5.5. Conclusion

La pauvreté étant la plus grande cause de maladie, il est évident que, pour régler les problèmes de santé, l’implication politique a autant d’importance que les solutions médicales. A Shanghai, « l’accès aux soins est loin d’être égal pour tous et l’espérance moyenne de vie s’établit à trente-cinq ans seulement » ; 1205 c’est pourtant dans cette ville qu’on voit la plus grande concentration d’hôpitaux et de médecins du pays, mais cette situation montre les limites de la technologie médicale qui ne résout pas le problème majeur de l’inégalité dans l’accès aux soins. Les méthodes utilisées à Shanghai pour lutter contre les épidémies découlent des pratiques occidentales de médecine et d’hygiène publique. Lors de l’occupation japonaise, elles sont reprises par les Japonais qui, durant la période Meiji, ont assimilé la médecine allemande comme vecteur de modernisation et l’appliquent à l’échelle de la ville.

Si la création de l’Institut Pasteur, en produisant localement les vaccins contre le choléra, la typhoïde, la rage et le BCG, a permis à la municipalité française d’être autonome dans sa politique de prévention par rapport aux laboratoires anglo-saxons, l’Institut, par défaut d’investissement, n’est pas parvenu à rayonner au plan international grâce à ses recherches, ni à s’attirer l’attention du gouvernement chinois pour mener des campagnes de vaccinations dans le pays. Pour autant, l’Institut montre son utilité en effectuant les analyses médicales nécessaires pour les médecins de la concession et pour l’hôpital Sainte Marie ; le département de chimie surveille la qualité des laits crus et pasteurisés, celle des eaux de boisson, de l’eau courante et des puits à la demande des services d’hygiène.

Mais tout le système médical de la Concession française est fortement marqué par l’état d’esprit qu’à installé Pasteur : le patron se sert des recherches de ses collaborateurs pour se mettre en valeur, et se présente comme l’artisan principal de toutes les découvertes médicales, rejetant dans l’ombre les travaux d’un Béchamp : c’est toujours le chef de clinique ou de laboratoire qui doit recueillir les récompenses, ce qui amène à cacher tous les travaux intéressants qui ne profiteraient pas à sa stratégie, ou n’entreraient pas dans le cadre de sa politique. Il en va de même en Chine où les théories intéressantes et les remèdes efficaces s’inspirant de principes liés à la médecine chinoise sont systématiquement écartés. A Shanghai, certains médecins étrangers se servent de leur position dominante pour écarter les concurrents éventuels, gagner argent et influence en se constituant une clientèle d’expatriés, de diplomates et d’industriels, au lieu de chercher à mieux comprendre les besoins locaux, de soulager les malades moins favorisés et d’améliorer leur pratique en profitant d’un échange fructueux avec la médecine chinoise.

Notes
1205.

Christian Henriot, Zheng Zu’an, Atlas de Shanghai, espaces et représentations de 1849 à nos jours , Paris, CNRS Editions, 1999, p 146.