1/ Les origines

Puisqu’il faut bien choisir un point d’entrée sur la toile, je choisis celui du porc-épic lui-même. En effet, un mythe nous fournit l’explication de son physique particulier et de cette spécificité qui va permettre l’existence même d’un art du travail aux piquants : les piquants sur son corps. Ainsi, n’étant pas un animal comme un autre, des symboles, des vertus lui sont associés, et sa création même permet d’en expliquer une partie.

En voici un court récit ojibway, chez Ella Elisabeth Clark 134  : « Why porcupine has quills ».

‘“Long ago, when the world was young, porcupine had no quills. One day when Porcupine was in the woods, Bear came along and wanted to eat him. But Porcupine climbed to the top of a tree and was safe. The next day, when Porcupine was under a hawthorn tree, he noticed how the thorns pricked him. He had an idea. He broke off some of the branches of the hawthorn and put them on his back. Then he went into the woods and waited for Bear.
When Bear sprang on Porcupine, the little animal just curled himself up in a ball. Bear had to go away, for the thorns pricked him very much.
Nanabohzo saw what happened. He called Porcupine to him and asked: “how did you know that trick?” “I’m always in danger when Bear come along.” replied Porcupine.
“When I saw those thorns, I thought I would use them.”
So Nanabohzo took some branches from the hawthorn tree and peeled off the bark until they were white. Then he put some clay on the back of Porcupine, stuck the thorns in it, and made the whole a part of his skin.
“Now go into the woods”, said Nanabohzo.
Porcupine obeyed, and Nanabohzo hid himself behind a tree. Soon Wolf came along. He sprang on Porcupine and then ran away, howling. Bear came along, but he did not get near Porcupine. He was afraid of those thorns.
That is why all porcupines have quills today.” Annexes p. 363’

Différents éléments de ce mythe sont à commenter. Tout d’abord on constate à nouveau la présence d’une information importante, et qui sera récurrente dans la poursuite des différents porcs-épics mythiques : le porc-épic américain grimpe aux arbres, et leurs cimes s’avèrent même être leur lieu privilégié de refuge. C’est une capacité pratique de l’animal, mais c’est aussi, pour l’interprétation mythique, une qualité qui annonce le caractère souvent divin ou tout du moins astral du porc-épic métamorphosé, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit de Lune ou de Soleil sous une apparence animale.

Deuxièmement, Porc-épic nous est ici décrit comme un animal sans défenses, à la merci de ses prédateurs, ici Ours et Loup. Cependant, s’il est relativement faible, il est extrêmement malin. Il va utiliser un « outil » pour se protéger : une carapace, une armure faite d’épines d’aubépine. Cette idée va lui venir seule, par son observation attentive de la nature (on notera ici le caractère didactique du mythe mettant en valeur une qualité prônée de l’individu, celle d’observer et de reproduire ou d’inventer à partir de son expérience).

Cependant, sa forme définitive, perfectionnée et véritablement métamorphosée (« en une partie de sa peau » dit le mythe), ne peut lui être donnée que par un être qui a le pouvoir de modeler le monde et d’abolir les frontières entre les matières, les « natures » : Nanabohzo, le grand lièvre, trickster et démiurge que l’on retrouve dans les plaines et la zone subarctique. Avec du végétal (des branches d’aubépine) et du minéral (de la glaise), il va fabriquer de l’animal : le dos couvert de piquants du porc-épic.

Cette information est importante à nos yeux, car elle renforce le caractère divin, sacré de la création même du matériau de la broderie : le piquant est issu des mains du démiurge, il est lui-même fruit d’un métamorphose alliant les diverses formes du vivant : animal, minéral, végétal. Le véritable « piquant », et non pas une épine d’aubépine utilisée comme telle, est donc d’essence divine, issu d’un travail du pouvoir du monde.

Ainsi sa nature particulière fait de lui un matériau aux propriétés et qualités spécifiques, qu’une perle ne peut pas, une fois de plus, remplacer. La « naissance » de cette dernière, son processus de création ne rassemble en rien ces propriétés particulières, symboliques et signifiantes que sont celles du piquant. On ajoute donc ici un élément supplémentaire permettant de comprendre les charges symboliques possibles dans des motifs brodés aux piquants, impossibles dans ceux réalisés en perles.

Voici à présent une des histoires possible expliquant l’origine de la broderie aux piquants : qui a inventé cette technique, pourquoi, qui l’a transmise aux hommes (ou plutôt aux femmes), d’après les mythes ?

Le mythe blackfoot « Tête-Rouge », répertorié sous le numéro M480a par C. Lévi-Strauss 135 , qu’il traduit de l’anglais chez Wissler et Duvall 136 , affirme que ce sont les fourmis qui ont appris la broderie à une des premières femmes venues sur terre.

‘« Il y avait une fois un homme qui vivait seul avec sa mère, sans famille et loin de tout. Sa chevelure était rouge comme le sang. Une jeune fille, qui avait beaucoup marché, parvint un jour jusqu’à lui. Elle venait à peine d’être créée et de sortir de la terre, elle ne savait pas encore manger, boire, ni faire quoi que ce soit. Tête-Rouge la chassa car il préférait vivre seul. L’héroïne désemparée se réfugia près d’une fourmilière et implora l’aide des insectes. Elle voulait obtenir quelque « pouvoir » afin de contraindre Tête Rouge à l’accepter.
Les fourmis eurent pitié d’elle et lui ordonnèrent de voler dans la hutte deux pièces de cuir tanné et de les leur apporter. Puis elles la renvoyèrent jusqu’au lendemain. Quand elle revint à la fourmilière, l’héroïne trouva les deux pièces de cuir merveilleusement brodées avec des piquants de porc-épic. C’est l’origine de cette industrie, car les premières brodeuses furent des fourmis.
Elles ornèrent ensuite la robe de la mère de Tête Rouge, et dirent à l’héroïne de la disposer dans la hutte auprès des jambières de la vieille qu’elle aurait d’abord eu le soin de garnir avec les cuirs brodés. Elle irait alors se cacher dans la brousse, pour attendre la suite des évènements.
Quand Tête-Rouge et sa mère rentrèrent, ils furent éblouis à la vue de ces superbes vêtements. Persuadés qu’ils devaient être l’œuvre de la jeune fille, Tête Rouge pria sa mère de retrouver la jeune femme, de la nourrir, et de lui commander des mocassins brodés. L’héroïne accepta de faire le travail, non sans expliquer qu’on ne pouvait la regarder pendant qu’elle exerçait ses talents. En fait, elle se contenta de confier les mocassins aux fourmis qui, le lendemain, les avaient couverts de broderies. Par la même ruse, elle fit décorer la tunique du chasseur avec des motifs brodés en forme de disques devant et derrière, et des bandeaux sur les épaules et sur les manches. Les disques représentaient le soleil, de qui la jeune fille dérivait une partie de ses pouvoirs. Une belette (dont la fourrure fait une garniture très appréciée) lui avait expliqué quel décor elle devait demander aux fourmis : des bandes sur la tunique pour figurer les pistes suivies par la belette, d’autres sur les mocassins, représentant l’endroit où ces animaux piétinent la neige.
Conquis par les talents qu’il attribuait à l’héroïne, Tête Rouge voulut l’épouser, mais la belette la dissuada d’accepter. Elle lui conseilla même de se procurer un os bien pointu et de tuer l’homme pendant son sommeil. Ainsi fit-elle, puis elle se sauva chez les Indiens auxquels elle apprit l’art de la broderie. »’

Cette jeune femme, qui vient de « naître » et ne sait rien faire, ne peut donc non plus, être une épouse, et c’est pourquoi Tête-Rouge la rejette : elle n’en a pas les compétences. C’est auprès des fourmis, associées aux valeurs du travail, de l’abnégation au groupe, de la productivité, de l’industrie, qu’elle va obtenir des objets lui permettant d’attirer Tête-Rouge (et sa mère) : avec des vêtements brodés en piquants.

On voit déjà ici se profiler les qualités et compétences désirées chez une bonne épouse indienne et une bonne bru : savoir broder aux piquants, et toutes les qualités associées à la pratique de cet art. De plus, cette pratique a donc des origines extra-humaines, voire surnaturelles, puisqu’elle est acquise par l’intermédiaire de ceux qui ont déjà hérité de « pouvoirs », les animaux.

D’autres informations sont à retenir dans ce mythe : la jeune fille choisit les motifs pour la tunique du guerrier parce qu’elle « dérivait une partie de ses pouvoirs » du soleil. Elle choisit donc de faire représenter deux disques solaires, sous formes de rosaces, devant et derrière, telles que nous avons pu les voir sur des photographies dans la première partie de ce travail. Le mythe fournit donc une explication pour ce décor récurrent, « traditionnel », des tuniques portées par les guerriers des Plaines. Il offre également une explication partielle de sa symbolique, mais renseigne sur le caractère sacré, quoi qu’il en soit, de tels motifs. Ensuite, on nous dit que c’est une belette (elle-même « matière première » de décoration…), qui explique le décor des bandes à la jeune fille et leur signification : chemin emprunté par les animaux, pistes et traces de pas.

La présence de la belette est étrange et déstabilisante : qui est-elle et pourquoi conseille-t-elle à la jeune fille de tuer Tête-Rouge quand toute son énergie depuis sa naissance n’a été consacrée qu’à le conquérir ? Pourquoi la jeune fille elle-même suit-elle de tels conseils ? Peut-être parce que s’il découvrait qu’elle n’est pas l’auteur de ces broderies et qu’elle a menti, lui-même la tuerait, ou peut-être encore parce que finalement l’important n’était pas trouver un moyen pour épouser Tête-Rouge, mais plutôt d’apprendre ce moyen en lui-même : c’est-à-dire d’être la première humaine à broder aux piquants et de transmettre ensuite ce savoir-faire aux Indiens, comme conclut le mythe. Avant d’entrer en contact avec les fourmis et de commencer en les observant à apprendre, elle ne savait rien faire, pas même manger ou boire, elle était aussi écervelée et faible, « désemparée ».

A la fin de l’histoire, elle est devenue forte et même impitoyable, capable d’assassiner un homme dans son sommeil, elle a aussi appris à mentir et à tromper en faisant croire que la broderie était son œuvre… Elle est devenue humaine : avec ses qualités et ses défauts.

Une autre origine proposée dans les mythes de la broderie aux piquants est elle aussi extra-humaine et, cette fois-ci, tout à fais surnaturelle. Ce serait un art connu des « little people » sorte de nains ou farfadets souvent aperçus dans les Plaines, et souvent évoqués dans les histoires contemporaines que l’on peut raconter sur les réserves.

Les « may-may-quay-she-wuk », en cree, sont des personnages supposés vivre sous terre, dans des endroits riches en rochers, ou sous l’eau, dans les mares et étangs. On évoque ainsi leurs rencontres, parfois drôles, parfois inquiétantes.

Whilma m’a elle aussi parlé de ses aventures avec ces petits êtres : elle me les a ainsi exposées. Enfant, elle était effrayée par des bruits venant de la cave, et elle avait toujours l’impression d’être suivie quand elle remontait les escaliers après y être allée. Peu de temps avant notre rencontre, elle a à nouveau entendu ces bruits. Elle a décidé de prendre son courage à deux mains et est allée fumer la pipe avec les habitants du sous-sol, afin qu’ils la laissent en paix et s’en aillent. Par la suite, elle en a parlé avec un homme de la réserve, qui connaît bien « ces choses-là »… Il était surpris et lui a dit : « Ne sais-tu pas que les little people sont là pour te protéger, il ne faut pas les faire fuir ! » Elle ne pensait pas que c’étaient des « little people », mais comme elle ne les a pas vexés en fumant la pipe avec eux, ils sont restés, et elle les entend souvent le soir… Elle sait aujourd’hui qu’ils sont une présence rassurante et nécessaire.

Les « little people », dans les divers récits à leur sujet, sont des êtres que seuls certains privilégiés peuvent voir, ou parce qu’il s’agit d’un moment important de leur vie. Tous ceux qui les ont aperçus les décrivent comme des hommes et des femmes très petits, avec de longs cheveux, toujours vêtus de merveilleux vêtements décorés de multicolores piquants de porc-épic. On raconte qu’ils travaillaient la pierre, fabriquant des pointes de flèches et des marteaux. Ils faisaient du commerce avec les Indiens, échangeant leurs ouvrages contre de la viande de bison, des peaux, ou encore des piquants de porc-épic, tout ce qu’ils ne pouvaient pas obtenir par eux-mêmes. En général, le commerce se faisait de nuit ou au petit matin. Beaucoup décrivent également le caractère très taquin et joueur des « little people », qui jouent des tours et changent par exemple les objets de place dans les maisons…

Voici une histoire illustrant une rencontre entre une artiste cree et des « little people  par Eleanor Brass 137 , native de la réserve de Peepeekisis, à quelques kilomètres de Regina : ici la broderie en piquants est décrite comme un art rare et même venu d’ « un autre monde », d’une origine sacrée, des « little people ». C’est pourquoi les créations de cette brodeuse sont si belles et si uniques.

Ce récit s’intitule “Medicine Boy”:

‘“The old woman, Pimosais, or Little Flyer, was sitting in front of her tepee by a campfire sewing a garment, when her granddaughter came to join her. The young girl was always fascinated with her grandmother, for there seemed to be something mysterious about her. She had the finest painted tepee in the camp and the figures on it were unique. Her clothes were well made and decorated in porcupine quills with the same kind of unusual figures.
The girl had heard that her grandmother once had a strange experience and she wanted to know what it was. One day she decided she would ask her. As she sat down and made herself comfortable, the young girl said, “Kokoom, I know you had an adventure in your life that you won’t speak to anyone about. But being your grandchild, and being old enough to understand, would you tell the story to me?”
“Tapway, nosesim”, “yes, my grandchild”. I believe you’re old enough to understand and I know that you’ll respect what I tell you and only pass it on to your grandchildren :
“A long time ago, when I was a young girl like you, I was small for my age and moved around quickly, so they called my Little Flyer. I was promised to a handsome young man, Ka-ki-she-wait, Loud Voice, to marry. But I didn’t want to get married right away, so I used to go to the forest to think about it. One day I was sitting on a log deep in thought when I heard a branch snap. Looking behind me, I saw the handsomest young man I’d ever seen. He wasn’t very big, about my size. He was so straight and strong looking that I just stared at him speechless. He said: “Don’t be afraid. I’ve been watching you for days and I’ve noticed that you have something weighing heavily on your mind.” I was so surprised I couldn’t say a thing. Then he said:” I think you’re a very beautiful maiden, and I’d like to see you often. Could you come out here again?” I just nodded my head in assent and ran back to camp.
Mother was always busy sewing garments, for she had several sons and daughters, and I helped her. I used to hurry with my work in order to finish early so I could go to the forest to meet my handsome friend. Every day he was there waiting for me. We’d talk about the birds, animals and the mysterious ways of nature. He knew so much about them. He always carried a small leather bag with herbs in it. I was curious about him. His attractiveness was even deeper than just his appearance. He’d never speak about himself except that he was Medicine Boy, gathering herbs for his tribe. But I felt that he didn’t belong to any Indian camp.
One day when Loud Voice saw me coming out of the forest he said, “What were you doing in there? You look so happy, I believe you’re meeting someone, and I’m going to find out.”
I was afraid to go out for a few days, as I knew that Loud Voice would be watching my movements. I made certain that he was out hunting for the day before I went back to the forest. Medicine Boy was waiting for me as usual and said: ” I’ve been worried about you, Little Flyer. Have you been sick?”
“No”, I answered, « I was only being cautious, as Loud Voice is suspicious. He says that he’s going to catch and harm you, and I don’t want you hurt.” He said : ”Don’t worry about me, he’ll never catch me.”
Loud Voice had been noted for his skill in hunting, but it seemed that his luck had changed for he could not kill any game to bring back to camp. One day, he came over to see me and said that he was going to bring back a lot of meat. So he went out hunting and saw a deer. He started creeping up close to try and get a good shot, when a small man ran out of the bluff and frightened the deer. It happened again and again all day. Every time he had a good chance to kill something, it was frightened away. He suspected the little man was following him just to keep him from killing anything. Then Loud Voice decided to try fishing. Just as his net was full of fish, he upset his canoe and fell into the water and all the fish got away. Then he saw the same little man swim from under the canoe. Then he knew it was a trick of one of the may-may-quay-she-wuk, the little people. During this period, every time I saw Medicine Boy, he’d ask me about Loud Voice and his hunting; I’d tell him what happened and he’d laugh.
It seemed strange that he always knew when and where Loud Voice was going to hunt and fish. But I loved him. I used to ask: “Where do you come from?”, He’d answer, “Quite a long way from here.” “What tribe do you belong to?” “It’s a tribe that you never heard about.”
This only made me more curious so I decided that I’d follow him and see for myself. I waited every day for a chance when I wouldn’t be missed from the camp. My opportunity came one time during the berry season when all the women and children were going out to pick berries while men were out hunting. I pretended to be sick, so they left me and told me to prepare the evening meal if I was feeling better by then. As soon as they were gone I went out into the forest and Medicine Boy was there waiting for me.
He said “How are you Little Flyer? I have a funny feeling about you this morning; it seems you have something weighing heavily on your mind. Could I help you?”
“No, I’m fine” I answered. “Only I worry about us; perhaps some day we’ll be caught. Do you think we should change our meeting place?”
“I’ve thought of that myself. I know of another place that isn’t far from your camp, only it’s another direction. Come and follow me.”
We skirted the forest and came to a high place of ground where there was a large buffalo dugout with a low growth of brush all around it. We could peer through the brush and see for quite a distance around us. The place was well beaten down inside as Medicine Boy had used it for hideout. We sat down on some boulders close to the entrance and talked for a while, then he went away. I waited until he was nearly out of sight, then I got up and followed him.
He would stop to pick some leaves off the foliage and kept looking back. I guess he felt someone was following him. I kept on, but it seemed as though it was taking him a long time to arrive at his destination. I watched closely until finally I saw some tiny men and women come out to meet him. He resembled them only that he was a little bigger in stature. They were dressed in buckskin clothes and the women had the most beautiful designs on their dresses. I had never seen such work before. They used porcupine quills for embroidering and the colours glowed. I looked hard at the designs, thinking perhaps I could remember and use them on my own dresses.
All this was a surprising sight to me, but it was dulled by the shocking truth that my beloved was a may-may-quaish. I went home feeling sad, for I knew that I could never marry my handsome Medicine Boy.
When I got back to camp I tried to remember the designs on the tiny women’s gowns. I got out the material and tried to copy them, but my hand kept getting cramps. I tried and tried but it was of no use. The next time I went to see my handsome friend, he was waiting as usual.
He said: “You know who I am, don’t you?” “Yes, I saw your people and the women who have such beautiful dresses. I tried to copy the work on them for a dress for myself, but my hands kept getting cramps.”
“My beautiful Little Flyer, you can’t copy their designs, but you’ll always be a fine design worker and your dresses and tepees will always have fascinating figures. Because I happen to be an extra big May-may-quaish, I was appointed to go out and gather herbs for my people for they thought I wouldn’t arouse much attention. But from now on I’ll always avoid coming near your camp. Go and marry Loud Voice. I’m sorry I played tricks on him, to be little him before your eyes, for he’s a good man and a good hunter. You’ll be happy with him. I knew you had followed me and I let you do it, as I knew that we would have to end our friendship sometime. This is good-bye, my Little Flyer. » Annexes p.363-366.’

De ces deux mythes, nous pouvons tirer une leçon : l’art de la broderie aux piquants n’est pas un art anodin, c’est pourquoi il mérite d’être expliqué. Il culmine à un tel point de perfection et de raffinement esthétique et technique, qu’il ne peut être issu que des mains d’êtres exceptionnels ou d’esprits. Ses origines doivent s’enraciner dans le sacré, l’exceptionnel.

D’autres points communs existent entre l’histoire des fourmis et celle des « little people »: l’héroïne principale ici aussi, malgré le titre de l’histoire qui, comme dans celle de Tête-Rouge ne retient que celui du héros masculin, est une jeune femme, pas encore mariée. Ce sont ses aventures que nous suivons au fil du récit. Dans un cas comme dans l’autre, l’homme désiré par l’héroïne n’est pas celui qu’elle épousera, et les deux sont finalement d’une nature spécifique qui ne correspond pas à celle de la jeune fille. De plus, elles vont toutes deux apprendre la broderie non pas de leurs mères ou grand-mères, mais de fourmis, ou de nains.

Il est intéressant de noter dans ce récit que Little Flyer ne pourra jamais imiter les broderies vues sur les robes des petites femmes, elle ne peut pas les reproduire à l’identique ; cependant elle sera admirée de tous comme une grande artiste, réputée pour ses motifs inhabituels. Or, nous avons vu que la répétition à l’identique de motifs et couleurs employés par d’autres était vue comme impossible et même condamnée par les brodeuses, tout comme la répétition à l’identique des êtres (gémellité parfaite) semblait inconcevable dans les catégories amérindiennes. Ce mythe apporte donc lui aussi un appui à cette conception particulière.

Notes
134.

CLARK Ella Elisabeth, "Nature Myths and Beast Fables," in Indian Legends of Canada, Toronto: Mc Clelland & Stewart, 1960, p. 80.

135.

LEVI-STRAUSS Claude, "La balance égale," in Mythologiques III : L'origine des manières de table, Paris: Plon, 1968, pp. 299-300.

136.

WISSLER C. & DUVALL D.C., "IV. Cultural and Other Origins, 4. Red-Head," in Mythology of the Blackfoot Indians (1908); Lincoln: University of Nebraska Press, 1995, pp. 129-132.

137.

BRASS Eleanor, & NANOOCH Henry, in Medicine Boy and other Cree Tales., Calgary: Glenbow Alberta Institute, 1979.