B. Les manières de faire et les manières de dire

1/ La référence des « how to »

Je regrouperai ici les ouvrages, utilisés par les Amérindiens contemporains, qui ont eu pour but de compiler les connaissances et la description des savoirs-faire autour du travail aux piquants. Nous allons donc par leur biais pouvoir découvrir une vision quasi exhaustive de ce qu’est la broderie aux piquants, mais surtout de comment on la pratique. Ces recueils, ne l’oublions pas, ont tous été compilés face à la destruction progressive des cultures « traditionnelles » sous la marche dévorante du « progrès » : il fallait « graver dans la pierre », fixer dans l’écrit, des savoirs-faire qui n’avaient jamais été transmis autrement que par la parole et l’expérimentation pratique.

Voici donc les outils nécessaires à la broderie tels qu’ils sont décrits dans tous ces ouvrages, ceux de C. Wissler, C. Lyford, A. Kroeber, R. Hassrick et notamment chez W. Orchard et J. Bebbington 100  pour les deux illustrations suivantes:

Planche décrivant les outils « traditionnels » du travail aux piquants. J. Bebbington, p. 15.
Planche décrivant les outils « traditionnels » du travail aux piquants. J. Bebbington, p. 15.

C’est-à-dire un couteau, un alène, un aplatissoir et un sachet en vessie (pour contenir les piquants).

Outils de broderie aux piquants (alènes et sachet en vessie), W. Orchard,
Outils de broderie aux piquants (alènes et sachet en vessie), W. Orchard, op. cit., p. 12.

Voici une photo proposant de la même manière les objets utilisés pour le travail aux piquants, aujourd’hui (site Internet nativetech.org) :

On retrouve cette fois-ci, de bas en haut : un couteau avec une pointe arrondie, très utile pour couper les extrémités des piquants brodés à la fin de l’ouvrage. Il doit tout de même être très aiguisé car les piquants sont résistants…Un quill flattener”, « lissoir à piquants » ou aplatissoir, qui peut prendre des tailles et des formes très diverses : celui-ci est particulièrement travaillé avec, d’un côté, un aplatissoir et, de l’autre, un crochet. Des ciseaux de couture, un stylo (pour tracer la trame, le dessin de la broderie sur la peau, ou simplement les premières lignes repères) et, enfin, un pic dentaire : il est utilisé comme une grosse aiguille et permet de faire un travail très fin, de serrer des boucles très petites…

Ces trois images sont justes. Cependant, ces descriptions des « outils type » du brodeur sont incomplètes et en partie peu réalistes : on ne nous montre pas l’essentiel pour broder: c’est-à-dire une ou plusieurs aiguilles, et du fil !

En fait, très peu d’outils étaient et sont utilisés pour la réalisation de décors en piquants ; dans le passé, on utilisait comme fils de couture des tendons d’animaux séchés, ou du chanvre, on utilise désormais généralement du fil de coton ou synthétique, du nylon.

Les fibres de tendon utilisées dans la fixation des piquants sur la peau provenaient spécifiquement du tendon qui longe l’épine dorsale du bison, de l’élan, de l’orignal et autres grands animaux. Le tendon était nettoyé encore humide, ensuite on l’assouplissait en le frottant énergiquement entre les mains, permettant ainsi la séparation des fibres. C’est ce type de démonstration auxquelles se livre la famille New Holy dans la cassette citée précédemment afin d’illustrer les techniques anciennes de broderie.

Une des meilleures descriptions que j’ai pu trouver dans la littérature anthropologique des gestes des brodeuses lorsqu’elles utilisaient encore des tendons, est celle faite par R. Hassrick 101  :

‘« Broder le piquant était sans doute la science la plus fine des arts féminins. Au contraire du tannage qui demandait plutôt du muscle, la broderie requérait un subtil tour de main. La femme répartissait les piquants en quatre catégories différentes et les rangeait dans des petits sacs faits d’une vessie par taille et par couleur.[…] Quand elle faisait de la broderie, la femme ramollissait d’abord quelques piquants dans sa bouche en mettant les pointes aux coins de ses lèvres. Quand elle décorait des mocassins, elle marquait d’abord deux lignes pour se guider sur le côté non épilé de la peau, à l’aide d’un poinçon. A l’endroit du talon, elle perçait deux trous parallèles à ces marques. Par ces trous, elle passait des tendons qu’elle nouait à leurs extrémités. A chaque fois qu’on cousait avec un tendon, on le faisait dans l’épaisseur de la peau afin qu’aucun point ne soit visible à l’envers. Ensuite elle fixait sur une aiguille un grand tendon qu’elle maintenait en posant le pied dessus ou en l’insérant dans son mocassin. Elle accrochait l’autre extrémité de ce tendon au fil supérieur qu’elle avait déjà fixé à la peau. Le tendon retenu par son pied lui servait de guide pour la ligne supérieure formant le haut de sa bande de broderie. »’

Dans toutes ces descriptions, un aspect pourtant essentiel, sur lequel toutes les brodeuses que j’ai rencontrées ont insisté, n’est pourtant pas encore évoqué : la qualité des peaux.

La première chose à laquelle il faut prêter attention lorsqu’on veut broder, c’est le support : il est moins difficile de broder en piquants sur une peau de grande qualité, sans accrocs, avec une surface bien plane. Les peaux non tannées (« rawhide ») utilisées parfois sont quasi-imbrodables, elles servaient en général pour les semelles des mocassins ou comme support pour enrouler les piquants, car il est très difficile d’y faire pénétrer l’aiguille ou la pointe du piquant.

De plus, selon les types de peaux, en Saskatchewan principalement d’orignal, de daim ou d’élan, il est plus ou moins difficile d’utiliser une certaine technique plutôt qu’une autre.Aujourd’hui,une des principales raisons, lorsque l’on brode en piquants, pour choisir plutôt une peau tannée artisanalement, est que celles trouvées dans le commerce, tannées chimiquement, ont des fibres qui ont quasiment disparu suite au traitement chimique lui-même. Ces fibres sont pourtant essentielles dans les techniques de fabrication : elles aident à maintenir les piquants. Une peau sans fibres apparaît comme un tissu, peut donc se déchirer plus facilement, se déformer sous l’effet contraignant de la broderie.

Enfin, les teintures naturelles appliquées sur les piquants peuvent réagir de manière inesthétique au contact prolongé d’une peau traitée chimiquement.

Ces détails extrêmement pragmatiques, qui tiennent compte de l’usure, des effets du temps, du confort, des conditions aussi de plus ou moins grande facilité technique, sont rarement évoqués alors qu’ils sont les fondements des choix opérés dans leurs gestes par les brodeuses.

Ensuite, l’influence du changement de la tradition, à travers l’introduction des aiguilles en fer ayant progressivement remplacé les poinçons en os (adoption largement volontaire et délibérée par les femmes), a peu été soulignée par ces auteurs. Linea Sundstrom affirme que la révolution, qui s’est produite dans les Plaines suite aux contacts avec les Européens, n’a pas seulement été le fruit des chevaux et armes à feu biens connus. Mais, au contraire, que les « technologies mineures » ont eu un impact certain et profond sur les cultes et valeurs spirituelles, univers bien souvent associés aux objets dans les cultures des Plaines. A ce titre, la « révolution de l’aiguille » en fer a bouleversé les habitudes et manières de penser, autour des « arts de la peau » (tannage, broderie…) :

‘« use of the more durable, but less sacred, metal tools resulted in increased status for hide-workers and their families, while preventing powerful quillwork designs from leaving the family and community. » 102 Annexes p. 362’

Nous verrons, dans le chapitre suivant, l’importance des objets « qui choisissent » et qui sont associés à une charge ou un statut, symbolique, social, politique, religieux : leur transformation n’est donc pas sans conséquences sur ces différents aspects.

Dans ces « manuels » descriptifs est, par contre, largement détaillée toute la gamme des techniques possibles de travail aux piquants. Ce recensement exhaustif, même s’il est toujours adopté par les brodeuses contemporaines, constitue pour elles une véritable mine d’or, car elles n’ont appris bien souvent au départ de leurs mères ou grand-mères qu’un ou deux styles de « points » différents. Une plus grande liberté technique, porte ouverte à l’expression de plus d’originalité et de créativité, est trouvée bien souvent dans ces ouvrages ethno/historico/techniques et leur variété.

Ainsi, Orchard décrit toutes ces étapes et variétés possibles de techniques. Cela commence par la collecte des matériaux.

Après avoir trouvé un porc-épic, il faut arracher les piquants en les séparant des poils, simplement en tirant d’un coup sec sur leurs extrémités, puis les nettoyer en les débarrassant de la fourrure et des détritus qui pourraient rester collés. On lave ensuite les piquants à plusieurs reprises dans de l’eau savonneuse tiède (ou avec de la lessive comme Sheila) pour les rendre brillants. L’eau tiède permet également de les débarrasser de la « graisse » naturelle dont ils sont enduits (comme les poils d’un chien qui sont enduits des sécrétions de l’animal), ils seront ensuite bien plus faciles à teindre, les pigments prendront mieux. On est parfois obligé de passer les piquants à la javel si le porc-épic avait de sérieux problèmes d’hygiène : puces et autres tiques… Cependant, comme tout produit chimique, la javel peut avoir une influence très agressive sur les piquants et les rendre plus fragiles, plus cassants. Il ne faut donc l’utiliser qu’en cas d’extrême nécessité.

J’ai pris ces deux photos durant une séance de « nettoyage » avec Sheila, dans son atelier. On peut voir sur la première image la dépouille de l’animal, qui, ayant séché, perd naturellement une partie de ses piquants, sur le tamis que l’on a disposé sous lui dans le but de les récupérer. La deuxième montre à quel point les piquants sont « enfouis » au milieu de la fourrure, et donc difficiles à extraire, autant qu’habilement dissimulés, même au toucher, donc dangereux…

Après cette collecte parfois délicate des matériaux, il faut donc leur donner des bains successifs, à l’eau savonneuse puis à l’eau pure. Cela permet également de « filtrer » les poils et piquants qui se séparent plus facilement sous les effets de l’eau, chacun d’eux ayant des textures différentes.

Enfin, après le nettoyage, on dispose les piquants dehors au soleil ou dans une pièce bien aérée pour qu’ils sèchent. Je n’ai pas eu connaissance de l’utilisation du sèche-cheveux ou d’un autre appareil de même type pour accélérer le processus, il ne s’agit pas de travailler vite, mais bien. Les méthodes anciennes parlent en général d’un séchage à l’extérieur, au soleil ou près du feu. Toutes ces étapes laborieuses sont bien souvent réalisées en commun, on se partage le travail, et à la fin, les piquants.

Ensuite, vient le moment de la broderie elle-même, dont voici les principales techniques relevées. Orchard en dénombre plus d’une dizaine différentes. Le pliage « splicing », l’enroulage « wrapping », l’aplat « plaiting », l’enfilage télescopique « telescoping », la ligne à piquant simple «  single quill line » ou multiple « multiple quill line », le « zig-zag », la technique en parallèle « band technique »… Ces méthodes pouvant être combinées les unes avec les autres et faisant appel à un nombre lui restreint de « points » : trois ; le « spot stitch », point ponctuel, le « back stitch », point à rebours et le « loop stitch », point en boucle. Des techniques inspirées de celles de la broderie en perles on également été adaptées aux piquants comme le « lazy stitch », point « paresseux », utilisé pour les grands surfaces à couvrir, avec une fixation plus lâche sur le support permettant un travail plus rapide (mais moins résistant aux dires de mes informateurs et notamment de Jainie, nous le verrons plus loin).

Voici les trois points principaux dessinés par Orchard :

“Spot stitch”, W. Orchard,
“Spot stitch”, W. Orchard, op. cit., figure 2 p. 16.

Il s’agit du point le plus simple, le fil passé tout droit entre les points dégagés sur la peau, en surface. C’est un point souvent utilisé pour les motifs curvilignes, les piquants sont fixés en s’enroulant sur cette trame.

« Back-stitch », W. Orchard,
« Back-stitch », W. Orchard, op. cit., figure 3 p. 17.

Dans ce cas, on coud de gauche à droite, en plantant l’aiguille en sens inverse de cette progression, afin de plier le fil en quelque sorte sur lui-même, puis repartir de gauche à droite. Ainsi modulé à rebours, le point ne peut plus bouger quelques soient les torsions infligées au support.

« Loop-stitch », W. Orchard,
« Loop-stitch », W. Orchard, op. cit., figure 4 p. 17.

Le dernier, où le fil décrit une boucle autour du point d’insertion sur la peau.

A noter que tous ces points sont pratiqués généralement en surface de la peau, sans la percer de part en part, le décor formant donc une applique, un aplat, en surface du vêtement ou du sac, sans avoir donc de face intérieure, susceptible de frotter contre la peau ou tout autre matériau, et donc d’entraîner à terme la rupture des piquants ou des fils par l’usure provoquée.

A partir de ces différents points possibles sont donc disposés, fixés, les piquants, selon donc plus d’une dizaine de techniques différentes.

Je vais les exposer ici, en disposant en regard les unes des autres les différentes illustrations, fournies par les différents auteurs, des mêmes techniques.

Prenons en premier lieu la technique dite du « splicing ». Voici les dessins proposés par Orchard, puis par Wissler, et enfin par un petit manuel, déclaré comme tel (qui n’allie à la présentation des méthodes aucun contenu ethnographique ou historique, il s’agit d’un guide pratique, comme l’on pourrait acheter un manuel de fabrication de bougies en cire, par exemple), Guide to indian Quillworking, de Christy Ann Hensler 103 , que je me suis procuré tout simplement à la boutique souvenir du Museum of Man and Natural History de Winnipeg (Manitoba).

“Splicing” (pliage), figure 5 p. 18
“Splicing” (pliage), figure 5 p. 18
“Telescoping” (emboîtement), figure 7 p.19
“Telescoping” (emboîtement), figure 7 p.19

W. Orchard, op. cit.

A cause de la petitesse des piquants, il est nécessaire d’en rajouter très souvent : il faut donc trouver des méthodes pour les insérer à l’ouvrage, et qu’ils « tiennent ».

On les additionne en les pliant, l’un chevauchant l’extrémité de l’autre, ou on les insère, pointe de l’un dans « tube » de l’autre, puisque les piquants sont en fait de petits tuyaux creux avant qu’on ne les aplatisse. Le fil vient fixer les piquants à la fois l’un à l’autre (sans les traverser, en les entourant) et à la surface de la peau.

Une autre méthode de chevauchement, appliquée à la technique du « wrapping », enroulage des piquants autour d’un objet ou d’un morceau de peau brute, par ailleurs la première technique que Sheila m’a apprise, est la suivante :

« Splicing », W. Orchard,
« Splicing », W. Orchard, op. cit., figure 6 p. 19.

Voici les mêmes techniques décrites par Wissler 104 , dans les figures 18 et 20, la figure 19 illustrant la technique du « plaiting », croisement de deux éléments de couleurs différentes, se croisant activement de manière oblique, créant un motif très prisé et usuel dans toute les Plaines , le « diamant »:

« Splicing » et « plaiting », C. Wissler,
« Splicing » et « plaiting », C. Wissler, op. cit., figures 18, 19 et 20 p. 57.

Voici enfin une illustration proposée dans le guide de ces mêmes techniques associées :

« Plaited quillwork », figure 8 p. 27
« Plaited quillwork », figure 8 p. 27
« Overhand quilling », figure 3 p. 17
« Overhand quilling », figure 3 p. 17

C. Ann Hensler, op. cit.

Les principes sont les mêmes dans toutes ces illustrations, seuls changent les styles de dessin eux-mêmes et les fils utilisés. Dans aucun des cas présentés, et les suivants seront de même, on n’a de représentation des mains, de leurs mouvements, d’où doivent se placer les doigts, et même de figurations des outils spécifiques nécessaires à l’exécution de chacun de ces styles très divers. Il faut donc être réaliste : s’essayer au travail aux piquants uniquement sur la base de ces répertoires techniques est possible, mais vous n’avez quasiment aucune chance (à moins d’être d’ores et déjà très instruit dans la couture et l’habitude de suivre un schéma) de réaliser un ouvrage solide, beau, original.

Intéressons nous maintenant à la technique désignée chez Orchard comme « single quill line » (ligne brisée qui crée un effet de piquant unique), autrement désignée sous le terme de « rick rack » dans le manuel de Hensler.

Voici comment elle est expliquée successivement chez Orchard, Wissler et Hensler :

« Single quill line », W. Orchard,
« Single quill line », W. Orchard, op. cit., figure 51 p. 66.

On travaille en ligne, autour du fil de couture. Wissler propose la même restitution schématique, il ajoute une vision du résultat abouti (dessin du haut) :

« Technique n°14 », C. Wissler,
« Technique n°14 », C. Wissler, op. cit., figure 27 p. 60.

Avec le manuel de Hensler, nous franchissons une étape supérieure dans la lisibilité technique et la projection possible dans le résultat final. De plus, le lien est fait directement avec l’application stylistique principale de cette technique : le curviligne, et donc, principalement, les motifs floraux. Cette technique de « single quill line » est ici appelée « rick rack », sans explication fournie par l’auteur quant à l’origine de ce nom.

On voit également sur ce dessin, dans le coin en bas à droite, un début d’explication d’une technique très prisée dans les Plaines, l’utilisation de rosaces, appelées « rosettes » (du nom français), cousues le plus souvent sur les costumes ou les coiffes.

« Rick-rack », C. Ann Hensler,
« Rick-rack », C. Ann Hensler, op. cit., figure 10 p. 31.

Voici maintenant quelques photos, tirées du site Internet géré par des brodeuses elles-mêmes (nativetech.org), qui font enfin apparaître la peau, les outils (les aiguilles), les fils, et les piquants. Ici est décrite la technique dite de « parallel band », bandes parallèles.

Cette première photo nous permet de voir “l’avant” apposition des piquants, la préparation et l’emplacement nécessaire des divers matériaux. On constate également qu’un « patron » a été dessiné : deux lignes directrices assurent le caractère rectiligne du début de l’ouvrage.

On peut observer ici l’application du premier piquant, fixé sous le fil, dont la pointe a été coupée et qui a bien sûr été aplati préalablement, fixé sous le fil (Sheila dit toujours que seules les mauvaises ouvrières ne prennent pas le temps de bien aplatir leurs piquants. En effet, une fois secs, puisqu’ils sont humides au moment du lissage, ils risquent d’exploser, de se libérer des fils qui les maintiennent).En fait, le fil sert à « coincer » les piquants et ils sont pliés dessus-dessous ces fils. On tire ensuite sur ces derniers pour maintenir le piquant bien plaqué contre la peau. A ce moment crucial, il faut bien veiller à ce qu’il n’y ait aucun pli dans les piquants, qu’ils soient vraiment lisses et n’aient pas été froissés durant les manipulations, sinon il sera difficile de les enlever ou les déplacer par la suite si besoin est, et ils risquent de gondoler donc de fausser le motif créé.

Dans la photo suivante, nous en arrivons à la mise en place qui doit être opérée du deuxième fil de couture. Ici, on peut voir la partie la plus difficile du travail. Il faut être agile et rapide. On plie le piquant, maintenu en bas par le fil, vers le haut, en travers de la ligne du haut. Ensuite, au lieu de le fixer en faisant un point comme dans la technique en zigzag, on enroule le fil du haut autour du piquant en faisant une boucle. En tirant sur le fil, le piquant va alors se dresser dans la direction du brodeur et se rabattre vers la ligne du bas. Il s’agit alors d’ajuster le pli en tirant dans le sens opposé l’un de l’autre, sur le piquant et sur le fil, en même temps. Bien sûr, il ne faut pas tirer trop fort sous peine de casser le piquant, plus fragile que le fil. Le pli doit se situer, comme sur la deuxième photo ci-dessous, exactement sur le trait tracé.

Il existe aussi une autre manière de plier le piquant : en le recourbant légèrement sur l’aiguille avant de faire le point. Préalablement incurvé, il sera moins difficile à plier sans casser.

Etape 1
Etape 1
Etape 2
Etape 2

Enfin, on ajoute un nouveau piquant, de couleur différente si désiré, et ainsi de suite :

Etape 3
Etape 3

Finalement, il faut présenter deux dernières techniques, moins répandues dans les Plaines, mais beaucoup plus dans la zone subarctique et dans la région des Grands Lacs : l’utilisation du métier à tisser d’abord et l’applique de piquants sur écorce de bouleau.

Dans le cas du métier à tisser, les piquants sont comme tressés sur des fils tendus sur un métier en forme d’arc. Cela permet un travail extrêmement précis, qui sera disposé ensuite sur le support en applique, facilitant par exemple la réalisation de bandes décoratives ou bordures. Seuls des motifs géométriques pouvaient ainsi être réalisés.

Voici les schémas proposés par J. Bebbington, puis celui de W. Orchard, et enfin, celui de C. Hensler :

« Bow loom » (metier arqué), Julia Bebbington,
« Bow loom » (metier arqué), Julia Bebbington, op. cit., figure 43 a. p. 48.
“Bow” (“arc”, metier à tisser), W. Orchard,
“Bow” (“arc”, metier à tisser), W. Orchard, op. cit., figure 36 p. 57.
« Woven quillwork » (travail aux piquants tissé), C. Ann Hensler,
« Woven quillwork » (travail aux piquants tissé), C. Ann Hensler, op. cit., figure 15 p. 41.

Enfin vient s’ajouter, pour terminer, l’applique de piquants sur écorce de bouleau, nécessitant l’utilisation d’un poinçon afin de percer l’écorce. Les piquants ne sont pas brodés, mais fixés, retenus dans ces trous. Voici une photo empruntée à Orchard d’exemplaires contemporains (1916) de ce type d’objets :

« Contemporary birchbark box » (Ojibwa), W. Orchard
« Contemporary birchbark box » (Ojibwa), W. Orchard op. cit., planche XIV, p. 42

Voici donc la référence, l’exposition du contenu du savoir-faire : comment broder aux piquants. Cependant, nous n’avons toujours pas ici de description des manières de faire, des parcours des brodeuses, nous n’avons pas non plus le son, l’odeur, la saveur, l’histoire ou plutôt les histoires qui nous permettent d’appréhender vraiment ce qu’est la broderie et ce qu’elle apporte à « ses acteurs ». En suivant à présent Sheila, Jainie, Whilma et enfin Lew, vont se dégager ces multiples pratiques, logiques et paroles.

Notes
100.

BEBBINGTON Julia, Quillwork of the Plains, op. cit.

101.

HASSRICK Royal B., "Les prédateurs," in Les Sioux , vie et coutumes d'une société guerrière (1964); Paris: Albin Michel, 1993, pp. 231-233.

102.

SUNDSTROM Linea, "Steel Awls for Stone Age Plains Women : Rock Art, Religion, and the Hide Trade on the Northern Plains," Plains Anthropologist n° 181, volume 47 (mai 2002), pp. 99-100.

103.

HENSLER Christy Ann, in Guide to Indian Quillworking ., B.C.: Hancock House, 1989.

104.

WISSLER Clark, "Material Culture of Blackfoot Indians," in A Blackfoot Sourcebook. Papers by Clark Wissler reprinted from the Anthropological Papers of the American Museum of Natural History, volume 9, 1910; réimpr., New-York: Garland, 1986, p. 57.