178.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Raynal à Noël Bernard, le 5 juin 1936.

1179.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Louis Martin directeur de l’Institut Pasteur, au docteur Raynal médecin commandant des Troupes coloniales, le 14 octobre 1935.

1180.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Noël Bernard, directeur des Instituts Pasteur d’Indochine, à M. le docteur Louis Martin, directeur de l’Institut Pasteur, le 5 novembre 1936.

1181.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Raynal, le 24 mars 1936, directeur du laboratoire municipal à Noël Bernard, directeur des Instituts Pasteur d’Indochine.

1182.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Raynal, le 24 mars 1936, directeur du laboratoire municipal à Noël Bernard, directeur des Instituts Pasteur d’Indochine.

1183.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Raynal, le 24 mars 1936, directeur du laboratoire municipal à Noël Bernard, directeur des Instituts Pasteur d’Indochine.

1184.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Raynal, le 24 mars 1936, directeur du laboratoire municipal à Noël Bernard et CHN1, Lettre du docteur Noël Bernard au docteur Louis Martin, directeur de l’Institut Pasteur de Paris.

1185.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Lettre du docteur Raynal, le 24 mars 1936, directeur du laboratoire municipal à Noël Bernard, directeur des Instituts Pasteur d’Indochine.

1186.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, CHN1, Contrat entre le Consul français Marcel Baudez et le docteur, prenant effet le 1 er janvier 1938 pour une durée de dix ans.

1187.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, Rapport du docteur Raynal, le 6 août 1938 et Bulletin Semestriel de l’Institut Pasteur de Shanghai, le 10 juillet 1939, p 1.

1188.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, Rapport du docteur Raynal, le 6 août 1938 et Bulletin Semestriel de l’Institut Pasteur de Shanghai, le 10 juillet 1939, p 1.

1189.

Archives de l’Institut Pasteur, Fonds Chine, Bulletin semestriel de l’Institut Pasteur de Shanghai, le 10 juillet 1939, p 17.

1190.

AMS, U38 5 1666-1, Rapport du comité directeur de la COIP, octobre 1940.

1191.

Archives de l’Institut Pasteur, CHN3, Lettre de J.H. Raynal, directeur de l’Institut Pasteur de Shanghai au directeur de l’Institut Pasteur de Paris, le 12 novembre 1945.

1192.

Archives de l’Institut Pasteur, CHN3, Récapitulatif sur l’évolution de l’Institut Pasteur de Shanghai, années 1938-1946.

1193.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettre de J.H. Raynal à M. le Consul général de France à Shanghai, le 24 août 1945.

1194.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettre de J.H. Raynal, mandataire de l’Institut Pasteur de Paris à M. le Consul général de France à Shanghai, le 24 août 1945.

1195.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettre de J.H. Raynal, mandataire de l’Institut Pasteur de Paris à M. le Consul général de France à Shanghai, le 24 août 1945.

1196.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettre de J.H. Raynal, mandataire de l’Institut Pasteur de Paris à M. le Consul général de France à Shanghai, le 24 août 1945.

1197.

Archives de l’Institut Pasteur, CHN3, Récapitulatif sur l’évolution de l’Institut Pasteur de Shanghai, années 1947-1950. Biographie de Jean Raynal (1897-1954) écrite par G. Girard.

1198.

Archives de l’Institut Pasteur, Document sans signature intitulé : “Note sur les mesures financières à envisager pour empêcher la disparition de l’Institut Pasteur de Changhaï”, 1948.

1199.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettre J. Fournier à Noël Bernard, le 8 mars 1948.

1200.

Archives de l’Institut Pasteur, CHN2, Lettres de J. Fournier, directeur de l’Institut Pasteur de Shanghai, à Noël Bernard, le 27 février, le 18 mars, et le 13 mai 1948.

1201.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettre de J. Fournier à Noël Bernard, le 13 mai 1948.

1202.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettres de J. Fournier à Noël Bernard, le 27 février, le 18 mars, le 13 mai 1948. Lettre de J. Fournier au Professeur Debré à Paris, le 26 février 1948.

1203.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettre du professeur Pasteur Vallery Radot et du professeur J. Trefouel au Président R. Schuman, Ministre des Affaires étrangères, le 8 janvier 1951.

1204.

Archives de l’Institut Pasteur, Lettre du ministère des Affaires étrangères, direction générale des relations culturelles, à M. Trefouel, directeur de l’Institut Pasteur de Paris, le 20 février 1951.